FICHE QUESTION
12ème législature
Question N° : 14540  de  M.   Houillon Philippe ( Union pour un Mouvement Populaire - Val-d'Oise ) QE
Ministère interrogé :  justice
Ministère attributaire :  justice
Question publiée au JO le :  17/03/2003  page :  1966
Réponse publiée au JO le :  02/06/2003  page :  4314
Rubrique :  justice
Tête d'analyse :  Cour de cassation
Analyse :  fonctionnement
Texte de la QUESTION : M. Philippe Houillon attire l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice, sur les graves difficultés que rencontre actuellement le fonctionnement de la Cour de cassation pour l'instruction et le jugement des affaires, par l'interprétation qui est donnée de certains arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme dont les arrêts « Reinhardt et Slimane Kaïd c/France » du 31 mars 1998 et « Kress c/France » du 7 juin 2001. Or, ces arrêts ne font pas l'objet de la même application au tribunal des conflits, au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation. Au sein de la Cour de cassation seulement, il a été décidé par des mesures internes, d'appliquer rigoureusement la jurisprudence européenne, en refusant désormais aux avocats généraux la communication de la note et des projets du conseiller-rapporteur, ainsi que leur assistance au délibéré des chambres, contrairement à une pratique constante datant de deux siècles. Ces nouvelles modalités de fonctionnement ont pour conséquence que les avocats généraux à la Cour de cassation, six fois moins nombreux que les conseillers, ne sont plus en mesure de remplir de manière satisfaisante la mission qui leur est confiée par les articles 602 du Code de procédure pénale et 1019 du nouveau code de procédure civile, à savoir de donner un avis dans toutes les affaires venant à l'audience et de garantir ainsi à tous les justiciables un double examen préalable de leur dosser. Les avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation se sont émus de cette situation dans une délibération du 29 juin 2001. Il lui demande en conséquence quels sont les textes qui sont en préparation à la Chancellerie pour permettre aux avocats généraux à la Cour de cassation de remplir pleinement leur mission dans l'intérêt des justiciables et à la Cour de cassation tout entière de fonctionner à nouveau normalement, sans encourir les critiques de la Cour européenne et « dans le respect de nos traditions qui ont fait leurs preuves », ainsi que le rappelait M. le Président de la République lors de la dernière audience solennelle de la Cour de cassation. C'est, en effet, à l'Etat lui-même et non aux juridictions qu'il appartient de fixer, de manière transparente, l'organisation et le fonctionnement des cours et tribunaux et de mettre en oeuvre les réformes exigées par la Cour européenne, au risque, sinon, de susciter des interprétations différentes d'un ordre juridictionnel à l'autre et de laisser transférer aux chefs de juridiction un pouvoir qui n'est pas le leur. A cet égard, l'attention du garde des sceaux est appelée sur la loi adoptée le 4 novembre 2000 par la Belgique pour mettre en conformité le fonctionnement de sa Cour de cassation avec les exigences de la Cour européenne. Aux termes de cette loi, une distinction nette est opérée entre la phase préparatoire des dossiers, au cours de laquelle les conseillers-rapporteurs et les avocats généraux se communiquent tous leurs travaux, et la phase de délibéré collégial de la chambre, qui est, quant à elle, couverte par le secret du délibéré. Il pourrait être envisagé de s'inspirer de cette législation belge, qui n'a pas fait l'objet, à notre connaissance, de critiques des instances du Conseil de l'Europe. Il lui demande quels efforts ont été entrepris pour faire mieux comprendre à la Cour européenne des droits de l'homme et aux instances de Strasbourg la spécificité et la légitimité des modes de fonctionnement traditionnels de la Cour de cassation, comme ceux du Conseil d'Etat qui se trouve dans une situation semblable, en vue de favoriser l'évolution souhaitable de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme.
