FICHE QUESTION
10ème législature
Question N° : 25129  de  M.   Sauvadet François ( Union pour la démocratie française et du Centre - Côte-d'Or ) QE
Ministère interrogé :  Service du Premier Ministre
Ministère attributaire :  Service du Premier Ministre
Question publiée au JO le :  13/03/1995  page :  1313
Réponse publiée au JO le :  10/04/1995  page :  1889
Rubrique :  Administration
Tête d'analyse :  Gestion
Analyse :  Experimentation. perspectives
Texte de la QUESTION : M. Francois Sauvadet attire l'attention de M. le Premier ministre sur la necessite d'etendre, dans la legislation francaise, le droit a l'experimentation. En effet, reformer consiste aussi a experimenter, ce que la France ne sait pas encore bien faire. Pourtant, l'article 4 de la loi du 30 juin 1975 sur les institutions sociales et medico-sociales avait introduit un principe nouveau dans la legislation : le droit a l'experimentation. Ce droit suppose evidemment une evaluation : si l'experience n'est pas reussie, il faut l'arreter, si elle l'est, ce sont les normes qu'il faut changer. Ce principe de l'experimentation devrait etre etendu, en particulier a la gestion des services publics et meme aux grandes reformes attendues comme celle du systeme de sante ou de la fiscalite. Par consequent, il lui demande de bien vouloir dire s'il est dans ses intentions d'oeuvrer en ce sens.
Texte de la REPONSE : L'experimentation consiste, en matiere de politiques publiques, a mettre en oeuvre des regles derogatoires au droit commun pour une periode de temps limitee et, eventuellement, avec un champ d'application territorial restreint avant de proceder, apres evaluation, a la perennisation et a la generalisation de la reforme. Cette demarche est loin d'etre etrangere a la pratique des pouvoirs publics francais et tend certainement a se developper dans les annees recentes. Ainsi, la legislation sous certaines conditions de l'interruption volontaire de grossesse a ete decidee pour une periode initiale de cinq ans (loi no 75-17 du 17 janvier 1975), puis confirmee et adaptee (loi no 79-1204 du 31 decembre 1979). Exemple particulierement significatif, la mise en place du revenu minimum d'insertion (RMI) peut etre qualifiee de doublement experimental : la loi no 88-1088 du 1er decembre 1988, qui a institue le RMI, s'est appuyee sur de nombreux travaux et reflexions preparatoires, et sur plusieurs experiences locales menees par des communes et des departements. Elle a ensuite elle-meme prevu un dispositif specifique d'evaluation apres trois ans de fonctionnement, en vue des adaptations necessaires ; celles-ci ont ete effectuees par la loi no 92-722 du 29 juillet 1992. D'autres exemples peuvent etre mentionnes : la reforme de la nomenclature budgetaire et comptable des collectivites territoriales a ete engagee en 1990 selon une methode concertee, experimentale et progressive ; la loi no 93-20 du 7 janvier 1993, qui institue un systeme de garantie de l'Etat pour certaines expositions temporaires d'oeuvres d'art, prevoit qu'apres trois annees de mise en oeuvre le Parlement sera saisi d'un rapport d'evaluation accompagne, le cas echeant, d'un projet de loi visant a proceder aux adaptations necessaires ; le decret no 95-93 du 30 janvier 1995 autorise le ministre du budget a conduire, en 1995, une reforme experimentale du controle financier des depenses deconcentrees dans les regions Aquitaine et Champagne-Ardenne ; dans le domaine social, plusieurs dispositions recemment votees par le Parlement s'inscrivent dans une demarche d'experimentation et d'evaluation ; loi quinquennale no 93-1313 du 20 decembre 1993 relative au travail, a l'emploi et a la formation professionnelle, dont l'article 82 organise un dispositif d'evaluation approfondie ; article 42 de la loi no 94-43 du 18 janvier 1994 relative a la sante publique et a la protection sociale, qui prevoit une experimentation dans certaines regions en matiere de regime d'autorisation des implantations d'equipements lourds dans les etablissements