Texte de la QUESTION :
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M. Jean-François Chossy appelle l'attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur l'application de la loi N° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. En adoptant le paragraphe 1de l'article 1er de cette loi, en vertu duquel « nul ne peut se prévaloir d'un préjudice du seul fait de sa naissance », le Parlement a entendu mettre un terme définitif à la jurisprudence « Perruche » de la Cour de cassation. Par un arrêt du 17 novembre 2000, cette juridiction auparavant avait admis qu'un enfant atteint d'un handicap incurable non décelé avant sa naissance à la suite d'une erreur médicale, pouvait demander au praticien réparation de son « préjudice » résultant de ce handicap et causé par sa faute, dès lors que sa mère affirmait qu'elle aurait avorté si elle avait été convenablement informée. C'est à l'issue de débats approfondis ayant mis en évidence les problèmes d'ordres juridique, éthique et social qu'elle soulevait ainsi que les risques qu'elle présentait pour la bonne organisation du système de santé et le traitement équitable de l'ensemble des personnes handicapées que l'action dite de vie préjudiciable exercée au nom de l'enfant a été proscrite. Aucune Cour suprême étrangère semble-t-il, n'a accueilli cette action et, à la différence de la Cour de cassation, le Conseil d'État l'a catégoriquement rejetée (14 février 1997, époux Quarez) Compte tenu de l'importance attachée au dispositif « anti-Perruche » le paragraphe III de l'article 1er de la loi susvisée a prévu qu'elle était applicable aux instances en cours à l'exclusion de celles où il avait été irrévocablement statué sur le principe de l'indemnisation. Dans un premier temps, la Cour de cassation (1ère chambre civile) s'est conformée à la loi en disant qu'elle était d'application immédiate (29 juin 2004, pourvoi n° 02-15918). Toutefois, s'appuyant sur deux arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme du 6 octobre 2005 ayant jugé que les dispositions de la loi du 4 mars 2002 limitant le droit à réparation des parents de l'enfant né handicapé n'étaient pas applicables aux instances en cours, la 1ère chambre civile de la Cour de cassation a aussitôt étendu ce choix jurisprudentiel à l'action de l'enfant. Pourtant, cette dernière action, prohibée à la différence de celle ouverte aux parents, n'a jamais été en cause devant les juges européens. Trois arrêts dont deux de cassation ont ainsi été rendus le 24 janvier 2006, tendant au maintien de la « jurisprudence Perruche ». Plus récemment, le 8 juillet 2008, la Cour de cassation a censuré une cour d'appel qui avait fait application de la loi du 4 mars 2002 à un médecin attrait devant les tribunaux après l'entrée en vigueur de celle-ci, au motif que seule était à prendre en considération la date du fait dommageable, qui était antérieure à la loi. Même si très peu de parents ont cherché à obtenir au nom de leur enfant né avec un handicap une indemnisation qui équivaut à sa mort symbolique, ont peut s'émouvoir d'une position qui s'oppose à la volonté clairement exprimée de la représentation nationale et s'inquiéter d'une pratique qui paraît traduire l'extension d'une jurisprudence européenne à une action prohibée. Il lui demande en conséquence de bien vouloir lui faire connaître son sentiment sur ce problème et comment elle entend faire en sorte que cette loi, expression de la volonté générale, soit pleinement respectée par l'ensemble des juridictions.
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Texte de la REPONSE :
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La garde des sceaux, ministre de la justice, fait connaître à l'honorable parlementaire que, ainsi qu'il le souligne, l'article 1er de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, qui prohibe, s'agissant de la réparation du préjudice subi du fait de la naissance d'un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse, l'action de l'enfant et qui exclut du préjudice des parents l'indemnisation des charges particulières découlant du handicap de l'enfant tout au long de sa vie, prévoit expressément son application aux instances en cours. Toutefois, plusieurs décisions ont été rendues par la Cour européenne des droits de l'homme aux termes desquelles « les considérations liées à l'éthique, à l'équité et à la bonne organisation du système de santé ne peuvent légitimer une rétroactivité [de la loi] dont l'effet a été de priver les requérants, sans indemnisation adéquate, d'une partie substantielle de leurs créances en réparation » de telle sorte qu'une « atteinte aussi radicale aux droits des intéressés a rompu le juste équilibre devant régner entre, d'une part, les exigences de l'intérêt général et, d'autre part, la sauvegarde du droit au respect des biens ». La Cour européenne des droits de l'homme a donc considéré que les dispositions relatives à l'application immédiate de l'article 1er de la loi précitée n'étaient pas conformes à l'article 1er du premier protocole additionnel de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. À la suite de ces décisions, la cour de cassation a jugé que les dispositions de la loi précitée n'étaient pas applicables à la réparation des préjudices subis par les parents et l'enfant, lorsque celui-ci est né avant l'entrée en vigueur de cette loi. Ce faisant, la haute juridiction n'a fait que tirer les conséquences des décisions rendues par la Cour européenne des droits de l'homme. En l'état de ces éléments, il n'est pas envisageable de remettre en cause cette jurisprudence, y compris par voie législative, sauf à prendre le risque de voir la France condamnée pour non-respect de la convention précitée.
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