réglementation
Question de :
M. François Brottes
Isère (5e circonscription) - Socialiste, républicain et citoyen
M. François Brottes attire l'attention de M. le ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé de l'économie sociale et solidaire et de la consommation, sur la notion de « déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties » figure à l'article L. 442-6 du code de commerce. Malgré la décision du Conseil constitutionnel n° 2010-83 QPC du 13 janvier 2011 et un jugement de la troisième chambre du tribunal de commerce d'Evry, celle-ci demeure trop vague pour véritablement sécuriser les relations contractuelles entre fournisseurs et distributeurs et ainsi leur permettre de s'adapter aux spécificités de l'approvisionnement propres à certains secteurs. Afin de limiter les incertitudes entourant cette notion et, par conséquent, les litiges entre les entreprises ou entre ces dernières et l'administration nés d'une mauvaise compréhension, il lui demande de bien vouloir lui indiquer de manière précise ce que recouvre la notion de « déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ».
Réponse publiée le 24 septembre 2013
La loi n° 2008-776 du 4 août 2008 dite de modernisation de l'économie (LME) a réformé en profondeur le cadre applicable aux relations commerciales. Elle a notamment abrogé les anciennes incriminations de l'abus de relation de dépendance et de puissance d'achat ou de vente et a également supprimé l'interdiction de discrimination abusive prévue à l'ancien article L. 442-6 I 1° . En contrepartie de cette plus grande liberté laissée aux opérateurs, la LME a instauré une nouvelle pratique commerciale restrictive de concurrence : le fait, pour tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de « soumettre ou tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties » (article L. 442-6 I 2° du code de commerce). Il est en effet dans l'intérêt du bon fonctionnement du marché que les abus sous toutes leurs formes puissent être réprimés afin de garantir une allocation efficiente des ressources dans la chaine économique. En créant la notion de déséquilibre significatif, notion volontairement large, le législateur de 2008 a fait le choix de la responsabilisation des acteurs économiques. Cet outil juridique, permet de sanctionner toute pratique ou clause qui traduit un déséquilibre significatif dans la relation commerciale. Il résulte du choix de renoncer à la méthode, qui prévalait antérieurement, consistant à décrire précisément dans la loi les clauses contractuelles ou pratiques prohibées. Les acteurs économiques s'efforçaient alors de contourner ces interdictions formulées de manière précise. Compte tenu de la diversité des opérateurs, des rapports de force et des pratiques sans cesse mouvantes, une relative généralité des termes était devenue une nécessité. C'est la nature transversale de la notion de « déséquilibre significatif » qui en fait une arme efficace contre les abus. L'existence de cette sanction a précisément pour objet d'inciter les partenaires commerciaux à veiller, lors de la négociation du contrat, à ne pas y inclure de clause manifestement déséquilibrée. Une fois le contrat conclu, les acteurs économiques doivent demeurer vigilants, afin de se garder de toute pratique abusive dans la phase d'exécution du contrat. Le déséquilibre significatif a ainsi pour objet de jouer le rôle de garde fou contre les dérives pouvant résulter de la puissance d'achat ou de vente, en incitant les partenaires commerciaux les plus puissants à modérer les effets de leur supériorité dans la négociation et plus largement, dans la relation commerciale. Le Conseil constitutionnel, saisi de la question prioritaire de constitutionnalité n° 2010-85, a considéré par décision du 13 janvier 2011 que le déséquilibre significatif, incrimination destinée à sanctionner des pratiques complexes, était défini dans des termes suffisamment clair et précis pour ne pas méconnaître le principe de légalité des délits et des peines. Pour parvenir à cette conclusion, il a tout d'abord appuyé sa décision sur le fait que cette notion existe en droit de la consommation (article L. 132-1 du code de la consommation) et a considéré que « l'infraction [était] définie dans des conditions qui permettent au juge de se prononcer sans que son interprétation puisse encourir la critique d'arbitraire ». En second lieu, il a rappelé le rôle de la commission d'examen des pratiques commerciales (CEPC), prévue à l'article L. 440-1 du code de commerce, qui peut être consultée par les juridictions saisies de demandes fondées sur l'article L. 442-6 du code de commerce. En outre, la jurisprudence, depuis 2010, a précisé cette notion, permettant aux opérateurs d'avoir une meilleure visibilité sur les comportements prohibés par l'article L. 442-6 I 2° du code de commerce. Les décisions rendues concernent en partie les assignations dites « Novelli », lancées à l'automne 2009 par le ministre de l'économie contre 9 grandes enseignes de la distribution, mais aussi des décisions rendues sur demande des opérateurs économiques qui usent de ce fondement juridique dans leurs litiges. L'examen de la jurisprudence rendue sur les contentieux initiés par le ministre de l'économie ou dans lesquels le ministre est intervenu à l'instance (soit 1 décision définitive rendue en 2010, 4 décisions en 2011 faisant toutes l'objet d'un appel devant la Cour d'appel de Paris, 3 décisions en 2012 et à ce jour, 2 décisions en 2013 dont l'une de la Cour d'appel de Paris infirmant l'un des jugements rendus en 2012) montre que les juges motivent de manière très détaillée leurs décisions, ce