Rubrique > agriculture
Tête d'analyse > viticulture
Analyse > zones non traitées. bordure d'habitations. conséquences.
M. Jean-Claude Mathis attire l'attention de M. le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement sur les inquiétudes exprimées par le secteur viticole concernant la création de la zone non traitée « en bordure des lieux d'habitation ». Les professionnels estiment en effet que la perspective de cette création, compte tenu des particularités du vignoble français, augure d'un recul considérable de la vigne sur plusieurs milliers d'hectares. En effet, une vigne non traitée doit être arrachée car non seulement sa production serait le plus souvent inexistante mais encore elle participerait à la propagation des maladies. Le vignoble français couvre moins de 3 % de la surface agricole utile et environ la moitié est en appellation d'origine contrôlée. S'il génère 15 % de la valeur de la ferme France, selon FranceAgriMer, 80 % de cette valeur est réalisé sur le parcellaire AOC. C'est-à-dire que 12 % de la valeur de la ferme France est généré sur environ 1,5 % de la surface agricole de notre pays. Outre que la vigne est une plante pérenne mise en place pour plusieurs décennies qui nécessite de lourds investissements amortis sur plusieurs années, le vignoble AOC n'est par ailleurs pas substituable au gré des contraintes nouvelles qui apparaissent. En effet, les zones classées sont déterminées à l'échelle de la parcelle cadastrale en fonction de critères qualitatifs objectifs. Cette délimitation parcellaire arrêtée par l'INAO sur la base d'expertises des terrains et après enquête publique a pour conséquence que le vignoble AOC n'est pas déplaçable d'un territoire à un autre. Si la vigne est présente dans une soixantaine de départements, le vignoble est cependant à 95 % situé sur une trentaine de départements avec une présence supérieure à 5 000 hectares. Selon Agreste, la viticulture est une activité urbaine à hauteur de 9 % et périurbaine à 35 %. Si la question d'une zone non traitée en bordure des lieux d'habitation se poserait pour l'ensemble du vignoble par proximité des villages et de l'habitat diffus, il reste que la proximité avec les lieux d'habitation est un fait saillant et souvent recherché par nos concitoyens. De nombreux vignobles à forte réputation sont situés en milieu urbain. C'est le cas pour certaines propriétés célèbres totalement enclavées, certaines appellations tout aussi renommées sont également implantées sur des territoires urbanisés. Toujours selon Agreste, on cultive, dans des ensembles de plus de 10 000 habitants, 500 hectares de Châteauneuf-du-Pape, 400 hectares de l'appellation Beaune et 300 destinés à chacune des appellations Champagne, Pomerol ou Pessac-Léognan. La vigne présente depuis plusieurs générations se voit déjà très souvent grignotée par l'urbanisation. L'utilisation d'outils SIG performants permet aux professionnels d'affirmer qu'une zone de non traitement pourrait entraîner un recul du vignoble alsacien de 7 %, soit environ 1 000 hectares sur 15 000. Ils ne seront pas substitués. Sur la commune de Bourg-Saint-Andéol en Ardèche, dans les Côtes-du-Rhône, 381 parcelles dans la commune seraient impactées, soit 42 %. Ces parcelles qui représentent une somme de 155 hectares plantés pourraient se voir amputer de 24,3 hectares par application d'une telle ZNT. On multipliera à l'envi ces situations sur l'ensemble du vignoble. Outre les effets dévastateurs pour le parcellaire viticole, les conséquences pourraient également se faire ressentir bien au-delà des superficies directement concernées au niveau des exploitations. En effet, dans certains vignobles, comme la Bourgogne ou la Champagne, les parcelles peuvent être de quelques ares. C'est donc parfois toute la parcelle qui devra être arrachée. Dans d'autres situations, quand les exploitations sont de petites dimensions (deux à trois hectares), c'est l'équilibre économique de l'exploitation qui sera impacté. Ces arrachages ne pourront pas être compensés par des augmentations de rendement à l'hectare, qui sont plafonnés pour préserver la qualité des vins, d'une part, et le plus souvent compte tenu des aléas climatiques qui ne sont pas atteints une année sur deux, d'autre part. Dans de nombreuses exploitations, ces arrachages auront des conséquences sur leur capacité à produire l'AOC si le respect de l'équilibre de l'encépagement n'est plus respecté. La profession ne comprend pas la logique d'une ZNT en bordure des lieux d'habitation alors même que cela ne constituait pas une des recommandations du rapport sénatorial de Mme Bonnefoy en 2012 intitulé « Pesticides : Vers le risque zéro », que cela n'a pas été la conclusion du débat parlementaire dans la loi d'avenir pour l'agriculture et la forêt en 2014 et enfin que cela constitue une remise en cause des autorisations de mise en marché pour lesquelles le risque riverains est manifestement évalué. Il ressort ainsi du règlement communautaire que le « risque riverains » doit être spécifiquement évalué en vue de l'autorisation de mise en marché. Dans ces conditions, pour que l'arrêté en discussion puisse fixer une ZNT riverains par précaution pour l'ensemble des produits, encore faudrait-il que cette nécessité soit justifiée, notamment par des éléments sérieux sur la preuve que les taux d'exposition au-delà des parcelles traitées constituent un risque avéré pour les populations riveraines. Les professionnels craignent en réalité de devoir faire face à une proposition disproportionnée dans le but de calmer les inquiétudes de nos concitoyens, lesquelles sont régulièrement alimentées par les médias, sans discernement. Ils sont sensibles aux alertes sur les conditions d'utilisation des produits phytosanitaires depuis des années, leurs pratiques ont évolué et continuent d'évoluer, les viticulteurs ne sont-ils pas eux-mêmes les riverains de leurs propres parcelles, avec leurs amis, leurs familles, leurs enfants ? Si des études épidémiologiques démontrent un risque sérieux pour les riverains, les pouvoirs publics doivent retirer les AMM. C'est pourquoi il lui demande que la raison l'emporte dans ce dossier pour que la création de ces zones non traitées ne renforce pas inutilement les tensions entre les viticulteurs et leurs voisins.