14ème législature

Question N° 100937
de M. François-Michel Lambert (Socialiste, écologiste et républicain - Bouches-du-Rhône )
Question écrite
Ministère interrogé > Commerce extérieur, tourisme et Français de l'étranger
Ministère attributaire > Commerce extérieur, promotion du tourisme et Français de l'étranger

Rubrique > entreprises

Tête d'analyse > investissements

Analyse > États-Unis. législation. champ d'application.

Question publiée au JO le : 29/11/2016 page : 9714
Réponse publiée au JO le : 07/02/2017 page : 1038
Date de changement d'attribution: 07/12/2016

Texte de la question

M. François-Michel Lambert attire l'attention de M. le secrétaire d'État, auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger sur l'application extraterritoriale du droit américain et sur l'implantation des entreprises française à Cuba. Le 5 octobre 2016, la commission des affaires étrangères et la commission des finances ont conjointement présenté un rapport de la mission d'information sur l'application extraterritoriale de la législation américaine. Ce rapport confirme l'analyse selon laquelle les États-Unis utilisent leur législation fédérale pour consolider leur domination économique et géopolitique. Les juridictions et les administrations des États-Unis ont fait preuve d'une extensivité illimitée dans l'application des lois Helms-Burton et Amato-Kennedy et d'un grand nombre de règles instituant des restrictions économiques telles que des mesures d'embargo et de sanction. L'application extraterritoriale de la législation américaine sur l'embargo de Cuba a donné lieu à une condamnation extrêmement lourde pour la société BNP Paribas, qui a dû régler une amende de 8,9 milliards de dollars. Cette condamnation prononcée en 2015 porte sur des transactions effectuées avec des pays tels que l'Iran ou Cuba, c'est-à-dire sous embargo américain mais pas sous embargo français. Les États-Unis reprochaient à la BNP de contrevenir à la loi américaine de façon systématique alors même qu'aucun élément ne relie les transactions litigieuses aux États-Unis ou ne fonde la compétence territoriale ou personnelle des tribunaux américains. Par ailleurs, en décembre 2015, les représentants du Club de Paris et du gouvernement cubain sont parvenus à un accord d'apurement total de la dette de Cuba. Dès lors, les agences de crédit-export des membres du Club de Paris qui le souhaitent, peuvent reprendre leurs activités de crédit à l'exportation à destination de Cuba. Très régulièrement, des résolutions sur la « nécessité de mettre fin au blocus économique, commercial et financier imposé par les États-Unis d'Amérique à Cuba » sont adoptées aux Nations Unis. En 2016 et pour la première fois depuis 1992, aucun pays ne s'est opposé au texte. En effet, les États-Unis et Israël ont choisi de s'abstenir et d'infléchir leurs positions sur la question. Toutefois, malgré le signal fort envoyé par la communauté internationale et les nombreux rapprochements diplomatiques initiés depuis quelques années, l'île de Cuba reste soumise à de nombreuses sanctions américaines qui rendent, de facto, impossible d'opérer des activités économiques. Les banques craignent le précédent de l'affaire BNP Paribas et redoutent le comportement extraterritorial des autorités américaines, en raison d'un maintien partiel des sanctions. Les craintes du secteur bancaire bloquent grandement les nombreux investisseurs français désireux de se positionner sur l'île. Pour pouvoir effectuer des échanges de toute nature avec Cuba, il reste nécessaire d'obtenir une autorisation expresse de l'autorité américaine et il s'agit d'une violation totale et directe de la souveraineté française et des pays du monde entier. Il lui demande quelles sont les mesures qu'il compte prendre pour rassurer le secteur bancaire et accompagner les investisseurs français qui souhaitent s'implanter à Cuba. Il lui demande également comment il compte protéger à l'avenir les banques et les entreprises françaises contre l'application extraterritoriale injustifiée du droit américain.

