14ème législature

Question N° 31160
de M. Guillaume Larrivé (Union pour un Mouvement Populaire - Yonne )
Question écrite
Ministère interrogé > Intérieur
Ministère attributaire > Affaires étrangères

Rubrique > prestations familiales

Tête d'analyse > conditions d'attribution

Analyse > arrêt de la Cour de cassation. conséquences.

Question publiée au JO le : 02/07/2013 page : 6831
Réponse publiée au JO le : 12/11/2013 page : 11799
Date de changement d'attribution: 27/08/2013
Date de renouvellement: 15/10/2013

Texte de la question

M. Guillaume Larrivé attire l'attention de M. le ministre de l'intérieur, chargé de l'immigration, sur les conséquences de l'arrêt n° 607 du 5 avril 2013 par lequel l'assemblée plénière de la Cour de cassation a écarté l'application des dispositions législatives et réglementaires qui subordonnent l'octroi de prestations familiales à la légalité de la procédure d'entrée en France des enfants étrangers. En effet, comme l'a rappelé la Cour, « les articles L. 512 2 et D. 512 2 du code de la sécurité sociale, dans leur rédaction issue respectivement de la loi n° 2005-1579 du 19 décembre 2005 et du décret n° 2006-234 du 27 février 2006, subordonnent le versement des prestations familiales à la production d'un document attestant d'une entrée régulière des enfants étrangers en France et, en particulier pour les enfants entrés au titre du regroupement familial, du certificat médical délivré par l'Office français de l'intégration et de l'immigration ». La Cour, certes, a jugé que « ces dispositions qui revêtent un caractère objectif justifié par la nécessité dans un État démocratique d'exercer un contrôle des conditions d'accueil des enfants, ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit à la vie familiale garanti par les articles 8 et 14 de la convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, ni ne méconnaissent les dispositions de la Convention internationale des droits de l'enfant ». Mais elle a jugé, en revanche, « qu'il se déduit de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJCE, 5 avril 1995, Krid, aff. C 103-94 ; CJCE, 15 janv. 1998, Babahenini, aff. C 113-97 ; CJCE (ord.), 13 juin 2006, Echouikh, aff. C 336-05 ; CJCE (ord.), 17 avril 2007, El Youssfi, aff. C 276-06) qu'en application de l'article 68 de l'accord euro-méditerranéen [...], d'effet direct, applicable aux prestations familiales en vertu des paragraphes 1 et 3, l'absence de toute discrimination fondée sur la nationalité dans le domaine d'application de l'accord implique qu'un ressortissant algérien résidant légalement dans un État membre soit traité de la même manière que les nationaux de l'État membre d'accueil, de sorte que la législation de cet État membre ne saurait soumettre l'octroi d'une prestation sociale à un tel ressortissant algérien à des conditions supplémentaires ou plus rigoureuses par rapport à celles applicables à ses propres ressortissants ; qu'il en résulte que l'application des articles L. 512 2, D. 512 1 et D. 512 2 du code de la sécurité sociale qui, en ce qu'ils soumettent le bénéfice des allocations familiales à la production du certificat médical délivré par l'Office français de l'intégration et de l'immigration à l'issue de la procédure de regroupement familial, instituent une discrimination directement fondée sur la nationalité, devait être écartée en l'espèce ». Le même raisonnement a été tenu par la Cour de cassation dans une seconde affaire, relative à l'application d'un accord d'association signé entre l'Union européenne et la Turquie. Il lui demande quelles conséquences le Gouvernement français entend tirer de ces décisions de la Cour de cassation. Il lui suggère de proposer au Président de la République qu'une renégociation urgente des articles 68 et 69 de l'accord euro-méditerranéen établissant une association entre la Communauté européenne et ses États membres, d'une part, et la République algérienne démocratique et populaire, d'autre part, signé le 22 avril 2002, ainsi que de la décision n° 2005/690/CE du Conseil, du 18 juillet 2005, concernant la conclusion de cet accord euro-méditerranéen, soit engagée à l'initiative de la France. Il en est de même pour l'accord avec la Turquie. Il serait inacceptable que l'interprétation faite par la Cour de cassation de ces stipulations internationales empêche la France de considérer que les allocations familiales ne sauraient être versées à des ressortissants étrangers lorsque, au mépris de nos lois, ils ont violé la procédure de regroupement familial.

