Texte de la QUESTION :
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M. François Loncle attire l'attention de Mme la ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales sur les conséquences éthiques de la création, par décret en date du 27 juin 2008 publié le 1er juillet, du fichier de traitement automatisé de données à caractère personnel dit Edvige. Les données personnelles collectées dans ce fichier sont considérablement élargies par rapport aux fichiers de renseignement préexistants. Edvige devrait en effet, sous prétexte de recenser toutes les personnes «susceptibles de porter atteinte à l'ordre public» - notion non précisée dans les textes -, centraliser des informations relatives aux personnes exerçant un mandat politique, syndical, économique ou encore religieux, ainsi qu'à celles avec qui elles ont un lien direct et « non fortuit ». Les données vont de l'identité des personnes à leurs comportements, voire leurs déplacements. Plus choquant encore, il est prévu que ce fichier puisse être étendu aux mineurs dès 13 ans "susceptibles" de commettre une "atteinte à l'ordre public", notion particulièrement floue. Le public visé est non seulement ciblé pour son rôle social et politique mais considérablement vaste et sans limite. Les données recueillies ne relèvent pas de l'information factuelle mais ont trait aux comportements individuels et personnels relevant entièrement de la sphère privée tant que la personne n'est pas officiellement mise en examen. La CNIL (Commission nationale informatique et libertés) a pourtant rendu un avis plus que réservé sur cette pratique, relevant notamment l'absence de limite dans la durée de conservation des données et l'insuffisance des garanties quant aux conditions de leur accès. Il est aussi à préciser que tout agent des forces de la sécurité publique (gendarme ou policier) aura, sur demande expresse, accès à ce fichier. Les éléments constitutifs de ce fichier et ses conditions d'exploitation sont contraires à la conception républicaine de l'état de droit et ouvrent la porte à toutes les dérives possibles. La France a déjà connu, à travers des périodes peu glorieuses de son histoire, des moments où l'État avait basculé dans un rôle inquisiteur et menaçant qui, à l'aide d'outils tels que les fichiers de renseignements généralisés comme Edvige, verrait sa population livrée à des mains peu scrupuleuses. Les évolutions technologiques du traitement informatisé de l'information permettent aujourd'hui de constituer de graves menaces aux libertés individuelles et de porter de réelles atteintes à la liberté d'expression, de pensée. Ainsi, près de 95 000 personnes ont signé à ce jour la pétition du collectif «non à Edvige ». De plus, des informations ont récemment révélé l'existence d'un autre fichier de renseignement dénommé "Christina", dont les caractéristiques ne seraient pas soumises à la CNIL car il serait classé secret défense. Ni la protection de nos concitoyens, ni la lutte contre le terrorisme ne sauraient justifier de telles mises en oeuvre. Ce ne sont là que de faux prétextes invoqués par le Gouvernement pour tenter de justifier l'injustifiable. Les services de renseignement doivent bien entendu disposer de l'ensemble des outils nécessaires à l'exercice de leurs missions. Cependant, il convient que les données collectées soient strictement nécessaires et que les caractéristiques et le fonctionnement de ces différents fichiers soient encadrés et fassent l'objet d'une transparence démocratique. Les Français ont certes besoin de sécurité mais ils ont également droit à la protection de leurs libertés et de leur vie personnelles. C'est aussi le rôle de l'État. Face à la mobilisation contre un fichier perçu comme attentatoire aux libertés et au respect de la vie privée, qui constitue en effet une atteinte intolérable aux principes républicains et aux libertés individuelles et collectives, il lui demande d'abroger le décret du 27 juin 2008 et de lui préciser les conditions d'utilisation et d'encadrement du fichier Christina.
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Texte de la REPONSE :
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La réforme du renseignement mise en oeuvre par le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales a conduit à la création, le 1er juillet, de la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) et à la disparition de la direction de la surveillance du territoire (DST) et de la direction centrale des renseignements généraux (DCRG). L'une des missions qu'exerçait la DCRG, la mission d'information générale, incombe désormais à la sécurité publique (et à Paris à la préfecture de police). Afin de permettre à la sécurité publique d'assurer sa nouvelle mission et donc de reprendre l'usage du fichier précédemment géré par la DCRG (amputé de ce qui concerne le renseignement intérieur, transféré à la DCRI, et les courses et jeux, transférés à la police judiciaire), il a été nécessaire d'instituer un nouveau cadre juridique, par un décret du 27 juin 2008. Ce fichier appelé EDVIGE constituait donc purement et simplement une reprise partielle du fichier des renseignements généraux créé par décret du 14 octobre 1991, intégrant les modifications apportées par une directive de 1995 et une loi de 2004. Son texte, soumis au Conseil d'État, prenait en compte des demandes de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL). Il a pourtant suscité des inquiétudes et des malentendus. Afin d'y apporter des réponses, le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales a ouvert une vaste consultation puis décidé de présenter un nouveau décret. Il convient à cet égard de souligner qu'eu égard notamment à la décision du ministre de retirer le décret portant création d'EDVIGE, le Conseil d'État, saisi en référé, a rejeté le 29 octobre un recours présenté par plusieurs associations tendant à la suspension du décret du 27 juin. Ce dernier a été retiré par un décret du 19 novembre 2008. Le nouveau fichier ne comportera que des données directement liées à la sécurité publique ou permettant de répondre aux demandes d'enquêtes de recrutement imposées par la loi. Il apporte des garanties renforcées à la liberté individuelle et au droit au respect de la vie privée, tout en préservant les moyens nécessaires aux forces de police pour assurer efficacement la sécurité des Français.
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