réglementation
Question de :
M. René Rouquet
Val-de-Marne (9e circonscription) - Socialiste, écologiste et républicain
M. René Rouquet attire l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur le placement de migrants n'ayant pas atteint l'âge de la majorité légale en centre de rétention administrative. Par un arrêt rendu le 19 janvier 2012, la Cour européenne des droits de l'Homme a condamné la France pour violation de trois articles de la convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales. Dans cette affaire, deux enfants alors âgés de cinq mois et de trois ans avaient été placés pendant quinze jours dans un centre de rétention administrative en compagnie de leurs deux parents, des demandeurs d'asile de nationalité kazakhstanaise. La cour de Strasbourg a considéré qu'une telle situation contrevenait à l'article 3 de la convention qui interdit les traitements inhumains et dégradants car les locaux du centre de rétention d'Oissel étaient inadaptés à la présence d'enfants et les plaçaient dans une situation de particulière vulnérabilité, à l'article 5 qui garantit le droit à la liberté et à la sûreté car l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne prévoit pas que des mineurs puissent faire l'objet d'une mesure de placement en rétention, et enfin à l'article 8 qui consacre le droit au respect de la vie familiale car une telle situation nuit nécessairement à l'intérêt supérieur de l'enfant. La juridiction européenne ayant enjoint la France de mettre en oeuvre tous les moyens nécessaires pour limiter la rétention de familles ayant des enfants mineurs, une circulaire émanant du ministère de l'intérieur en date du 6 juillet 2012 prévoit de substituer le mécanisme de l'assignation à résidence à celui du placement en centre de rétention administrative, qui ne doit à présent être utilisé qu'en tout dernier recours et après un examen circonstancié de la situation par le préfet de département. Or, depuis la publication de cette circulaire, d'autres enfants ont subi la décision de placement en centre de rétention prononcée à l'égard de leurs parents, et ce malgré une intervention systématique du défenseur des droits. Si les différentes sections de la Cour européenne des droits de l'Homme esquissent pour le moment de manière impressionniste la ligne jurisprudentielle relative à la rétention des mineurs, il semble inéluctable qu'à terme elles harmoniseront leur jurisprudence et enjoindront les derniers États européens qui ont recours à cette pratique, dont la France, à la prohiber en toutes circonstances. Il lui demande donc s'il entend clarifier les dispositions du CESEDA et affiner la circulaire du 6 juillet 2012, en interdisant explicitement le placement en centre de rétention administrative des migrants n'ayant pas atteint l'âge de la majorité légale, afin d'éviter que la France ne soit à nouveau vue par le juge européen comme une des moins bonnes garantes de la protection des libertés fondamentales à l'échelle de notre continent.
Réponse en séance, et publiée le 14 juin 2013
RÉTENTION ADMINISTRATIVE DES MINEURS
Mme la présidente. La parole est à M. René Rouquet, pour exposer sa question, n° 359, relative à la rétention administrative des mineurs.M. René Rouquet. Monsieur le ministre délégué chargé de la ville, ma question, qui s'adresse à M. le ministre de l'intérieur, porte sur la situation des migrants n'ayant pas atteint l'âge de la majorité légale et placés en centre de rétention administrative.
L'an dernier, la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme pour ne pas avoir fait respecter trois libertés protégées par la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : l'interdiction des traitements inhumains et dégradants, le droit à la liberté et à la sûreté, ainsi que le droit au respect de la vie familiale. Cette condamnation faisait suite au placement en centre de rétention administrative, pendant une quinzaine de jours, d'une famille de demandeurs d'asile comprenant deux enfants alors âgés de cinq mois et trois ans.
Les services du ministère ont publié une circulaire au mois de juillet dernier, par laquelle le mécanisme de l'assignation à résidence est désormais privilégié par rapport à celui du placement en centre de rétention administrative pour les demandeurs d'asile. Pourtant, depuis la publication de cette circulaire, d'autres enfants ont subi la décision de placement en centre de rétention prononcée à l'égard de leurs parents. Certains d'entre eux ont, par exemple, séjourné au centre d'Oissel, qui se caractérise par sa vétusté et par le délabrement de ses locaux.
En ma qualité de membre de la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, j'ai pu visiter des centres de rétention, notamment dans la région d'Evros, en Grèce, et à Geispolsheim, en Alsace. J'ai pu voir à quel point les conditions de vie y sont difficiles, et plus particulièrement pour les personnes fragiles, comme les femmes seules, souvent abandonnées à leur triste sort avec leurs enfants.
