FICHE QUESTION
13ème législature
Question N° : 81040  de  M.   Grosdidier François ( Union pour un Mouvement Populaire - Moselle ) QE
Ministère interrogé :  Travail, solidarité et fonction publique
Ministère attributaire :  Travail, solidarité et fonction publique
Question publiée au JO le :  15/06/2010  page :  6560
Réponse publiée au JO le :  09/11/2010  page :  12341
Rubrique :  entreprises
Tête d'analyse :  auto-entrepreneurs
Analyse :  statut. fraudes. lutte et prévention
Texte de la QUESTION : M. François Grosdidier appelle l'attention de M. le ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique sur une utilisation détournée éventuelle qui pourrait être faite du régime de l'auto-entrepreneur. En effet, certains organismes professionnels dénoncent l'encouragement, par certaines entreprises, de la transformation d'un contrat de travail en régime d'auto-entrepreneur. Une telle situation peut favoriser l'émergence d'une nouvelle précarité de l'emploi et du travail, ce qui n'est nullement un objectif poursuivi avec la création du régime de l'auto-entrepreneur. Il souhaiterait savoir si le Gouvernement dispose d'éléments en la matière et quelle est sa réflexion pour pallier ce type de déviance.
Texte de la REPONSE : Le ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique a pris connaissance avec intérêt de la question relative à l'utilisation détournée éventuelle du régime de l'auto-entrepreneur, susceptible de favoriser l'émergence d'une nouvelle précarité de l'emploi et du travail. Le régime de l'auto-entrepreneur a été créé pour simplifier la création et les déclarations sociales et fiscales d'entreprises individuelles relevant du régime fiscal de la micro-entreprise. Ce régime est donc destiné à dynamiser le véritable travail indépendant ; il n'a nullement été conçu pour couvrir l'externalisation abusive de salariés ou le recrutement de faux indépendants. Comme tous les entrepreneurs individuels, les auto-entrepreneurs sont par définition des travailleurs indépendants. Une activité indépendante se caractérise essentiellement par le fait que son auteur a pris librement l'initiative de la créer ou de la reprendre, qu'il conserve, pour son exercice, la maîtrise de l'organisation des tâches à effectuer et du matériel nécessaire, ainsi que de la recherche de la clientèle et des fournisseurs. Telle n'est pas la situation de personnes, salariées ou engagées dans un parcours de recherche d'emploi, à qui l'on demande de se déclarer comme auto-entrepreneur alors qu'elles travaillent en pratique sous l'autorité de leur ex-employeur ou de leur recruteur. Dans ce cas, la relation contractuelle peut fort bien, sous réserve de l'interprétation souveraine du juge, être requalifiée en contrat de travail. Il existe, certes, un principe juridique de présomption simple d'absence de contrat de travail, lorsqu'un entrepreneur indépendant est régulièrement immatriculé ou affilié au régime social des indépendants (art. L. 8221-6 du code du travail). Cependant les auto-entrepreneurs sont dispensés de l'obligation d'immatriculation (sauf s'ils exercent une activité artisanale, à titre principal), mais non de l'obligation de déclaration d'activité au régime social. Toutefois, et selon une jurisprudence constante, l'existence d'un contrat de travail ne dépend ni de la volonté des parties ni de la qualification donnée à la prestation effectuée (salaires, honoraires, indemnités, etc.), mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité du travailleur. Est ainsi considéré comme salarié celui qui accomplit un travail pour un employeur dans un lien de subordination juridique permanent. Il est défini comme « l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné » (Cass. soc. 13 novembre 1996, Société Générale). En cas de présomption d'externalisation abusive d'emploi salarié en auto-entrepreneur, il existe d'ores et déjà un important arsenal de mesures juridiques qui peuvent être mises en oeuvre pour poursuivre et sanctionner ce type d'abus de droit. Une action en requalification du contrat peut ainsi être introduite par un auto-entrepreneur devant le conseil des prud'hommes, s'il conteste le caractère indépendant de la relation contractuelle qui le lie à son donneur d'ordre, et estime ainsi être de facto lié par un contrat de travail. Aux prud'hommes, la preuve est faite par tous moyens. Le juge prend sa décision