FICHE QUESTION
10ème législature
Question N° : 930  de  M.   Emmanuelli Henri ( Socialiste - Landes ) QG
Ministère interrogé :  Service du Premier Ministre
Ministère attributaire :  Service du Premier Ministre
Question publiée au JO le :  15/06/1995  page :  479
Réponse publiée au JO le :  15/06/1995  page :  479
Rubrique :  Defense nationale
Tête d'analyse :  Politique de la defense
Analyse :  Essais nucleaires. reprise
DEBAT : M. le president. La parole est a M. Henri Emmanuelli.
M. Henri Emmanuelli. Monsieur le president, ma question s'adresse a M. le Premier ministre.
Monsieur le Premier ministre, la decision de reprendre les essais nucleaires - prise avant consultation des experts, si j'ai bien compris les propos de M. le President de la Republique nous expliquant hier soir que le Premier ministre neo-zelandais, rencontre des le 8 mai, ne devrait pas etre surpris, mais annoncee entre les deux tours des municipales, sans doute pour des raisons d'opportunite electorale (protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la Republique) - constitue aux yeux des socialistes une faute grave.
En effet, cette decision ne repond pas a un imperatif de securite pour notre defense dont l'arsenal nucleaire est fiable jusqu'en 2010 ou 2015, comme l'a confirme hier soir le ministre de la defense. Celui-ci a confirme par ailleurs que la simulation serait au point en 2002.
D'ici la, si nous ne reprenions pas ces essais nucleaires, qui aurions-nous a craindre ? Vous le savez, seuls les Etats-Unis ont, dans ce domaine, de l'avance sur nous.
Par consequent, non seulement cette initiative est inutile et couteuse, car elle mobilise des credits qu'il vaudrait mieux investir pour accelerer le programme de simulation, mais elle introduit une grave ambiguite dans notre strategie. Puisque la fiabilite des armes megatonniques est assuree, s'agit-il de construire des armes kilotonniques, des armes tactiques, des armes du champ de bataille ?
Associes a l'annonce de la fermeture du plateau d'Albion, ces essais, indefinis quant a leur objet precis, signifient-ils que la France, sans en avoir debattu, s'appreterait a passer de la doctrine de dissuasion definie, je vous le rappelle, sous le general de Gaulle, a une doctrine inverse qui serait celle de l'emploi ?
Qui plus est, cette decision inefficace et ambigue ternit l'image de la France dans le monde, parce qu'elle dessert la paix.
C'est le President de la Republique francaise, Francois Mitterrand, qui avait pris l'initiative, largement suivie, de la suppression des essais nucleaires...
M. Jean-Claude Bahu. Ce n'est plus le meme president.
M. Henri Emmanuelli. Je le sais, et cela se voit !
... initiative qui se prolongera par la signature en 1996 d'un nouveau traite de suppression totale de ces essais.
En prenant la decision unilaterale de proceder a de nouveaux essais nucleaires, la France met en danger l'aboutissement de ce mouvement general de limitation de l'arsenal nucleaire. Pire, elle offre a de nombreux pays parvenus au seuil de l'arme atomique l'occasion de franchir le pas decisif, portant ainsi atteinte a notre securite et a celle de la planete.
Ma question est simple, monsieur le Premier ministre: pouvez-vous nous offrir une version credible justifiant la reprise de ces essais ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
M. le president. La parole est a M. le Premier ministre.
M. Alain Juppe, Premier ministre. Monsieur le depute, comme il l'a annonce hier soir, et dans le cadre des competences que lui confere la Constitution, M. le President de la Republique a decide de faire effectuer une campagne de huit essais nucleaires, qui s'achevera au plus tard a la fin du mois de mai 1996.
Cette decision a ete prise en consideration du seul interet superieur de la nation.
M. Gilbert Gantier. Tres bien !
M. le Premier ministre. Je ne m'attarderai pas, naturellement, sur les allusions partisanes et politiciennes de M. Emmanuelli. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la Republique et du groupe de l'Union pour la democratie francaise et du Centre. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
L'interet superieur de la nation...
M. Christian Bataille. Ayez au moins la politesse de regarder celui qui a pose la question ! Quel mepris !
M. le Premier ministre. Je regarde l'Assemblee, monsieur le depute. Gardez donc votre sang-froid !
L'interet superieur de la nation, disais-je, est que la France continue a disposer d'une force de dissuasion suffisante et credible. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la Republique et du groupe de l'Union pour la democratie francaise et du Centre.)
M. Pierre Mazeaud. Tres bien !
M. le Premier ministre. La preservation des interets vitaux du pays en depend et cela, naturellement, prevaut sur toute autre consideration, fut-elle de nature diplomatique. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la Republique et du groupe de l'Union pour la democratie francaise et du Centre.)
La question etait la suivante: pouvons-nous aujourd'hui maintenir une force de dissuasion suffisante et credible sans reprendre une campagne d'essais nucleaires ? («Oui !» sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste.)