hospitaliers ; article 38 de la loi no 94-637 du 25 juillet 1994 relative a la securite sociale, qui prevoit la mise en oeuvre par voie conventionnelle de dispositifs experimentaux d'aide aux personnes agees dependantes ; articles 92, 93 et 102 de la loi no 95-116 du 4 fevrier 1995 portant diverses dispositions d'ordre social, qui instituent des dispositifs experimentaux en matiere de reclassement professionnel, de reinsertion d'allocataires du RMI et d'embauche de jeunes sans emploi. Ces exemples, qui pourraient etre multiplies, montrent que le Gouvernement et le Parlement sont tout a fait conscients de l'interet que peut comporter une demarche experimentale et n'hesitent pas a y recourir, notamment dans la periode la plus recente. Cependant, il convient de signaler les limites que rencontre le developpement de cette methode en matiere de politiques publiques. Il va de soi, en premier lieu, que l'experimentation n'est pas toujours adaptee ni utile : dans certains cas, les effets d'une reforme peuvent etre apprecies a priori sans difficulte ; dans d'autres cas, au contraire, la reforme engagee ne peut etre evaluee que sur le tres long terme, ce qui rend l'experimentation inadequate ; enfin, il peut arriver que l'efficacite d'une mesure soit conditionnee par une mise en oeuvre immediate et generale, voire par un effet de surprise. En second lieu, il doit etre tenu compte des obstacles juridiques auxquels peut se heurter la demarche experimentale. Ainsi, en matiere penale, de libertes publiques et de droits fondamentaux, de protection sociale ou de fiscalite, l'exigence constitutionnelle d'egalite des citoyens devant la loi et d'application uniforme de la loi sur le territoire de la Republique peuvent rendre delicate, voire inconstitutionnelle, l'experimentation. En outre, lorsque la reforme envisagee releve du domaine de la loi, l'experimentation doit avoir un fondement legislatif suffisamment precis, car le legislateur ne peut meconnaitre sa propre competence. On rappellera a cet egard que le Conseil constitutionnel, par une decision du 28 juillet 1993 rendue a propos de la loi relative aux etablissements publics a caractere scientifique, culturel et technique, a souligne que, s'il est loisible au legislateur de prevoir la possibilite d'experience comportant des derogations aux regles legislatives en vigueur, il lui incombe alors de definir precisement la nature et la portee de ces experimentations, les cas dans lesquels elles peuvent etre entreprises, ainsi que les conditions et les procedures selon lesquelles elles doivent faire l'objet d'une evaluation conduisant a leur maintien, a leur modification, a leur generalisation ou a leur abandon. Il en resulte que l'experimentation ne serait possible par voie reglementaire, dans un domaine relevant de la loi et sans habilitation prealable du legislateur, que si la Constitution le prevoyait expressement. Une telle revision constitutionnelle, si elle etait consideree comme opportune, devrait a tout le moins prevoir des garanties suffisantes, par exemple l'association du Parlement au suivi de l'experience. Dans ces conditions, il apparait souhaitable d'en rester a une approche pragmatique, au cas par cas, plutot que d'envisager une generalisation de la demarche experimentale ou de l'eriger au rang de principe : il appartient au Gouvernement et au Parlement d'apprecier, au moment d'entreprendre une reforme, si une demarche experimentale est en l'occurrence utile et possible, et dans l'affirmative, de definir les modalites appropriees de l'experimentation. On notera a cet egard que, comme l'analyse des exemples cites plus haut le montrerait, une gradation est possible dans l'experimentation et l'evaluation ; de l'experience prealable, realisee pendant un temps limite et sur un territoire restreint, jusqu'a l'evaluation a posteriori differentes formules peuvent etre utilisees en fonction de l'objet de la reforme, des circonstances et des contraintes juridiques eventuelles.
UDF 10 REP_PUB Bourgogne O