Texte de la QUESTION :
|
M. Jean-Marc Roubaud attire l'attention de Mme la ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales sur la demande de modification de la législation des assureurs par l'État. Les dégâts causés lors des violences urbaines de 2005 ont coûté aux assureurs 150 millions d'euros, dont 60 millions pour les bâtiments publics. La plupart des assureurs ont engagé plusieurs milliers de recours devant les tribunaux administratifs afin d'obtenir le remboursement des indemnités versées aux communes. Cependant, l'administration estime que la loi du 1er janvier 1983, qui précise que : « Lors d'un attroupement, en cas de dommages causés à des tiers, l'État est responsable civilement », ne s'applique pas au phénomène de « commandos » à l'origine de ces violences urbaines. Aussi, est vivement attendue une révision de la loi, jugée par les assureurs trop imprécise, accompagnée d'un élargissement de la responsabilité de l'État. En conséquence, il lui demande de lui faire connaître sa position à ce sujet.
|
Texte de la REPONSE :
|
L'article 92 de la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983, codifié à l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales (CGCT), dispose que « L'État est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens. Il peut exercer une action récursoire contre la commune lorsque la responsabilité de celle-ci se trouve engagée ». Cette responsabilité de plein droit incombait à l'origine aux communes, puis a été transférée à l'État. Il a appartenu au juge administratif d'en préciser les contours. Selon la jurisprudence, la responsabilité sans faute de l'État lors des attroupements et rassemblements n'estacquise que si les violences présentent le caractère d'un fait collectif (ce qui exclut celles commises par des petits groupes d'individus isolés, tels que des casseurs ou des hooligans : Cour de cassation, civile 1re, 15 novembre 1983), si elles se sont produites dans des conditions peu organisées et relativement spontanées (ce qui exclut les actions terroristes et de commandos, préméditées : tribunal des conflits, 24 juin 1985, préfet du Val-de-Marne) et si, enfin le préjudice subi a un rapport direct et certain avec les crimes ou délits commis (CE Avis Ass. 20 février 1998, n° 189185). Le juge a ainsi admis que la responsabilité sans faute de l'État pouvait être engagée en matière de violences urbaines spontanées, comme dans le cas de celles faisant immédiatement suite au décès accidentel d'un jeune homme poursuivi par la police (CE Sect., 29 décembre 2000, Assurances générales de France) ou consécutives à un rassemblement de jeunes dont l'entrée dans une discothèque avait été refusée (CE Sect., 13 décembre 2003, Société Lloyds). Il a en revanche considéré que des dégradations réalisées par des bandes constituées à cet effet, non pas spontanément après un tel décès accidentel, mais de façon préméditée, dans la nuit du lendemain au surlendemain, ne relevaient pas du régime de la loi de 1983 (CE, 3 mars 2003, ministre de l'Intérieur c./Compagnie Générali France). Il en résulte qu'il est conforme à la jurisprudence actuelle de considérer que des violences commises en bandes organisées s'étant concertées à cet effet, plusieurs jours de suite et en de nombreux points du territoire national, ne sauraient engager la responsabilité de l'État sur le fondement de la loi de 1983. Le Gouvernement ne considère pas que l'article L. 2216-3 du CGCT doit être modifié en raison de son imprécision ou de son inadaptation à de nouvelles formes de risques sociaux. La rédaction de cet article, qui remonte à la période révolutionnaire, a démontré son utilité et son adaptation à divers contextes historiques. L'interprétation du juge permet de conférer à ces dispositions toute la précision et la souplesse nécessaires. Le Gouvernement ne considère pas non plus que l'article L. 2216-3 doit être refondu pour élargir la responsabilité de l'État dans ce cas de figure. D'une part, les dommages correspondent à des risques souscrits par les assureurs en toute connaissance de cause, finançables par eux, et qu'il leur appartient donc de supporter dans le cadre de leur activité. D'autre part, l'intervention de la solidarité nationale ne peut se concevoir qu'en cas d'impossibilité d'assurer le risque. Or il n'y a en espèce, s'agissant de l'assurance des collectivités locales, comme l'a démontré le rapport du groupe de travail sur l'assurabilité des biens des collectivités territoriales transmis à M. Hortefeux, ministre délégué aux collectivités territoriales, le 15 novembre 2006, et comme les assureurs le reconnaissent eux-mêmes, aucune inassurabilité du risque, mais une insuffisance d'offre (un seul assureur) dans certaines zones. Le Gouvernement considère donc que le juge administratif est le mieux placé pour évaluer, sans qu'il soit besoin de faire évoluer la rédaction actuelle de la loi de 1983, si la responsabilité de l'État doit être recherchée. La question de savoir si les violences ont été organisées et préméditées ou non, compte tenu des circonstances de chaque espèce, relèvera de son pouvoir souverain d'appréciation des faits.
|