Texte de la réponse

L'article 68, paragraphe 1, de l'accord euro-méditerranéen établissant une association entre la Communauté européenne et ses États membres, d'une part, et la République algérienne démocratique et populaire, d'autre part, prévoit que les travailleurs algériens et les membres de leur famille résidant avec eux bénéficient, dans le domaine de la sécurité sociale, et notamment des prestations familiales, d'un régime caractérisé par l'absence de toute discrimination fondée sur la nationalité par rapport aux propres ressortissants des Etats membres dans lesquels ils sont occupés. L'article 68, paragraphe 3, de cet accord précise que ces travailleurs bénéficient des prestations familiales pour les membres de leur famille résidant à l'intérieur de la Communauté. Pour sa part, l'accord d'association conclu entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d'une part, et la Turquie, d'autre part, contient des stipulations rédigées en des termes similaires. Il convient également de rappeler que les articles L. 512-2 et D. 512-2 du code de la sécurité sociale subordonnent le versement de prestations familiales au titre d'un enfant étranger à la production d'un document attestant de la régularité de l'entrée et du séjour de cet enfant en France et, en particulier pour les enfants entrés au titre du regroupement familial, du certificat médical délivré par l'Office français de l'intégration et de l'immigration à l'issue de la procédure. Dans ses deux arrêts d'Assemblée plénière du 5 avril 2013, la Cour de cassation a tout d'abord considéré que le principe de non-discrimination fondé sur la nationalité qui est prévu dans ces accords est invocable par les justiciables. Ensuite, la Cour de cassation a constaté que les articles L. 512-2 et D. 512-2 du code de la sécurité sociale soumettent l'octroi de prestations familiales demandées par un ressortissant étranger au titre de l'un des membres de sa famille lui-même ressortissant étranger à la production d'un certificat médical qui n'est délivré qu'à l'issue de la procédure de regroupement familial, alors que cette condition n'est pas exigée s'agissant d'un ressortissant français qui sollicite des prestations au titre d'un enfant étranger. La Cour de cassation en déduit que ces dispositions du code de la sécurité sociale sont contraires au principe de non-discrimination fondé sur la nationalité par rapport aux propres ressortissants des Etats membres prévu dans l'accord euro-méditerranéen conclu avec l'Algérie et à l'accord d'association conclu avec la Turquie. S'agissant des conséquences que le gouvernement français entend tirer de ces arrêts de la Cour de cassation, et en particulier, de l'hypothèse d'une renégociation de ces accords à l'initiative de la France, il convient d'indiquer qu'une telle éventualité impliquerait de convaincre la Commission ainsi que tous les Etats membres, qui sont parties à ces accords, de la nécessité de rouvrir des négociations avec ses partenaires turcs et algériens en ce qui concerne les conditions d'octroi des prestations sociales à leurs ressortissants. L'entrée en vigueur de ces accords après renégociation serait donc particulièrement éloignée puisqu'il conviendrait de prévoir, premièrement, le temps nécessaire pour convaincre la Commission et les partenaires européens de la France de proposer la réouverture de la négociation de l'accord euro-méditerranéen avec l'Algérie et de l'accord d'association avec la Turquie, deuxièmement, la durée inhérente à toute négociation, celle-ci en l'espèce paraissant particulièrement difficile, et, troisièmement, le délai nécessaire pour permettre à chacun des partenaires concernés, européens, algérien et turc, de mener à bien leurs procédures internes de ratification, qui supposeront certainement dans de nombreux pays une autorisation parlementaire. Par ailleurs, l'article 11 de la directive 2003/109/CE du Conseil, du 25 novembre 2003, relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée prévoit que les ressortissants de pays tiers résidents de longue durée bénéficient de l'égalité de traitement avec les nationaux notamment en matière de sécurité sociale. En outre, l'article 3, paragraphe 3, sous a, de la directive 2003/109/CE précise que cette directive s'applique sans préjudice des stipulations plus favorables des accords bilatéraux et multilatéraux conclus entre la Communauté ou la Communauté et ses Etats membres, d'une part, et des pays tiers, d'autre part. Ainsi, cette directive, qui ne concerne pas tous les ressortissants des Etats tiers mais seulement les résidents de longue durée, prévoit la même clause de non-discrimination que celle qui a fait l'objet des arrêts de la Cour de cassation et que la renégociation envisagée par le député viserait à contourner. Une éventuelle renégociation des accords avec l'Algérie et la Turquie visant à soumettre l'octroi de prestations familiales à l'obtention d'un certificat médical délivré à l'issue de la procédure de regroupement familial pourrait par conséquent être neutralisée par l'application de la directive 2003/109/CE, s'agissant des résidents de longue durée.