PRATIQUE DE LA MOTO EN MILIEU URBAIN
Mme la présidente. La parole est à Mme Audrey Linkenheld, pour exposer sa question, n° 1641, relative à la pratique de la moto en milieu urbain.
Mme Audrey Linkenheld. Monsieur le garde des sceaux, ministre de la justice, certains de nos quartiers sont le théâtre de rodéos à répétition de quads, motos ou scooter. Les riverains et les commerçants sont exaspérés de subir, chaque jour, la circulation abusive de ces engins. Avec la vitesse, le bruit, parfois l'odeur, ils ne peuvent plus se promener tranquillement, laisser les enfants jouer dehors, profiter des espaces verts ni même ouvrir leurs fenêtres.
Bien que très connu des élus locaux et des forces de l'ordre, ce phénomène ne peut malheureusement pas être jugulé. Certes, 20 000 contraventions sanctionnent chaque année ceux des conducteurs qui utilisent mal leur deux-roues motorisé ou leur quad. Nuisance sonore, non-port du casque, non-respect d'un stop ou d'un feu, dépassement par la droite, circulation à contresens, vitesse excessive, circulation sur piste cyclable, sur zone piétonne, conduite dangereuse, défaut d'immatriculation : la liste des infractions qui relèvent de la contravention est longue.
Pourtant, en l'état actuel du droit, les forces de l'ordre ne peuvent guère faire grand-chose pour les empêcher. Seule l'interception des individus sur le fait permettrait l'immobilisation immédiate du véhicule et l'identification du conducteur mais elle est concrètement presque impossible. On sait en effet qu'appréhender les conducteurs en infraction est une mission extrêmement délicate pour nos agents de sécurité, parce que toute course-poursuite présente un risque élevé d'accident pour le conducteur et les policiers ou gendarmes eux-mêmes, mais aussi pour les habitants. Même en cas d'identification préalable des individus en cause, grâce au non-port du casque ou à des moyens de vidéosurveillance, il reste impossible de procéder à leur interpellation
a posteriori, à domicile par exemple, car, pris isolément, chaque fait ne relève que de la simple contravention.
Face à l'exaspération des habitants, au sentiment d'impunité des chauffards et au constat d'impuissance des acteurs publics, plusieurs élus de ma circonscription ont, après consultation de leurs interlocuteurs de police et de justice, réfléchi à une piste, que je vous soumets ce matin et qu'ils sont prêts à étudier avec vous ou vos services. Ma question, monsieur le ministre, est donc la suivante : vous paraît-il envisageable que ces contraventions liées au rodéo soient requalifiées en délit, dès lors que différentes infractions se cumulent ou bien qu'il y a récidive ou intention réelle de nuire ? Cette requalification en délit permettrait enfin aux forces de l'ordre d'interpeller chez eux les chauffards concernés, sans prendre de risque pour eux-mêmes ou autrui, de les livrer à la justice et de saisir leur véhicule.
Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame Linkenheld, je ne peux que confirmer la réalité du phénomène des rodéos urbains, qui occasionnent incontestablement des nuisances pour les riverains et peuvent caractériser des infractions au code de la route. Vous l'avez rappelé, un certain nombre de ses comportements sont déjà susceptibles de faire l'objet de sanctions : le non-port du casque, la conduite à une vitesse excessive, le défaut de maîtrise, l'utilisation d'un système d'échappement non conforme ou encore la conduite d'un véhicule non homologué ou débridé.
Sur la base de cet arsenal, compte tenu de l'augmentation de l'usage intempestif de véhicules comme les quads ou les moto-cross sur la voie publique, les parquets poursuivent ces actes délictueux. Ils le font dans le but de permettre la saisie des véhicules incriminés, en vue de leur confiscation ultérieure par le tribunal. Concernant les mineurs, ils ordonnent des mesures de composition pénale comportant l'obligation, pour l'auteur des faits, de se dessaisir au profit de l'État de la chose qui a servi à commettre l'infraction.
Par ailleurs, dans les cas pertinents, sont également poursuivis, lorsqu'ils sont caractérisés, les délits suivants : la conduite sans permis, la conduite en état d'ivresse, la conduite sous l'emprise de stupéfiants, le refus d'obtempérer, le délit de fuite ou encore la mise en danger de la vie d'autrui. Les comportements de ce type font l'objet de réponses pénales fermes, qui s'appuient sur de nombreuses incriminations adaptées ; elles permettent d'apporter une réponse efficace, notamment grâce recours à la confiscation des véhicules en cause.
Objectivement, au vu de l'arsenal juridique existant, nous n'avons donc pas de raisons de modifier le droit. Puisque vous faites état de discussions avec des partenaires, notamment des services judiciaires, je vais demander au procureur de la République de votre ressort de me faire un point plus précis sur cette situation. En effet, s'il existe une demande de modification de la qualification des délits, il n'y a pas de raisons pour que nous ne l'étudiions pas.
Mme la présidente. La parole est à Mme Audrey Linkenheld.
Mme Audrey Linkenheld. Vous l'avez dit, quand l'infraction est caractérisée, elle peut effectivement être sanctionnée. Toute la difficulté réside dans la possibilité d'interpeller l'auteur de l'infraction. Bien souvent, les forces de police renoncent malheureusement à poursuivre l'auteur de l'infraction pour ne pas mettre en danger l'environnement immédiat. Tel est le vrai sujet : comment contourner l'impossibilité d'agir en flagrant délit, puisque les faits incriminés ne constituent pas un délit mais une contravention ? C'est sur ce sujet qu'ont réfléchi les élus et les acteurs locaux. Je salue donc votre proposition de travailler ensemble.