Texte de la QUESTION :
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M. Yves Nicolin appelle l'attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur la question de l'impartialité des experts judiciaires. Dans tous les domaines, nombre de jugements sont en effet rendus sur la seule foi des conclusions d'un rapport d'expertise et sans qu'un débat véritablement contradictoire ait pu s'instaurer sur ce rapport. Ce faisant et malgré la subsistance de voies de recours, nombre de justiciables se découragent et se retrouvent contraints d'exécuter des jugements manifestement aberrants. Il lui cite l'exemple d'une personne divorcée, fortement endettée et souffrant de troubles de santé, ayant déclaré l'année dernière un revenu de 22 000 francs et pourtant condamnée à payer à son ex-épouse une rente de prestation compensatoire de 3 000 francs pendant quinze ans. Le rapport d'expertise sur la base duquel cette ordonnance du juge aux affaires familiales avait été rendu n'avait en effet pas cru utile de faire état de l'intégralité des documents fournis par le débiteur de la rente justifiant sa situation de revenu et ses charges. Ainsi, 43 pièces adressées par l'intéressé en lettre recommandée ont été délibérément écartées de la mission d'expertise. Dans le même temps, la créancière de la prestation ne faisait, elle, l'objet d'aucun contrôle de la part des experts. Alors que les conclusions d'une expertise sont si déterminantes dans le résultat judiciaire, toutes le garanties procédurales ne sont pas réellement fournies au justiciable pour se défendre contre le partialité, même manifeste de l'expert comme dans l'exemple cité, dont il est la victime. Par ailleurs, elle n'ignore pas qu'une éventuelle action disciplinaire et pénale dirigée contre l'expert suppose de rapporter la preuve d'une intention de nuire et risque en outre de se heurter aux réflexes corporatistes de la profession concernée. Aussi, il lui demande quelles mesures elle entend prendre pour garantir en amont, par voie d'instructions et d'aménagements procéduraux, une véritable indépendance et donc l'impartialité des experts judiciaires.
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Texte de la REPONSE :
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La garde des sceaux, ministre de la justice, fait connaître à l'honorable parlementaire que diverses dispositions tant statutaires que procédurales réglementent l'indépendance et la compétence des experts judiciaires. Sur le plan statutaire, l'article 237 du nouveau code de procédure civile précise que le technicien commis par le juge doit accomplir sa mission avec conscience, objectivité et impartialité. Par ailleurs, les articles 2 (6/) et 3 (3/) du décret n° 74-1184 du 31 décembre 1974 interdisent à l'expert judiciaire, personne physique ou morale, d'exercer une activité incompatible avec l'indépendance nécessaire à l'exercice de sa mission. Sur le fondement de ces dispositions, certaines juridictions considèrent ainsi opportun de ne pas inscrire des techniciens qui seraient attachés directement ou indirectement à une compagnie d'assurances, mais la pratique n'est pas générale. En tout état de cause, sur le plan procédural, l'article 234 du nouveau code de procédure civile permet aux parties de demander la récusation des techniciens pour les mêmes causes que les juges, causes énumérées à l'article 341 du même code qui visent notamment les cas d'intérêt personnel à la contestation, de connaissance antérieure de l'affaire et de lien de subordination avec l'une des parties. Ces dispositions permettraient en conséquence la récusation de l'expert qui serait désigné par une juridiction après avoir, dans le cadre de la même affaire, conduit des opérations d'expertise amiable pour le compte d'une partie à l'instance. Au cours des opérations d'expertise, les parties peuvent formuler des observations ou réclamations que l'expert doit prendre en considération et joindre à son rapport si les parties le demandent (art. 276 du nouveau code de procédure civile). Elles peuvent à tout moment saisir le juge des difficultés qu'elles rencontreraient avec le technicien, notamment en cas de violation du principe du contradictoire. A l'issue des opérations, le rapport d'expertise est communiqué aux parties (art. 173 du même code). Le juge, qui n'est pas lié par les constatations ou les conclusions du technicien, peut toujours fonder sa décision sur d'autres moyens apportés par les parties de nature à réfuter les conclusions de l'expert. Les parties peuvent également soulever la nullité de l'expertise, discuter l'avis de l'expert et demander une nouvelle expertise ou une contre-expertise. Le juge peut, enfin, s'il l'estime nécessaire et après avoir fait appeler les parties, convoquer l'expert afin d'obtenir des éclaicissements complémentaires (art. 283 et 254, alinéa 1er, du nouveau code de procédure civile). Les articles 25 à 27 du décret du 31 décembre 1974 prévoient également la possibilité de procéder à la radiation d'un expert qui a commis une faute professionnelle grave. Ces dispositions pourraient notamment s'appliquer en cas de manquement aux obligations d'indépendance, d'impartialité ou de compétence. Par ailleurs, l'action en responsabilité civile, qui ne nécessite pas de rapporter la preuve d'une intention de nuire mais d'une faute à l'origine du préjudice causé (art. 1 382 du code civil), peut être engagée contre l'expert. En outre, en application de l'article 284 du nouveau code de procédure civile, la rétribution de l'expert est fixée par le juge en fonction, notamment, des diligences effectuées, du respect des délais impartis et de la qualité du travail fourni. Le magistrat contrôle ainsi a posteriori le bon accomplissement par l'expert de la mission qui lui a été confiée. Cependant, l'évolution des sciences et techniques et le souci croissant d'assurer, notamment en raison des exigences posées par la Convention européenne des droits de l'homme, le respect au cours de l'expertise de principes procéduraux aussi essentiels que celui de la contradiction nécessitent incontestablement d'améliorer les conditions de recrutement et de formation des techniciens. C'est ainsi que la chancellerie, en lien avec les professionnels, a entrepris des travaux de réforme du décret statutaire du 31 décembre 1974 afin de modifier les conditions de sélection des experts en introduisant un régime de formation.
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