À l'heure où la voix de la France dispose d'un poids de plus en plus important dans l'enceinte du Palais de l'Europe, il serait important que notre pays adopte une position claire au sujet de la rétention des migrants mineurs, et soit l'un des premiers États à prohiber cette pratique d'un autre âge sur notre continent.
Monsieur le ministre, je vous remercie de m'indiquer si le Gouvernement entend évoluer sur cette question et si une clarification des dispositions contenues dans la circulaire du 6 juillet 2012 est envisageable dans les mois à venir.
M. Émeric Bréhier. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué chargé de la ville.
M. François Lamy, ministre délégué chargé de la ville. Monsieur le député, je vous prie d'excuser l'absence de Manuel Valls, retenu au Sénat.
Comme vous l'avez rappelé, dans son arrêt rendu le 19 janvier 2011, Popov contre France, la Cour européenne des droits de l'homme a condamné la France dans une affaire de placement en rétention d'un couple d'étrangers en situation irrégulière accompagné de ses enfants mineurs âgés respectivement de cinq mois et de trois ans.
La question posée par cet arrêt était de savoir si le droit interne et l'application qui en était faite autorisaient la présence des mineurs dans un centre de rétention en conformité avec les normes européennes. Or, la Cour a considéré que " les conditions dans lesquelles les enfants requérants furent maintenus n'étaient pas adaptées à leur âge ", notamment en raison d'infrastructures très sommaires et non pensées pour recevoir des enfants et de mobiliers inadéquats - pas de lits d'enfant, présence de lits d'adulte comportant des angles pouvant présenter un danger potentiel. La Cour en a déduit que la durée de rétention, même limitée à quinze jours dans le cas d'espèce, et en raison du bas âge des enfants, n'a pas permis de leur assurer un traitement conforme avec les dispositions de l'article 3 de la Convention.
En la matière, le Gouvernement a souhaité agir très rapidement, dans le cadre de l'engagement pris par le Président de la République. Ainsi, la circulaire du 6 juillet 2012 indique aux préfets qu'il convient, dans l'intérêt supérieur de l'enfant, de privilégier l'assignation à résidence pour les étrangers en situation irrégulière accompagnés de leurs enfants mineurs, une mesure moins coercitive, bien entendu, que la rétention.
Cette circulaire étend considérablement l'assignation à résidence, puisqu'elle s'adresse aussi aux familles ne disposant pas d'un hébergement stable. Dans ce cas, une structure de type hôtelier doit être recherchée. La circulaire invite également les préfets à retenir une solution d'assignation à résidence, même pour les familles dont les garanties de représentation effectives sont considérées comme faibles ou dont le comportement laisse à penser qu'elles pourraient se soustraire à leurs obligations.
Ce n'est que lorsque les familles concernées ont fait l'objet d'une assignation à résidence et se sont soustraites à leurs obligations qu'elles peuvent faire l'objet d'un placement en rétention en cas d'interpellation ultérieure. Dans ce cas, en application de la directive " retour ", cette durée de placement en centre de rétention administrative doit être la plus brève possible. Ainsi, au terme de cette circulaire, il n'y a plus de primo-placement de parents accompagnés d'enfants mineurs. Il en résulte que, depuis sa mise en oeuvre, sept familles ont été placées en centre de rétention pour des durées très, très brèves, pour la plupart suite au non respect des obligations de l'assignation à résidence. À titre de comparaison, plus de 200 familles avec enfants avaient été placées en rétention sur la même période en 2011-2012.
Monsieur le député, un bilan de la mise en oeuvre de la circulaire du 6 juillet 2012 a été lancé auprès des préfectures. La représentation nationale sera évidemment informée de ses conclusions.
Mme la présidente. La parole est à M. René Rouquet.
M. René Rouquet. Monsieur le ministre, je vous remercie pour votre réponse, qui va dans le bon sens et concrétise un engagement de longue date du Président de la République. Je pense que nous devons veiller à rester très réactifs dans les mois qui viennent, notamment en donnant des instructions très précises aux préfectures. Le Conseil de l'Europe, qui suit ces questions de près, en particulier à travers la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées, y sera très attentif. Monsieur le ministre, encore merci de votre réponse.
Auteur : M. René Rouquet
Type de question : Question orale
Rubrique : Étrangers
Ministère interrogé : Intérieur
Ministère répondant : Intérieur
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 4 juin 2013