FICHE QUESTION
10ème législature
Question N° : 21839  de  M.   Pascallon Pierre ( Rassemblement pour la République - Puy-de-Dôme ) QE
Ministère interrogé :  justice
Ministère attributaire :  justice
Question publiée au JO le :  19/12/1994  page :  6276
Réponse publiée au JO le :  13/02/1995  page :  862
Rubrique :  Procedure penale
Tête d'analyse :  Instruction
Analyse :  Secret. presomption d'innocence. respect
Texte de la QUESTION : Depuis quelques semaines, les « affaires » politico-financieres defraient la chronique. On y traite diversement des personnalites politiques en place - ou qui l'ont ete - et l'on y fait le proces de toute la classe politique, en jaugeant l'ensemble des elus a l'echelle des erreurs de quelques-uns. C'est pourquoi, M. Pierre Pascallon souhaite attirer l'attention de M. le ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice, sur la necessite de preserver pour un homme politique comme pour un simple citoyen, ses droits fondamentaux, auxquels appartient sans restriction la presomption d'innocence. Le respect de la presomption d'innocence est indissociable du respect du secret de l'instruction, etabli pour permettre aux juges de juger en toute serenite, en toute impartialite. Ce n'est plus le cas aujourd'hui puisque tout homme mis en cause (meme comme simple temoin) dans une affaire judiciaire, et a fortiori un homme politique, voit sa reputation bafouee. C'est trop souvent a l'accuse de prouver son innocence face a ses juges, d'abord, mais aussi face aux medias qui font d'une « affaire » strictement judiciaire le scandale du jour. C'est pourquoi il lui demande quelles mesures il envisage de mettre en oeuvre pour preserver - dans les faits - et le plus strictement possible avant tout jugement, le secret de l'instruction et la presomption d'innocence pour tout citoyen, qu'il soit homme politique ou non.
Texte de la REPONSE : Le garde des sceaux partage les preoccupations de l'honorable parlementaire et estime regrettable qu'une personne qui fait l'objet de poursuites judiciaires puisse etre mise en cause dans un article de presse alors qu'elle n'est pas encore definitivement jugee. La publicite ainsi faite autour d'une procedure judicaire pouvant parfois donner a penser que les journalistes ont une connaissance d'informations couvertes par le secret de l'enquete, il pourrait des lors etre envisage que le ministere public engage, d'une facon systematique, a l'encontre de ceux qui les ont revelees alors que la loi les oblige au silence, des poursuites du chef d'infraction a l'article 11 du code de procedure penale. Une telle solution est cependant rarement retenue tant il est difficile d'etablir que les journalistes, qui sont legalement libres de ne pas reveler leurs sources d'informations, connaissaient le caractere frauduleux de leur provenance avere des lors qu'elles ont ete livrees a la presse par les personnes tenues au secret professionnel qui sont principalement les policiers, les gendarmes, les avocats, les magistrats, les greffiers et les experts judiciaires. Par ailleurs, certains actes d'une procedure judiciaire tels que l'interpellation d'une personne a son domicile, sa retention ulterieure dans les locaux de police ou de gendarmerie sa conduite au tribunal et son eventuel placement en detention provisoire peuvent etre accomplis sous les yeux de tiers qui ne concourent pas a la procedure. Quelquefois publics, ces actes peuvent donc parvenir a la connaissance de journalistes qui, le cas echeant, en informent leurs lecteurs sans qu'il y ait pour autant violation de l'article 11 precite. De telles informations, pour licites qu'elles soient au regard de ce texte, sont cependant de nature a porter atteinte a la presomption d'innocence dont beneficie tout mis en examen et illustrent le conflit qui peut opposer le droit de chaque individu a l'intimite de sa vie privee et au respect de sa reputation et le droit a l'information du citoyen lie a la necessaire liberte d'expression de ceux qui renseignent l'opinion publique. Aussi, n'est-il pas concevable dans une societe democratique d'interdire a un journaliste de relater la mise en examen d'un homme public exercant des responsabilites politiques ou candidat a de telles fonctions. La cour des droits de l'homme de Strasbourg a en effet considere, dans un arret « Lingens contre Autriche » du 8 juillet 1986, que si la reputation d'un homme politique merite, comme celle de tout citoyen, d'etre protegee, les imperatifs de cette protection devraient etre mis en balance avec les interets de la libre discussion des questions politiques et que la liberte de la presse devait donner a l'opinion publique le moyen de connaitre et de juger non seulement les idees des dirigeants, mais egalement leurs attitudes. Neanmoins, la liberte de la presse n'est pas sans limite et notre legislation a prevu un large eventail de textes, outre l'article 11 du code de procedure penale, qui ont pour finalite le respect du principe du secret de l'instruction ou de la presomption d'innocence. En premier lieu, l'article 38 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberte de la presse interdit de publier, avant l'audience publique, tous les documents provenant de procedures criminelles ou correctionnelles ainsi que les representations imagees des circonstances de certains crimes ou delits. En second lieu, l'article 2 de la meme loi prohibe la publication, avant toute decision judiciaire, d'informations relatives a des constitutions de partie civile devant un juge d'instruction. Les articles 14 et 14-1 de l'ordonnance du 2 fevrier 1945 sanctionnent la publication par tous procedes d'indications concernant l'identite ou la personnalite de mineurs delinquants. En outre, les personnes citees par les medias ont la possibilite d'intenter un certain nombre d'actions de nature a prevenir ou a reparer le tort qu'elles ont subi ou pourraient subir. Elles disposent d'un droit de reponse prevu, en ce qui concerne la presse ecrite, par l'article 13 de la loi du 29 juillet 1881 et par l'article 6 de la loi du 29 juillet 1982, s'agissant de la presse audiovisuelle. L'effectivite de ce droit est garantie par une action en reinsertion ou en diffusion forcee, et par l'existence de sanctions penales en cas de refus d'insertion dans un journal ou ecrit periodique quotidien. Les personnes mises en cause ont aussi la possibilite de deposer plainte pour diffamation s'il leur a ete impute faussement des comportements contraires a l'honneur ou a la consideration, le journaliste auteur de l'article ne pouvant d'ailleurs pas, pour echapper a sa responsabilite penale, sauf hypotheses tres exceptionnelles, obtenir la suspension des poursuites dirigees contre lui jusqu'a l'issue de la procedure dont le mis en examen fait l'objet. Elles peuvent egalement engager une action en responsabilite civile sur le fondement de l'article 1382 du code civil pour obtenir des dommages et interets si les articles publies constituent une faute de nature a leur causer un prejudice sans pour autant revetir une qualification penale. Elles peuvent encore demander au juge des referes de prescrire toute mesure permettant en urgence de faire cesser une atteinte a l'intimite de leur vie privee, en application de l'article 9 du code precite, ou de prevenir un dommage imminent ou faire cesser un trouble manifestement illicite, en application de l'article 894 du nouveau code de procedure civile. Elles peuvent enfin, depuis l'entree en vigueur de la loi du 4 janvier 1993, lorsqu'elles ont ete publiquement designees avant toute condamnation comme coupables de fait qui font l'objet d'une enquete ou d'une information, demander au juge, au besoin en refere, qu'il ordonne l'insertion d'une rectification ou la diffusion d'un communique.
RPR 10 REP_PUB Auvergne O