14ème législature

Question N° 29175
de M. Hervé Féron (Socialiste, républicain et citoyen - Meurthe-et-Moselle )
Question écrite
Ministère interrogé > Culture et communication
Ministère attributaire > Culture et communication

Rubrique > propriété intellectuelle

Tête d'analyse > droits d'auteur

Analyse > sociétés de perception. perspectives.

Question publiée au JO le : 11/06/2013 page : 5986
Réponse publiée au JO le : 06/08/2013 page : 8422

Texte de la question

M. Hervé Féron attire l'attention de Mme la ministre de la culture et de la communication sur la récente étude réalisée par la société civile pour l'administration des droits des artistes et musiciens interprètes (Adami) portant sur 662 contrats phonographiques. Selon cette dernière, quand un artiste signe un contrat avec sa maison de disques, le taux de rémunération officiel affiché avoisine généralement 10 % ; mais pour les ventes numériques, ce taux tombe à 5,1 %. En pratique, la rémunération des artistes se trouve amputée par toute une cascade d'abattements souvent abusifs que l'on retrouve cachés dans les contrats phonographiques. Fabrication, stockage, livraison retours sur invendus, si tous ces coûts issus du monde physique disparaissent à l'ère numérique, on pourrait légitimement être porté à penser que les artistes puissent être mieux payés qu'avant. Malheureusement, il n'en est rien. Il la remercie de bien vouloir lui faire connaître son avis sur cette situation paradoxale.

Texte de la réponse

La question du partage de la valeur se pose tout particulièrement dans le secteur de la musique, car il s'agit, parmi les principales industries culturelles, du secteur le plus avancé dans la transition numérique mais également du moins régulé. En effet, l'avènement du média numérique a bouleversé les pratiques issues du monde « physique » : diminution des prix unitaires de vente, émergence de nouvelles formes d'exploitation (gratuit financé par la publicité, abonnement illimité, bundle, etc.). Les tensions entre les acteurs sont donc fortes et s'expriment de manière récurrente. Ces tensions s'expriment tout particulièrement entre les producteurs phonographiques et les artistes-interprètes, au titre des droits voisins de ces derniers. Si les auteurs bénéficient de dispositions législatives favorables quant à la gestion de leurs droits et de leurs rémunérations, les artistes-interprètes n'ont pas l'assurance d'avoir une rémunération proportionnelle à l'exploitation de leurs contributions. En effet, les artistes-interprètes sont rémunérés par le biais des producteurs phonographiques, auxquels ils cèdent leurs droits dans le cadre d'un contrat d'artiste. Ce contrat prévoit le taux de redevance appliqué aux différents modes d'exploitation mais l'établissement de ce taux ne fait l'objet d'aucun encadrement, contrairement au cachet versé à l'artiste lors de l'enregistrement, qui est encadré par la convention collective de l'édition phonographique. C'est sur la contestation de l'établissement de ce taux que la Société civile pour l'administration des droits des artistes et musiciens interprètes (ADAMI) a commandé une étude au cabinet SB2 Consulting portant sur 662 contrats d'artistes signés entre 2009 et 2012, visant à faire un état des lieux des pratiques contractuelles. D'après cette étude, la plupart des contrats d'artistes étudiés renverraient aux clauses régissant l'exploitation physique pour la rémunération au titre des exploitations numériques. Ainsi, les abattements pratiqués, calqués sur le physique ou propres au numérique, conduiraient à des taux de redevance réels nettement inférieurs aux taux affichés. Les taux théoriques, de l'ordre de 8 à 12 % suivant les modes d'exploitation, amèneraient à des taux nets de 4,1 à 6,1 %. En outre, les contrats ne feraient pas mention des minimas garantis que les plateformes versent aux producteurs, les artistes-interprètes ne touchant donc aucune redevance à ce titre. Les organismes représentatifs des producteurs phonographiques contestent l'étude présentée par l'ADAMI, dont ils considèrent qu'elle présente des failles importantes : prise en compte uniquement des contrats d'exclusivité, pas d'analyse liée aux contrats de licence, ni aux auto-productions, etc. Le SNEP et l'UPFI se sont donc entendus pour missionner le cabinet Ernst & Young afin de mener une contre-expertise. Cette commande de contre-expertise fait écho aux propositions du rapport Lescure rendu le 13 mai dernier concernant notamment le partage de la valeur entre les acteurs. En effet, pour parvenir à une répartition de la valeur générée par l'exploitation de la musique en ligne plus équitable, le rapport Lescure propose un processus en deux étapes : tout d'abord, une phase de régulation négociée passant par une concertation entre les acteurs puis, si celle-ci n'aboutit pas, à un rééquilibrage du partage de la valeur passant par une gestion collective obligatoire des droits voisins. Le Gouvernement tient à étudier très précisément les propositions faites par le rapport Lescure sur ce point, tout en mesurant dûment au préalable les impacts économiques qu'aurait, le cas échéant, la mise en oeuvre d'une telle gestion collective obligatoire. L'analyse économique des impacts ne pourra toutefois être menée qu'à partir d'une vision précise et quantifiée de la chaîne des droits et du partage de la valeur. En effet, l'analyse présentée par l'ADAMI et sur laquelle reposent les propositions du rapport Lescure, aussi fiable soit-elle, ne permet pas de dresser un état des lieux exhaustif des équilibres économiques. De plus, les failles dénoncées par les producteurs dans cette étude ne permettent pas de considérer cette étude comme base de réflexion unique. Les producteurs signalent à cet égard un audit fourni par Universal Music France montrant que, dans les contrats d'artistes et les contrats de licence du groupe, les taux de redevance seraient à peu près identiques dans le numérique et le physique et ne subiraient aucun abattement. Ainsi, le ministère souhaite mener une phase de concertation préalable au cours de laquelle une étude pourrait être confiée à une personnalité indépendante sur l'ensemble de la chaîne des droits et du partage de la valeur.