Texte de la REPONSE : Le garde des sceaux, ministre de la justice, fait connaître à l'honorable parlementaire qu'il partage son souci de rendre le fonctionnement du parquet général de la Cour de cassation compatible avec les exigences de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, tout en affirmant la spécificité de la fonction d'avocat général à la Cour de cassation. En effet, la Cour européenne des droits de l'homme a, dans une décision du 31 mars 1998, Reinhardt et Slimane-Kaïd c/France, estimé que la non-communication du rapport du conseiller-rapporteur ainsi que du projet d'arrêt aux conseils des requérants créait un déséquilibre entre les parties et l'avocat général, à qui ces documents avaient été intégralement communiqués, qui ne s'accordait pas avec les exigences du procès équitable. Elle a donc conclu à la violation de l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Et ce d'autant, indiquait la cour, que l'avocat général n'est pas membre de la formation de jugement, mais qu'il a pour mission de veiller à ce que la loi soit correctement appliquée lorsqu'elle est claire, et correctement interprétée lorsqu'elle est ambiguë. Il « conseille » les juges quant à la solution à adopter dans chaque espèce et, avec l'autorité que lui confèrent ses fonctions, peut influencer leur décision dans un sens soit favorable, soit contraire à la thèse des demandeurs (paragraphe 105). La cour a confirmé sa position dans une nouvelle affaire Slimane-Kaïd c/France le 25 janvier 2000 (paragraphe 25). Dans une affaire Kress c/France, la cour a jugé le 7 juin 2001 que la participation du commissaire du Gouvernement au délibéré constituait une violation de l'article 6 § 1 de la Convention. Elle considère en effet que l'assistance purement technique apportée par celui-ci à ses collègues au cours du délibéré est à mettre en balance avec l'intérêt supérieur du justiciable qui doit avoir la garantie que le commissaire du Gouvernement ne puisse pas, par sa présence, exercer une certaine influence sur l'issue du délibéré. La Cour se trouve confortée dans cette approche par le fait qu'à la Cour de justice des communautés européennes, l'avocat général, dont l'institution s'est étroitement inspirée de celle du commissaire du Gouvernement, n'assiste pas aux délibérés en vertu de l'article 27 du règlement de la CJCE (paragraphes 85-86). La Cour, dans une décision Theraube c/France du 10 octobre 2002, n'a pas vu de raison de parvenir à une conclusion distincte de celle de l'arrêt Kress et a conclu à la violation de l'article 6, paragraphe 1, de la Convention, du fait de la participation du commissaire du Gouvernement au délibéré de la formation de jugement des juridictions administratives. La cour n'a pas été sensible aux arguments présentés par le Gouvernement selon lesquels le commissaire du Gouvernement appartient à la juridiction devant laquelle il conclut ; il appartient à la formation de jugement, si l'on désigne par cette expression l'ensemble des juges qui concourent à la formation collégiale de la décision juridictionnelle, même s'il est de règle qu'il ne prend pas part au vote à la fin du délibéré ; il est un juge indépendant car il n'est ni le représentant du Gouvernement ni celui d'une partie ni encore celui de l'opinion des autres membres de la formation de jugement. Elle a au contraire affirmé qu'en interdisant au commissaire du Gouvernement de voter au nom de la règle du secret du délibéré, le droit interne affaiblissait la thèse du Gouvernement selon laquelle le commissaire du Gouvernement est un véritable juge, car un juge ne saurait, sauf à se déporter, s'abstenir de voter. Et elle a ajouté qu'il serait difficile d'admettre qu'une partie des juges puissent exprimer publiquement leur opinion et l'autre seulement dans le secret du délibéré (arrêt Kress précité, paragraphe 79). La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme implique donc une redéfinition du statut de l'avocat général. Le garde des sceaux, ministre de la justice, indique à l'honorable parlementaire que les services de la Chancellerie y travaillent actuellement et qu'il ne manquera pas, le moment venu, de faire connaître le résultat de ces réflexions.
UMP 12 REP_PUB Ile-de-France O