par intime conviction, après avoir analysé la relation concrète qui lie les parties selon la méthode dite du « faisceau d'indices ». Parmi les indices d'une relation salariée, peuvent être cités, sans que cela soit exhaustif : l'initiative même de la déclaration en auto-entrepreneur (« c'est M. X. qui m'a demandé de me déclarer comme auto-entrepreneur » : une démarche non spontanée, a priori incompatible avec le travail indépendant) ; l'existence d'une relation salariale antérieure avec le même employeur, pour des fonctions identiques ou proches ; un donneur d'ordre unique ; le respect d'horaires ; le respect de consignes autres que celles strictement nécessaires aux exigences de sécurité sur le lieu d'exercice, pour les personnes intervenantes, ou bien pour le client, ou encore pour la bonne livraison d'un produit ; une facturation au nombre d'heures ou en jours ; une absence ou une limitation forte d'initiatives dans le déroulement du travail : l'intégration à une équipe de travail salariée ; la fourniture de matériels ou équipements (sauf équipements importants ou de sécurité). Si la requalification est prononcée, elle se traduit par le paiement des salaires (avec les heures supplémentaires le cas échéant), primes congés, indemnités de toute nature correspondant à un poste de salarié équivalent, et ce depuis le début avéré de la relation de travail (en tout état de cause, le salaire ne peut être inférieur au salaire minimum interprofessionnel de croissance ou au minimum conventionnel s'il y en a un) ; l'octroi de dommages et intérêts pour préjudice matériel ou moral ; le paiement des cotisations sociales du régime général pour toute la durée de la relation contractuelle. Outre l'action en requalification du contrat, l'auto-entrepreneur peut avoir recours à la poursuite pour travail dissimulé. En droit, le fait de maquiller sciemment une relation salariale en contrat d'entreprise ou de régie, ou en paiement en honoraires de prestations de service ponctuelles ou régulières, pour échapper à ses obligations d'employeur, est équivalent à faire travailler un salarié de façon non déclarée ou sous déclarée. Cette fraude est donc constitutive de travail dissimulé, dans les conditions précisées à l'article L. 822-6 II du code du travail. Il s'agit de l'une des infractions du code du travail la plus lourdement sanctionnée. Les poursuites peuvent être engagées par le parquet suite à procès-verbal d'un corps de contrôle (l'inspection du travail, les Unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales [URSSAF], voire la police, la gendarmerie ou les impôts), ou bien suite à dépôt de plainte de salariés ou d'une organisation syndicale, ou encore suite à citation directe par le salarié auprès du procureur de la République. L'infraction de travail dissimulé peut donner lieu à de lourdes sanctions pénales (trois ans d'emprisonnement et 45 000 EUR d'amende, voire plus si la victime est mineure), administratives (inéligibilité aux aides à l'emploi et à la formation professionnelle ainsi qu'à l'accès aux marchés publics), et civiles, à l'instar de l'action civile en requalification décrite plus haut. D'autres sanctions pénales peuvent d'ailleurs être prononcées au surplus, selon les situations rencontrées, telles que l'abus de vulnérabilité (articles 225-13 et 14 du code pénal) ; si, par exemple, l'employeur est convaincu d'avoir abusé de la faiblesse intellectuelle, de la situation sociale ou économique du salarié ou encore de son manque de maîtrise de la langue française, ou bien d'avoir procédé à des pressions à son encontre, ou encore si le salarié est soumis à des conditions de travail incompatibles avec la dignité humaine ; l'emploi irrégulier d'étranger, si le salarié est un étranger dépourvu d'autorisation de travail (art. L. 8251-1 du code du travail). Les pouvoirs publics sont fortement mobilisés sur cette question. Le Gouvernement a clairement indiqué qu'il souhaitait renforcer l'information sur le caractère illégal et les risques de toute pratique visant à dissimuler une relation salariale de subordination sous la forme d'une relation commerciale de sous-traitance. Il a en outre affirmé que des contrôles seraient effectués par les différents services concernés (l'inspection du travail, les URSSAF, l'administration fiscale) afin de vérifier le respect du droit rappelé ci-dessus.
UMP 13 REP_PUB Lorraine O