Texte de la QUESTION :
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M. Jean-Louis Gagnaire attire l'attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur le processus de mise en conformité du droit national avec le statut de la Cour pénale Internationale. Depuis la ratification du statut de Rome le 9 juin 2000, la France n'a toujours pas mis son droit en conformité avec les engagements ainsi pris pour lutter contre les crimes internationaux les plus graves : génocide, crimes contre l'humanité et crimes de guerre. Il est urgent que la loi française définisse ces crimes conformément au statut de la CPI, qu'elle reconnaisse leur imprescriptibilité et l'inapplicabilité de toute immunité tenant à la qualité officielle de leurs auteurs. Malheureusement, le projet de loi n° 3271 portant adaptation du droit pénal à l'institution de la Cour pénale internationale, amendé et voté par le Sénat en juin 2008, limite considérablement les dispositions du statut de Rome. Si le projet de loi reconnaît aux tribunaux français la compétence universelle pour les crimes les plus graves, les conditions de son exercice sont si restrictives qu'elles vident cette notion de sa substance : le texte ne permet pas de juger les suspects de crimes internationaux s'ils ne résident pas habituellement sur le territoire français. Il serait ainsi extrêmement facile à un criminel contre l'humanité, à un criminel de guerre ou à un responsable de génocide, non seulement de circuler, mais aussi de vivre en France sans pouvoir être inquiété par la justice française. De plus, en vertu de la condition de double incrimination instaurée par le texte, les crimes ne pourront faire l'objet de poursuites qu'à condition d'être également incriminés par la loi pénale du pays où ils ont été commis ; le texte confie le monopole des poursuites au ministère public, en rupture totale avec la tradition pénale française ; le texte inverse le principe de complémentarité défini par le statut de la CPI en subordonnant les poursuites en France à la condition que la Cour ait décliné expressément sa compétence alors que le statut prévoit l'inverse. Le projet de loi ne reconnaît pas de compétence territoriale élargie aux tribunaux français pour les crimes visés par la CPI ; il ne contient pas de dispositions relatives aux crimes de guerre. Par ailleurs, il faut souligner que cette réticence française à lutter contre les crimes les plus graves va à contresens de l'évolution de nombre de nos partenaires européens qui procèdent à une harmonisation de leur législation avec les principes du droit pénal international. Il lui demande donc si elle entend déposer rapidement un projet de loi qui permette à la France de respecter ses engagements en matière de justice pénale internationale afin de ne pas faire du territoire national un îlot d'impunité au mépris des victimes des crimes les plus graves.
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Texte de la REPONSE :
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La garde des sceaux, ministre de la justice, a l'honneur d'indiquer à l'honorable parlementaire que le projet de loi portant adaptation de la législation pénale française au statut de la Cour pénale internationale a été adopté en première lecture par le Sénat. Après l'adoption de la loi n° 2002-268 du 26 février 2002 relative à la coopération avec la Cour pénale internationale, ce projet de loi a pour objet l'adaptation de notre législation interne à la convention portant statut de la Cour pénale internationale, signée à Rome le 18 juillet 1998, en créant des incriminations spécifiques en droit français pour les crimes et délits de guerre. Les juridictions françaises peuvent, dès à présent, poursuivre les responsables de tels crimes, sur le fondement des incriminations de droit commun. Les crimes contre l'humanité ainsi que les crimes et délits de guerre ne bénéficient donc d'aucune impunité en droit français et les victimes de ces crimes et délits peuvent porter plainte et obtenir des réparations. Cependant, quoique la convention de Rome portant statut de ladite Cour n'oblige pas les États qui y sont parties à prévoir dans leur droit interne de telles infractions, le projet de loi comporte les incriminations nécessaires permettant au droit pénal français de couvrir, de la manière la plus complète possible, les comportements prohibés par ce traité. Les immunités tenant à la qualité officielle des auteurs des crimes contre l'humanité ou des crimes de guerre, résultent, lorsqu'elles existent, de conventions qu'une loi ne peut déclarer inapplicables, en application de l'article 55 de la Constitution. L'établissement en droit français de la règle de l'imprescriptibilité des crimes de guerre n'a pas été retenu. Une telle règle doit rester la marque des faits les plus intolérables à l'égard desquels notre société refuse que le temps écoulé fasse obstacle aux poursuites. Le projet de loi instaure un délai étendu de prescription propre aux crimes de guerre en portant celle-ci de dix à trente ans pour tenir compte de leur gravité sans toutefois banaliser l'imprescriptibilité. C'est pourquoi dans notre droit, seuls les crimes contre l'humanité sont imprescriptibles. En ce qui concerne la mise en oeuvre d'un mécanisme de compétence universelle, le fondement juridique d'une telle compétence n'apparaît pas établi lorsqu'elle n'est pas expressément prévue par ladite convention internationale. Or, tel n'est pas le cas de la convention de Rome portant statut de la Cour pénale internationale, qui confère à cette dernière seule une vocation universelle et les moyens juridiques pour l'exercer. Par ailleurs, lorsqu'une convention internationale prévoit explicitement une telle compétence, l'applicabilité à des ressortissants d'États non parties à cette convention est une question controversée, ce qui limite la portée de telles clauses de compétence universelle. Dès lors, outre les problèmes pratiques liés à l'exercice d'une telle compétence, des difficultés juridiques font obstacle à son établissement. Enfin, la France ne risque pas de devenir « une terre d'impunité » puisqu'elle a adopté la loi n° 2002-268 du 26 février 2002 relative à la coopération avec la Cour pénale internationale, créant notamment les articles 627-4 à 627-15 du code de procédure pénale qui permettent l'arrestation et la remise à la Cour pénale internationale des auteurs de crimes ou délits de guerre qu'elle ne peut juger en raison de la territorialité des faits et de la nationalité de l'auteur et de la victime.
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