qui permet d'appréhender plus clairement cette notion compte tenu des particularités de chaque espèce qui leur sont soumises. Par ailleurs, les juridictions qui ont à connaître du « déséquilibre significatif » au sens du code de commerce sont des juridictions spécialisées, ce qui assurera, à terme, une certaine unité à la jurisprudence. Sans être exhaustive, l'analyse issue des premières décisions rendues dans les affaires « Novelli » permet d'identifier les types de clauses pouvant entraîner un déséquilibre significatif. Il en ressort que : - l'uniformité et le systématisme des clauses, qui s'appliquent indifféremment à l'ensemble des partenaires commerciaux d'une même entité sont des indices de déséquilibre significatif accréditant l'absence de négociation possible (cf. jugement rendu le 7 septembre 2011 par le tribunal de commerce de Lille, jugement rendu le 24 janvier par le tribunal de commerce de Meaux et le 29 mai 2012 par le tribunal de commerce de Bobigny. Ainsi, le tribunal de Bobigny a notamment relevé que les clauses litigieuses avaient une portée large : elles n'étaient limitées ni dans le temps, ni à certains produits, et ni en ce qui concerne le montant des avoirs. Le tribunal de commerce de Lille avait auparavant relevé qu'un distributeur imposait à l'ensemble de ses fournisseurs un même taux de service, au demeurant très élevé, sans que ce taux ne soit modulé en fonction du fournisseur. Ces éléments participent du déséquilibre significatif ; - le déséquilibre peut également s'apprécier au regard du traitement différent réservé à chacun des cocontractants placés dans une situation équivalente (cf. jugement rendu le 6 janvier 2010 par le tribunal de commerce de Lille, et les jugements précités rendus le 7 septembre 2011 et le 24 janvier 2012). Ainsi, les divergences existant en matière de délais de paiement asymétriques (paiement des produits à 60 jours, paiement des services de coopération commerciale à 30 jours) entraînent un déséquilibre significatif, a fortiori lorsqu'elles sont corrélées à une obligation de paiement des services de coopération commerciale par acomptes sur un chiffre d'affaires prévisionnel non révisable ; - le transfert abusif à un cocontractant d'un risque relevant par principe de l'autre contractant est aussi signe de déséquilibre significatif (cf. jugement précité rendu le 29 mai 2012 : en l'espèce, via une clause de retour des produits, le risque de mévente des produits pesait sur le fournisseur et non sur le distributeur, qui détient pourtant les leviers de vente) ; - l'absence de commutativité et de contrepartie, ou encore le caractère potestatif d'une clause, sont également relevés (cf. jugement précité du 6 janvier 2010, et jugement du 6 décembre 2011 du tribunal de commerce de Meaux). La Cour d'appel de Paris a ainsi noté que : « Cette notion de déséquilibre significatif, inspirée du droit de la consommation, conduit à sanctionner par la responsabilité de son auteur, le fait pour un opérateur économique d'imposer à un partenaire des conditions commerciales telles que celui-ci ne reçoit qu'une contrepartie dont la valeur est disproportionnée de manière importante à ce qu'il donne » (CA Paris, pôle 5, chambre 5, 23 mai 2013, RG : 12/01166). Par ailleurs, l'administration elle-même avait, dès l'entrée en vigueur de la loi, et dans l'attente de la jurisprudence, publié des éléments d'appréciation du nouveau dispositif sur le site internet de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (http ://www. economie. gouv. fr/dgccrf/desequilibre-significatif) et dans la revue Concurrence et consommation. Cette analyse est en outre partagée par la doctrine universitaire spécialisée dans ce domaine : « Il se dégage de l'ensemble de ces décisions, l'évidence que le déséquilibre doit être apprécié, d'abord, dans la relation entre les parties (...). Le dispositif n'a pas pour finalité première de protéger contre un déséquilibre dans la connaissance technique ou l'expérience commerciale (ce qui correspond à l'approche subjective du déséquilibre en droit de la consommation), mais de corriger un déséquilibre dans le poids économique (approche objective en droit de la concurrence). » Concurrence-distribution par Didier Ferrier - Recueil Dalloz, 21 mars 2013. C'est d'ailleurs la combinaison de cette approche objective et de la relative généralité du texte qui permet d'appréhender des abus qui ne pourraient pas l'être sur le fondement d'un texte plus précis, en dépit de leur incompatibilité manifeste avec l'ordre public économique : ainsi, un distributeur a-t-il pu être condamné en première instance pour avoir demandé dans des courriers adressés à ses fournisseurs la restitution des sommes qui leur avaient été rendues par décision de justice à la suite d'une action du ministre. Ainsi, la notion de « déséquilibre significatif » est progressivement précisée par la jurisprudence. Le nombre croissant de décisions rendues ainsi que les travaux de la CEPC et le rôle actif des services du ministère de l'économie, en matière de contrôle mais également et surtout, en matière d'information permettent d'assurer la sécurité juridique nécessaire aux activités économiques ; cela relève également de la responsabilité des opérateurs et de leur vigilance, tant lors de la négociation que de l'exécution des contrats.
Auteur : M. François Brottes
Type de question : Question écrite
Rubrique : Commerce et artisanat
Ministère interrogé : Économie sociale et solidaire et consommation
Ministère répondant : Économie sociale et solidaire et consommation
Dates :
Question publiée le 18 juin 2013
Réponse publiée le 24 septembre 2013