FICHE QUESTION
13ème législature
Question N° : 34204  de  Mme   Bousquet Danielle ( Socialiste, radical, citoyen et divers gauche - Côtes-d'Armor ) QE
Ministère interrogé :  Justice
Ministère attributaire :  Justice
Question publiée au JO le :  04/11/2008  page :  9472
Réponse publiée au JO le :  10/03/2009  page :  2372
Rubrique :  droit pénal
Tête d'analyse :  réglementation
Analyse :  privation de liberté. garanties légales. réforme
Texte de la QUESTION : Mme Danielle Bousquet attire l'attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur les conséquences de l'arrêt prononcé le 10 juillet 2008 par la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH). En effet, dans cet arrêt (affaire Medvedyev et autres contre France), la CEDH indique au 61e paragraphe que « force est cependant de constater que le procureur de la République n'est pas une "autorité judiciaire" au sens que la jurisprudence de la Cour donne à cette notion : comme le soulignent les requérants, il lui manque en particulier l'indépendance à l'égard du pouvoir exécutif pour pouvoir être ainsi qualifié ». Elle lui demande donc de lui indiquer quelles conséquences le Gouvernement entend tirer de cet arrêt, et, le cas échéant, quelles mesure elle compte prendre.
Texte de la REPONSE : La garde des sceaux, ministre de la justice, a l'honneur d'apporter à l'honorable parlementaire les éléments de réponse suivants. Le 10 juillet 2008, la Cour européenne des droits de l'homme a condamné la France pour violation de la Convention européenne des droits de l'homme. Le 1er décembre 2008, l'affaire a été renvoyée devant la grande chambre de la Cour européenne des droits de l'homme à la demande du Gouvernement français. Elle fera donc l'objet d'un nouvel examen. Dans l'attente de la décision de la grande chambre, il peut être fait les observations suivantes sur l'arrêt. La cour a considéré dans un premier temps que les conditions dans lesquelles un navire cambodgien, le Winner qui se livrait au trafic de stupéfiants avait été arraisonné et ses marins, retenus pendant quarante-trois jours ne présentaient pas suffisamment de garanties contre les arrestations arbitraires. Plus précisément, la cour a relevé que la privation de liberté dont les marins avaient fait l'objet manquait de base légale car les normes applicables à l'époque des faits ne prévoyaient pas explicitement cette situation. Dans un second temps, la Cour européenne a considéré que le contrôle de la privation de liberté exercé par le seul procureur de la République en l'espèce ne présentait pas suffisamment de garanties en ce que le procureur n'est pas une autorité judiciaire au sens de l'article 5 (§ 3) de la convention européenne des droits de l'homme. Cette interprétation n'est pas nouvelle. Elle a été appliquée par la Cour européenne de Strasbourg dans des dossiers qui concernaient d'autres pays que la France. La portée de cette décision doit tout d'abord être relativisée en ce que l'affirmation relative au rôle du procureur de la République n'intervient qu'en conclusion d'une analyse portant sur l'absence de cadre juridique permettant la privation de liberté subie par les marins du Winner. L'affirmation selon laquelle le parquet n'est pas une autorité judiciaire n'a pas une portée générale. Elle doit s'interpréter uniquement au regard de l'article 5 de la convention européenne des droits de l'homme qui prévoit que toute personne arrêtée doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires. Il convient ensuite de confronter l'affirmation de la CEDH à la réalité du statut du parquet en droit français. L'article 66 de la Constitution du 4 octobre 1958 prévoit que « l'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi ». Cette autorité judiciaire est composée des magistrats du siège et des magistrats du parquet. L'unité du corps judiciaire ne signifie pas pour autant uniformité de statut et de fonction car les membres du parquet, s'ils possèdent la qualité de magistrats professionnels, ne sont pas pour autant juges. Il convient en effet de distinguer les autorités judiciaires « de poursuites » que sont les procureurs des autorités judiciaires « de jugement » que sont les juges. Le Conseil constitutionnel a rappelé à plusieurs reprises que les procureurs sont en leur qualité de magistrats, gardiens de la liberté individuelle, au même titre que leurs collègues du siège. Magistrat à part entière, le procureur de la République bénéficie dans l'exercice de ses attributions d'une délégation de la loi qui lui confère sa légitimité. Il agit non pas au nom de l'État ou du Gouvernement mais au nom de la République à qui l'ensemble des citoyens a délégué sa souveraineté. Aux termes de l'article 31 du code de procédure pénale, le ministère public exerce l'action publique et requiert l'application de la loi. Dans l'exercice de ses attributions, le procureur est investi d'un pouvoir qui lui est propre et qui lui permet, seul, de mettre en mouvement l'action publique. Ni le procureur général, ni le garde des sceaux ne peuvent agir en ses lieux et place. Le procureur est certes soumis à un pouvoir hiérarchique, mais ce pouvoir est encadré par le code de procédure pénale. Des instructions générales d'action publique sont adressées par le garde des sceaux dans un souci d'harmonisation des politiques pénales. Des instructions individuelles émanant du garde des sceaux peuvent également être adressées aux procureurs de la République par les procureurs généraux. Il convient cependant de préciser que ces instructions sont écrites et versées au dossier. En outre, le garde des sceaux n'utilise que très rarement cette prérogative. En tout état de cause, à l'audience, le procureur est libre de développer les réquisitions orales qui lui paraissent opportunes. Ce pouvoir d'instruction porte sur l'action publique et ne saurait porter atteinte au rôle de protecteur de la liberté individuelle qui est reconnu au ministère public. La loi confie en effet aux procureurs un rôle de garant du respect de la liberté individuelle dans les procédures judiciaires qui se manifeste par le contrôle des mesures privatives de libertés décidées par la police, la gendarmerie ou les douanes. Lorsque la privation excède une certaine durée, un juge du siège est nécessairement saisi de contrôle et de direction des enquêtes menées par ces services lorsqu'elles portent atteinte aux libertés individuelles. Il autorise la prolongation des gardes à vue, les contrôles d'identité, permet la comparution forcée des témoins ; de contrôle de la légalité des peines qu'il ramène à exécution ; de contrôle des lieux de privation de liberté (locaux de garde à vue, prisons, établissements de santé accueillant des personnes présentant des troubles mentaux) ; de protection des intérêts des présumés absents, des majeurs protégés et des mineurs en dangers. Cette énumération non exhaustive démontre que la mission de protection de la liberté individuelle demeure au coeur des attributions des magistrats du ministère public et qu'il n'y a pas lieu, en l'état, de modifier leur statut.
S.R.C. 13 REP_PUB Bretagne O