FICHE QUESTION
12ème législature
Question N° : 93571  de  M.   Desallangre Jacques ( Député-e-s Communistes et Républicains - Aisne ) QE
Ministère interrogé :  Premier ministre
Ministère attributaire :  emploi, travail et insertion professionnelle des jeunes
Question publiée au JO le :  09/05/2006  page :  4809
Réponse publiée au JO le :  26/09/2006  page :  10112
Date de changement d'attribution :  30/05/2006
Rubrique :  travail
Tête d'analyse :  licenciement économique
Analyse :  arrêt de la Cour de cassation
Texte de la QUESTION : M. Jacques Desallangre appelle l'attention de M. le Premier ministre sur les dysfonctionnements institutionnels et l'interprétation abusive de l'article L. 321-1 du code du travail par la chambre sociale de la Cour de cassation. L'autorité judiciaire s'est autorisée à rendre une décision contra legem. Or, dans nos institutions républicaines, ce n'est pas au juge de faire la loi mais au Parlement. Les juges quelles que soient leurs compétences, ne sauraient légitimement se substituer au pouvoir législatif chargé de par la Constitution de « déterminer les principes fondamentaux du droit du travail ». Au-delà de ces questions institutionnelles qui supposeraient en elles-mêmes un rappel à l'ordre de la part du Président de la République chargé de veiller au respect de la Constitution, les arrêts du 11 janvier 2006 ont bouleversé le droit du licenciement. La Cour de cassation s'est permise de redéfinir les critères du licenciement économique en considérant : « La réorganisation de l'entreprise constitue un motif économique de licenciement si elle est effectuée pour en sauvegarder la compétitivité, (...) pour prévenir des difficultés économiques à venir (...) sans être subordonné à l'existence de difficultés économiques à la date du licenciement. » Voilà une série d'arrêts pour le moins surprenants car, d'une part, ils comportent tous en eux-mêmes leur contradiction et, d'autre part, ils se révèlent être directement contraires à la loi. La Cour de cassation accepte en l'espèce l'application du motif économique tout en reconnaissant que l'entreprise ne connaît aucune difficulté économique. Cette interprétation contrevient directement à l'article L. 321.1 du code du travail, qui dispose que le licenciement pour motif économique est celui réalisé pour des motifs consécutifs à « des difficultés économiques ou à des mutations technologiques ». Cette jurisprudence participe à l'offensive ultra libérale menée contre toutes les protections juridiques dont bénéficient les salariés pour préserver leur emploi. Les doctrinaires les plus libéraux ont réussi leur entreprise de sape en corrompant les esprits de nos élites en faisant croire, même aux juges, que la norme et la règle étaient l'ennemi de l'emploi et que seul le chemin de la déréglementation assurerait au marché de l'emploi toute la souplesse dont il aurait besoin. Le juge exauce les plus secrets désirs du MEDEF et du Gouvernement, obtenant des plus hauts magistrats ce qui fut refusé par les représentants du peuple. Car l'instauration du licenciement préventif est bien, à l'origine, un projet du Gouvernement dont la représentation nationale n'avait pas voulu. Il est temps de rappeler le juge à la loi et, pour ce faire, nous ne disposons que d'un outil. Une loi est nécessaire, interdisant aux employeurs d'abuser arbitrairement du pouvoir de licencier en invoquant seulement l'anticipation de possibles difficultés économiques prévisibles - mais non certaines dans un avenir non déterminé - pouvant éventuellement nuire à la compétitivité de l'entreprise. Les salariés verront sinon peser sur eux le risque constant de perdre leur emploi même lorsque les conditions économiques sont favorables. Le salarié sera tenu sous peine de licenciement d'accepter servilement le durcissement des conditions de travail et la réduction de la masse salariale pour accroître la rentabilité du capital investi. Il lui demande de présenter un projet de loi sauvegardant l'emploi, préservant les hommes et interdisant les licenciements usurpant le qualificatif d'économique alors que l'entreprise est prospère. - Question transmise à M. le ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes.
Texte de la REPONSE : L'attention du Gouvernement a été attirée sur la jurisprudence du 11 janvier 2006 de la chambre sociale de la Cour de cassation relative au licenciement pour motif économique. Selon l'article L. 321-1 du code du travail, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement résultant d'une suppression ou transformation d'emploi, ou d'une modification d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutive notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques. Depuis l'arrêt « Vidéocolor » du 5 avril 1995, il est admis que « lorsqu'elle n'est pas liée à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques, une réorganisation peut constituer un motif économique si elle est nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise ou du secteur d'activité du groupe à laquelle elle appartient ». Selon le Conseil constitutionnel, la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise n'exige pas que sa survie soit en cause (Conseil constitutionnel, 12 janvier 2002). La Cour de cassation, en contrôlant la sauvegarde de la compétitivité comme motif autonome de réorganisation de l'entreprise, s'assure que les modifications de contrats de travail ou les suppressions d'emplois en résultant ne sont pas fondées sur le seul souci d'économie ou d'amélioration de la rentabilité de l'entreprise. Enfin, il ressort des arrêts évoqués que la prévention concerne les conséquences pour l'emploi des difficultés prévisibles, et que l'objectif de prévention propre au motif de sauvegarde de la compétitivité intègre naturellement l'objectif de sauvegarder le maximum d'emplois. Cet impératif de gestion prévisionnelle, renforcé par article L. 320-2 du code du travail issu de l'article 72 de la loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale, sous-tend l'ensemble de ces décisions jurisprudentielles.
CR 12 REP_PUB Picardie O