FICHE QUESTION
11ème législature
Question N° : 6339  de  M.   Yamgnane Kofi ( Socialiste - Finistère ) QE
Ministère interrogé :  justice
Ministère attributaire :  justice
Question publiée au JO le :  17/11/1997  page :  4037
Réponse publiée au JO le :  10/08/1998  page :  4493
Rubrique :  système pénitentiaire
Tête d'analyse :  établissements
Analyse :  conditions de détention
Texte de la QUESTION : M. Kofi Yamgnane attire l'attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur la situation des personnes en détention dans les prisons françaises. En son temps, l'incarcération et surtout les propos tenus à sa sortie de prison par M. Loïc Le Floch-Prigent mettant en cause le système carcéral : « Mes nuits sont hantées par les bruits que j'entendais là-bas, dont les pires sont sans doute les hurlements des détenus, en particulier ceux des nouveaux venus sodomisés dès leur arrivée par leurs compagnons de cellule... certains bénéficieront d'un non-lieu... » avaient profondément ému le pays. Outre l'échec total de la mission de réinsertion dévolue au système pénitentiaire et le fait que soit bafouée toute présomption d'innocence, la question fondamentale de la dignité humaine, sans le respect de laquelle il ne saurait y avoir de véritable démocratie, était et reste posée par un tel témoignage. En 1996, 55 000 personnes restaient détenues en France, dont la moitié dans un cadre préventif. Durant cette même année, le taux de suicide, au premier rang des causes de mortalité, a augmenté de 30 % par rapport à l'année 1995. Parallèlement à l'effort budgétaire entrepris en la matière par le Gouvernement, il souhaiterait savoir s'il existe actuellement des études portant sur l'état réel de la situation pénitentiaire en France, et si oui, quelles orientations elle prendra en la matière au vu de ce suivi.
Texte de la REPONSE : Le garde des sceaux tient à assurer l'honorable parlementaire qu'il partage ses préoccupations visant à protéger l'intégrité physique des personnes incarcérées dans les prisons françaises. De nombreuses études sont menées par des statisticiens et des sociologues de la direction de l'administration pénitentiaire afin de mieux connaître la réalité de la population prise en charge et les difficultés rencontrées. Le rapport annuel de cette direction permet de se faire une idée de la complexité de leurs situations. Pour lutter contre le phénomène de la violence entre détenus, l'administration pénitentiaire mène une action visant à prévenir, à révéler et à répondre. L'article D. 285 du code de procédure pénale prévoit que le détenu nouvellement incarcéré doit être visité lors de son incarcération par le chef d'établissement, le service médical et le service social. Cet « accueil » doit être le moyen de repérer le détenu « fragile » ou celui qui, en raison des faits qui lui sont reprochés, est susceptible d'être la proie de détenus plus solides et plus violents. Conformément à l'article D. 91 du code de procédure pénale, le détenu doit être ensuite affecté dans une cellule. Le choix adapté de la cellule doit conduire sinon à faire disparaître, tout au moins à diminuer sensiblement le nombre de violences entre détenus. Il s'agit d'une attribution personnelle du chef d'établissement qui, lorsqu'il la délègue, doit en assurer le contrôle. Le responsable de la répartition des détenus doit être tenu informé des difficultés que peut rencontrer le personnel, en particulier des incidents et incompatibilités entre détenus. Au-delà de l'accueil et de l'affectation initiale en cellule, la prévention passe aussi par un suivi du détenu. L'action menée dans le cadre du projet d'exécution de peine vise à développer plus encore l'observation des détenus par les surveillants. En effet, ce projet vise à marquer des étapes dans le parcours pénitentiaire du détenu et donner ainsi un sens à la peine du condamné. Il tient compte des capacités du détenu, de son profil pénal et pénitentiaire et de sa situation sociale et économique. Pour pallier les craintes et les blocages que pourraient éprouver les détenus dans la dénonciation des faits, il convient de rappeler que