M. Charles Ehrmann. Certains de nos collegues n'y connaissent rien !
M. le Premier ministre. Une reponse prematuree, sans preparation suffisante, a ete apportee en 1992 par un moratoire qui n'a pas pris en compte un certain nombre de preoccupations fondamentales que nous retrouvons aujourd'hui.
Aujourd'hui, je le dis d'emblee, il ne s'agit en aucune maniere de changer quoi que ce soit a notre doctrine de dissuasion, ou de se mettre en situation de fabriquer des armes differentes ou plus sophistiquees et nul ne saurait, sauf a tomber dans le proces d'intention, affirmer le contraire.
Les deux seuls objectifs de cette campagne d'essais, tels que le President de la Republique les a tres clairement soulignes hier soir (Exclamations sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste), ...
M. Jean-Claude Lefort. A quoi ca sert, alors ?
M. le Premier ministre. Ecoutez-moi, vous le saurez. Ne soyez pas impatients a ce point. Vraiment, c'est la premiere fois qu'avant meme que j'aie repondu j'entends contester ma reponse ! Je n'ai pas interrompu M. Emmanuelli, que diable ! (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe du Rassemblement pour la Republique.)
M. Claude Bartolone. Gardez votre sang-froid !
M. le Premier ministre. Je disais donc que les deux seuls objectifs de cette campagne sont les suivants.
Premierement, verifier la securite des armes actuellement disponibles. Vous nous dites qu'elle est assuree jusqu'en 2010, 2015. C'est une contreverite.
Plusieurs deputes du groupe socialiste. C'est M. Millon qui l'a dit !
M. le Premier ministre. Nous avons a assurer, face au vieillissement, les conditions de credibilite des armes existantes.
Deuxieme objectif: pour passer a la simulation, dont nous n'avons pas, a l'heure actuelle, les moyens scientifiques et technologiques, nous avons besoin d'une serie d'essais nous permettant d'acquerir les connaissances fondamentales necessaires. Cette serie d'essais a donc pour objectif de nous permettre de passer aussi rapidement que possible a la simulation. («Tres bien !» sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la Republique.)
Cette decision est parfaitement conforme a nos engagements internationaux, car nous avons toujours reserve la possibilite de reprendre des essais, et elle s'accompagne d'un engagement officiel et sans ambiguite du President de la Republique de signer, des lors que ce sera a l'ordre du jour, le traite d'interdiction definitive des essais nucleaires qui est en cours de negociation. La sequence est donc claire: dans l'intervalle qui nous separe de la signature de ce traite, nous procederons aux essais indispensables a la fiabilite de notre dissuasion. Ensuite, nous entrerons dans ce systeme d'interdiction definitive.
M. Yves Verwaerde. Tres bien !
M. le Premier ministre. L'argument selon lequel une telle decision inciterait a la proliferation ne tient pas. Car, vous le savez, il y a quelques semaines a peine, 178 Etats ont renouvele leur engagement de respecter le traite de non-proliferation de maniere indefinie et inconditionnelle.
M. Henri Emmanuelli. Exactement !
M. le Premier ministre. Aucune circonstance ne saurait, evidemment, les amener a violer leur signature,...
M. Louis Pierna. Mais nous, nous pouvons !
M. le Premier ministre. ... qui engage donc les pays non nucleaires et les pays du seuil.
Je ne pense pas que, face a une telle situation, nous devions nous laisser impressionner...
M. Henri Emmanuelli. Non !
M. le Premier ministre. ... par les conseils, quand ce ne sont pas par les exhortations qui nous sont donnees ici ou la par des pays qui ont realise dix fois plus d'essais nucleaires que nous et qui disposent aujourd'hui de stocks nucleaires sans commune mesure avec ceux dont dispose la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la Republique et du groupe de l'Union pour la democratie francaise et du Centre.) J'ajoute qu'il est de notoriete publique que nos essais dans le Pacifique ont toujours ete d'une innocuite sur l'environnement regional constatee universellement par toutes les missions d'experts qui se sont rendues sur place et, comme le President de la Republique l'a indique, nous sommes tout a fait prets a accueillir, au terme de cette seance d'essais, de nouvelles missions scientifiques internationales. Je rappelle en effet que ces essais sont realises a grande profondeur, dans le socle basaltique de l'atoll de Mururoa, et que des analyses regulieres ont ete faites qui montrent l'innocuite du dispositif.
Voila, mesdames et messieurs les deputes, dans quel contexte le President de la Republique a ete amene a prendre cette decision. Je constate d'ailleurs que nos partenaires europeens ont la plupart du temps reagi avec beaucoup de comprehension face a cette decision, qui releve de notre seule souverainete.
M. Pierre Mazeaud et M. Henri de Richemont. Tres bien !
M. le Premier ministre. Nous sommes ainsi dans la droite ligne de la politique de dissuasion et de defense qu'a voulue a l'origine le general de Gaulle et a laquelle la nation reste fidele. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la Republique et du groupe de l'Union pour la democratie francaise et du Centre.)
SOC 10 REP_PUB Aquitaine O