FICHE QUESTION
11ème législature
Question N° : 54697  de  M.   Bourquin Christian ( Socialiste - Pyrénées-Orientales ) QE
Ministère interrogé :  justice
Ministère attributaire :  justice
Question publiée au JO le :  04/12/2000  page :  6824
Réponse publiée au JO le :  21/05/2001  page :  2992
Rubrique :  droits de l'homme et libertés publiques
Tête d'analyse :  défense
Analyse :  formes actuelles d'esclavage. lutte et prévention
Texte de la QUESTION : M. Christian Bourquin attire l'attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur le problème des suites données aux dossiers de l'inspection du travail concernant les affaires liées à l'exploitation, physique et morale, de personnel, le plus souvent d'origine étrangère et en situation irrégulière, accompagnée généralement de traitements inhumains et dégradants. Il s'étonne qu'avec l'arsenal législatif dont dispose la France, pays qui a toujours mis en exergue son attachement aux droits de l'homme, l'on en soit encore à déceler l'existence d'une forme d'esclavagisme sur des populations en situation de fragilité. En conséquence, il souhaiterait connaître sa position sur cette question, et lui demande quelles mesures elle pense prendre pour remédier à cette situation, et notamment si elle envisage de mettre en place une directive générale plus sévère dont l'objet serait d'attirer l'attention des procureurs sur les dossiers qui leur sont transmis par l'inspection du travail afin que ceux-ci aboutissent systématiquement.
Texte de la REPONSE : La garde des sceaux, ministre de la justice, fait connaître à l'honorable parlementaire que la France dispose d'un arsenal juridique complet permettant de condamner efficacement l'esclavage sous toutes ses formes contemporaines. Ainsi, l'article 212-1 du code pénal réprime la réduction en esclavage au titre des crimes contre l'humanité. En effet, le législateur français a entendu, à l'occasion de l'élaboration du nouveau code pénal en vigueur depuis le 1er mars 1994, réprimer au plus haut degré cette atteinte à une valeur essentielle de la civilisation qui révèle une violation intolérable des droits fondamentaux de la personne humaine. S'agissant plus généralement du phénomène qualifié d'esclavage « contemporain », il convient de souligner que les dispositifs juridiques tant sur le plan civil que pénal protègent les personnes des différentes formes d'exploitation portant atteinte à la dignité humaine. En premier lieu, cette protection joue en faveur des mineurs de seize ans dont l'activité professionnelle est en principe prohibée, tant qu'ils ne sont pas libérés de l'activité scolaire, ou très strictement réglementée par la subordination à l'autorisation préalable de l'administration prévue par l'article L. 211-6 du code du travail. Les activités professionnelles des mineurs de seize à dix-huit ans font l'objet d'un régime particulier prévoyant l'interdiction des tâches jugées dangereuses, aux termes des articles R. 234-11 et suivants du code du travail. Le code du travail protège également les salariés de toute forme de discrimination. Enfin, l'article 1780 du code civil prohibe les engagements perpétuels, assimilables à l'asservissement. En deuxième lieu, il convient de souligner que l'efficacité de ces dispositions est assurée par un régime pénal complet, les incriminations prévues aux articles 225-13 à 225-15 du code pénal permettant d'appréhender les manifestations de l'esclavage « contemporain ». En effet, ces délits sanctionnent le fait de soumettre une ou plusieurs personnes, en abusant de leur vulnérabilité ou de leur situation de dépendance, soit à des conditions de travail ou d'hébergement contraire à la dignité humaine, soit à l'obligation de fournir des services non rétribués ou en échange d'une rétribution sans rapport avec l'importance du travail fourni. La sanction infligée, qui est de deux années d'emprisonnement et de 500 000 francs d'amende, peut être portée à cinq ans d'emprisonnement et 1 000 000 de francs en cas de pluralité de victimes, signifiant une pratique coutumière et organisée en véritable trafic d'êtres humains. En outre, diverses peines complémentaires sont prévues, telles l'interdiction des droits civiques, civils ou de famille, l'interdiction d'exercer une activité professionnelle à l'occasion de laquelle les infractions ont été commises, ou l'interdiction de séjour. De même, la responsabilité pénale des personnes morales est encourue. Enfin, en cas de soumission d'une personne à des conditions de travail ou d'hébergement indignes, les tribunaux correctionnels peuvent prononcer, depuis la loi du 29 juillet 1998 de lutte contre les exclusions, la confiscation du fonds de commerce destiné à l'hébergement des personnes et ayant servi à commettre l'infraction. S'agissant des condamnations prononcées par les juridictions pénales, il y a lieu d'observer que le délit de rétribution inexistante ou insuffisante du travail d'une personne vulnérable ou dépendante, créé en 1994, a donné lieu à dix condamnations définitives en 1997, celui de soumission d'une ou plusieurs personnes vulnérables à des conditions de travail indignes ayant fait l'objet de sept condamnations définitives en 1998. A l'occasion des procédures ayant abouti à ces condamnations pénales, il a été constaté que la mobilisation des services de police judiciaire, le cas échéant spécialisés en matière de travail illégal, pour lutter contre ces formes d'asservissement par le travail est réelle, de même que les fonctionnaires et agents publics habilités à rechercher le délit de travail dissimulé - souvent connexe aux infractions du code pénal précitées - sont sensibilisés à ces situations lorsqu'elles sont portées à leur connaissance. Tel est le cas particulièrement pour l'inspection du travail. En troisième lieu, il convient de relever que le projet de loi de modernisation sociale voté en première lecture par l'Assemblée nationale le 1er février 2001, introduit dans le code du travail la notion de harcèlement moral de l'employeur ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à la dignité du salarié ou de créer des conditions de travail humiliantes ou dégradantes. Enfin, le Conseil national d'aide aux victimes, qui a présenté son premier rapport au garde des sceaux le 6 février 2001, a envisagé la mise en place d'un groupe de travail concernant les victimes de situations d'esclavage contemporain.
SOC 11 REP_PUB Languedoc-Roussillon O