Texte de la réponse

La France entretient de longue date des relations avec Cuba et, sur la période récente, a œuvré de manière active à un renforcement des relations bilatérales. Après la visite de Laurent Fabius en avril 2014, le Président de la République a été, en mai 2015, le premier chef d'Etat occidental à se rendre en visite officielle à Cuba depuis la révolution de 1959, avant d'accueillir le Président Raul Castro en visite d'Etat en février 2016. La France fait partie des dix premiers partenaires commerciaux de Cuba et les entreprises françaises sont présentes dans les principaux secteurs de son économie. La France fut parmi les premiers Etats à dénoncer l'embargo américain sur Cuba et elle soutient chaque année, depuis 1992, à l'Assemblée générale des Nations unies la résolution qui le condamne. Elle s'est félicitée du rapprochement historique entre les Etats-Unis et Cuba opéré fin 2014, qui a conduit le Président Obama à prendre plusieurs séries de mesures significatives au cours des deux dernières années afin d'alléger cet embargo. Pour autant, seul le Congrès américain est habilité à décider de lever complètement l'embargo. La France continuera à appeler de ses vœux une évolution en ce sens comme l'a rappelé le Secrétaire d'Etat chargé du Commerce extérieur, de la promotion du Tourisme et des Français de l'étranger lors de son dernier déplacement sur l'île en octobre 2016. Le maintien de l'embargo américain contre Cuba n'empêche pas les opérateurs économiques français de nouer des relations avec leurs partenaires cubains. Plusieurs entreprises françaises sont implantées localement. Grâce à la diplomatie économique, des contrats majeurs ont pu être remportés ces derniers mois (tel que le contrat de modernisation et de gestion de l'aéroport de la Havane) et des projets d'investissements sont en cours de concrétisation. Les établissements bancaires font effectivement preuve d'une grande prudence dans leurs relations financières avec Cuba, mais le gouvernement français dispose d'outils afin d'accompagner les acteurs économiques dans leurs projets. Ainsi, la restructuration de la dette cubaine a permis l'ouverture en février 2016 de l'assurance-crédit à moyen et long terme pour les acheteurs souverains et la ligne d'assurance-crédit à court terme garantie par la Coface pour les exportations françaises de céréales et de biens d'équipement a été prorogée jusqu'à fin novembre 2017. Le Fonds d'études et d'aide au secteur privé (FASEP) et les prêts du Trésor sont également ouverts pour Cuba. Ces instruments permettent le financement de projets (infrastructures dans les domaines de l'eau, de l'énergie et des transports, formation professionnelle, technologies vertes innovantes, etc.) dont la réalisation fait appel à l'expertise et au savoir-faire français. L'accord bilatéral sur la dette a permis la création d'un fonds de contrevaleur visant à financer des projets franco-cubains. Enfin, le bureau de l'Agence française de développement de La Havane a été inauguré en octobre 2016. L'AFD est ainsi le premier bailleur de l'OCDE à intervenir en prêts dans le pays. Le bureau de Business France de La Havane se tient également à la disposition des entreprises françaises pour les accompagner dans le développement de leurs activités. La France a toujours été vigilante vis-à-vis de l'extraterritorialité des législations adoptées par des pays tiers. Elle avait ainsi adopté une loi de blocage en 1968 et soutenu l'adoption du règlement européen du 22 novembre 1996 en réponse aux lois Helms-Burton et D'Amato-Kennedy. Les points soulevés par le rapport de Karine Berger et Pierre Lellouche pour la mission parlementaire d'information commune à la commission des affaires étrangères et à la commission des finances, publié le 5 octobre, sont bien identifiés par les différents ministères concernés et font l'objet d'études approfondies. Le rapport envisage notamment une mise à jour du règlement européen « anti-boycott » (Règlement (CE) no 2271/96 du Conseil du 22 novembre 1996 portant protection contre les effets de l'application extraterritoriale d'une législation adoptée par un pays tiers, ainsi que des actions fondées sur elle ou en découlant), qui oblige les entreprises européennes à notifier toute sanction dont elle ferait l'objet notamment au titre du Cuban Liberty and Democratic Solidarity Act (ou loi Helms Burton) et de l'Iran and Libya sanctions Act (ou loi D'Amato-Kennedy) et leur interdit de coopérer avec les procédures engagées sur le fondement de ces actes et fait obstacle à ce que les décisions prises produisent des effets sur le territoire de l'Union. Au niveau national, la loi dite « Sapin2 » a apporté une première réponse législative en renforçant notre législation anticorruption. L'extraterritorialité du droit américain revêt plusieurs aspects, au-delà des enjeux économiques et financiers : remise en question de la souveraineté nationale des Etats et enjeu d'intelligence économique, compte tenu du caractère intrusif des procédures mises en œuvre par les juridictions américaines dans le cadre de leur enquête. Il est indispensable, pour protéger nos entreprises de développer une règle commune et une jurisprudence claire. C'est l'objectif d'une Europe qui défend ses positions et s'affirme comme puissance économique et commerciale sur la scène internationale. Il est clair que cette règle constitue un préalable à toute discussion avec les Etats-Unis, comme le Secrétaire d'Etat chargé du Commerce extérieur, de la promotion du Tourisme et des Français de l'étranger, Matthias Fekl, l'a fait valoir lors de la demande d'arrêt des négociations sur le TTIP en septembre 2016.