ces derniers ont la possibilité de correspondre sous pli fermé et donc dans la plus grande discrétion non seulement avec les personnels pénitentiaires, les travailleurs sociaux ou le service médical, mais aussi avec les autorités judiciaires. Enfin, dès lors que des agressions sont détectées ou révélées, elles font systématiquement l'objet d'une enquête interne du chef d'établissement et d'un signalement aux autorités judiciaires. De plus la direction régionale des services pénitentiaires ou l'Inspection des services pénitentiaires peuvent procéder à une enquête administrative qui aboutit éventuellement, dans le cas où des fautes apparaîtraient, à une procédure disciplinaire à l'encontre du personnel défaillant et le cas échéant à des sanctions. Bien entendu l'administration prend des mesures immédiates de protection de la victime en éloignant les auteurs présumés. En toute hypothèse, le garde des sceaux veille à ce que toute révélation à l'autorité judiciaire de faits de nature criminelle ou délictuelle, qui auraient été perpétrés dans une enceinte pénitentiaire, donne systématiquement lieu à une enquête pénale, et, lorsque les faits sont avérés, à l'engagement de poursuites devant la juridiction répressive. Des poursuites disciplinaires sont également engagées par l'administration pénitentiaire sur la base de l'article D. 249-1 du code de procédure pénale qui dispose que « constitue une faute disciplinaire du premier degré le fait pour un détenu d'exercer des violences physiques à l'encontre d'un codétenu ». Classées parmi les fautes les plus graves, ces violences peuvent entraîner en application de l'article D. 251-3 du code de procédure pénale jusqu'à 45 jours de mise en cellule disciplinaire. L'administration pénitentiaire a été confrontée, en 1997, à un nombre élevé de suicides en détention (125). La complexité du phénomène suicidaire ne permet certes pas de concevoir une réponse unique et radicale permettant une totale disparition des suicides en milieu carcéral. L'administration pénitentiaire n'est cependant pas restée inactive face à cette situation. Des mesures de prévention relatives à l'accueil des détenus, à l'observation en cours de détention et au quartier disciplinaire font l'objet d'expérimentations dans onze sites pilotes depuis le mois de septembre 1997 et pourront, le cas échéant et après une évaluation de la pertinence de ces dispositions expérimentales, être généralisées, à compter de l'année 1999. D'ores et déjà, une circulaire en date du 29 mai 1998 rappelle un certain nombre de mesures qui doivent être observées en milieu carcéral afin d'éviter autant que faire se peut la survenance d'actes suicidaires. Plus généralement, la Chancellerie a pris des mesures visant à améliorer la situation des personnes incarcérées. Ainsi dans les deux années qui viennent la construction de trois nouvelles maisons d'arrêt est prévue à Toulouse, Avignon et Lille, et des travaux sont programmés dans les établissements pénitentiaires de Fleury-Mérogis, la Santé, Fresnes, Loos et Les Baumettes. Cela devrait permettre de lutter contre le surencombrement des maisons d'arrêt et de donner des conditions de détention plus conformes au respect élémentaire de la dignité des personnes. D'ores et déjà, la réforme des soins médicaux et la refonte du régime disciplinaire ont contribué à améliorer la situation des détenus quel que soit leur statut. En outre, il convient de noter que le nombre de détentions provisoires ordonnées par les juges d'instruction a diminué entre 1992 et 1996 de 32 769 à 27 830. Le nombre de prévenus, qui est plus large d'ailleurs que le nombre de détentions provisoires, représente désormais environ 40 % des détenus incarcérés au 1er janvier. Néanmoins, soucieuse de limiter le nombre de détenus incarcérés à titre provisoire, le garde des sceaux a exposé devant la représentation nationale un projet de réforme de la justice qui prévoit un renforcement de la présomption d'innocence. A cet égard, les mesures tendant à la liberté des personnes seront confiées à un juge du siège placé en position d'arbitre impartial.
SOC 11 REP_PUB Bretagne O