14ème législature

Question N° 37404
de M. Olivier Faure (Socialiste, républicain et citoyen - Seine-et-Marne )
Question écrite
Ministère interrogé > Affaires étrangères
Ministère attributaire > Affaires étrangères

Rubrique > famille

Tête d'analyse > mariage

Analyse > loi interne. droit international. conciliation.

Question publiée au JO le : 17/09/2013 page : 9533
Réponse publiée au JO le : 04/02/2014 page : 1034

Texte de la question

M. Olivier Faure interroge M. le ministre des affaires étrangères sur les difficultés d'interprétation de la règle de conflit de lois en matière de mariage. Selon l'article 202 du code civil, les règles applicables pour chacun des époux de nationalité différente sont celles de la loi de l'État dont il est ressortissant. La loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe a introduit une exception, précisant que « deux personnes de même sexe peuvent contracter mariage lorsque, pour au moins l'une d'elles, soit sa loi personnelle, soit la loi de l'État sur le territoire duquel elle a son domicile ou sa résidence le permet ». Selon le principe de hiérarchie des normes, cette exception ne s'applique toutefois pas pour les ressortissants des États liés avec la France par une convention internationale, qui précise que c'est la loi personnelle de l'État d'origine qui s'applique. Ainsi, comme le rappelle votre circulaire, les ressortissants de la Pologne, du Maroc, de la Bosnie-Herzégovine, du Monténégro, de la Serbie, du Kosovo, de la Slovénie, du Cambodge, du Laos, de l'Algérie et de la Tunisie ne peuvent contracter un mariage avec une personne du même sexe, puisque leur pays ne le permet pas. Même si cela peut être expliqué par le droit et les accords binationaux, les personnes concernées, qui attendaient souvent depuis des années de pouvoir s'unir, considèrent cet état de fait comme une rupture d'égalité, voire comme une discrimination. Aussi il souhaiterait savoir quelles évolutions sont envisagées par le Gouvernement pour que le mariage pour tous soit une réalité pour les ressortissants des pays cités.

Texte de la réponse

Le ministre des affaires étrangères souhaite apporter les précisions suivantes sur l'articulation entre les engagements internationaux de la France et la loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe. Aux termes de l'article 202-1 alinéa 1 codifié dans le code civil par la loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, les conditions de fond du mariage sont régies, pour chacun des époux, par sa loi personnelle. Toutefois, en application de l'article 202-1 alinéa 2 inséré dans le code civil, deux personnes de même sexe peuvent contracter mariage lorsque, pour au moins l'une d'elles, soit sa loi personnelle, soit la loi de l'Etat de résidence l'autorise. Cette disposition dérogatoire au droit commun permet d'écarter la loi personnelle du ressortissant étranger qui ne connaît pas ou interdit le mariage entre deux personnes de même sexe, et de célébrer, en France, ce mariage dès lors que l'un des époux est français ou a sa résidence en France. Elle illustre clairement la volonté d'assurer une efficacité et une application les plus larges possibles de la réforme du mariage. Il reste que la France est engagée avec une dizaine de pays par des conventions bilatérales portant, directement ou indirectement, sur la loi personnelle applicable au mariage. Les Etats concernés ne disposent, pour aucun d'entre eux, d'une législation autorisant l'union entre deux personnes de même sexe. Or, conformément à l'article 55 de la Constitution, les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés et publiés ont une autorité supérieure à la loi. Par conséquent, et comme le rappelle la circulaire du 29 mai 2013 publiée au bulletin officiel du ministère de la justice du 31 mai 2013, lorsqu'un ressortissant étranger a la nationalité d'un des pays avec lesquels la France est liée par une telle convention, les dispositions spécifiques prévues à l'article 202-1 alinéa 2 du code civil ne peuvent a priori, en l'état du droit positif, recevoir application. L'officier d'état civil qui est confronté à une telle situation, doit cependant interroger le procureur de la République compétent. Celui-ci vérifiera si la convention s'applique effectivement au mariage projeté et s'assurera de l'existence d'une stipulation renvoyant, en matière de statut personnel, à la loi nationale de chacun des ressortissants des parties contractantes. En effet, ces accords bilatéraux ne comprennent pas tous des dispositions identiques : si certains se prononcent expressément sur la loi applicable aux conditions de fond du mariage, d'autres rattachent de façon plus générale la situation du Français à sa loi personnelle, sans évoquer expressément la situation du ressortissant du pays cocontractant. Un examen plus approfondi du texte de ces accords par le ministère des affaires étrangères a conduit à lever, pour certains d'entre eux, le problème de compatibilité avec les dispositions de la loi du 17 mai 2013. Ainsi, par dépêche du 1er août 2013 adressée aux procureurs généraux, le ministère de la justice a précisé que sous réserve de l'appréciation faite par les juridictions judiciaires, une interprétation plus souple des conventions avec le Laos, le Cambodge, l'Algérie et la Tunisie pourrait être envisagée dans la mesure où celles-ci n'opèrent pas de renvoi exprès à la loi personnelle du ressortissant étranger et que la célébration du mariage pourrait donc être admise, étant rappelé que le législateur a voulu donner la portée la plus large possible à la loi du 17 mai 2013 dans le respect de la hiérarchie des normes. S'agissant des autres conventions qui renvoient expressément à la loi nationale de chaque époux pour régir les conditions de fond du mariage, sous réserve de l'appréciation souveraine des juridictions, le mariage ne devrait pas pouvoir être célébré. L'éventuelle renégociation de tout ou partie de ces dernières conventions est un sujet délicat que le ministère des affaires étrangères a examiné avec grande attention. Cette possibilité se heurte à de véritables difficultés. Ces textes constituent d'abord un cadre protecteur des intérêts des ressortissants français à l'étranger. Ainsi, en matière de mariage, le principe du rattachement à la loi personnelle de chaque époux permet, entre autres, de protéger les ressortissants français qui se marient à l'étranger devant une autorité locale par l'exigence du respect des conditions prévues par la loi française (la comparution personnelle lors de la célébration du mariage, l'âge légal minimum, la prohibition de la bigamie, la nécessité d'un consentement libre et éclairé et d'une intention matrimoniale notamment). Ces accords ont en outre souvent un champ d'application plus vaste que la seule question de la loi personnelle applicable au mariage. Ils peuvent par exemple contenir des stipulations relatives à l'entraide judiciaire en matière civile et/ou pénale. Enfin, une éventuelle réouverture des discussions sur ces textes conduirait naturellement et légitimement les partenaires de la France à solliciter la remise en cause d'un certain nombre des dispositions avantageuses négociées dans des contextes bien particuliers. Au vu de ces différents éléments, il ne paraît pas, en l'état, opportun d'envisager une renégociation des instruments internationaux précités, d'autant que pourrait émerger une jurisprudence judiciaire sur la question de la célébration des mariages concernés. En effet, lorsque le procureur de la République compétent est saisi par l'officier de l'état civil d'un refus de célébration du mariage et qu'il confirme cette décision au vu des termes des conventions susvisées, les intéressés disposent de la possibilité de la contester devant le tribunal de grande instance compétent. La cour de cassation est actuellement saisie d'un pourvoi à l'encontre d'une décision de la cour d'appel de Chambéry, il lui appartient d'apprécier si la loi étrangère désignée par l'application desdites conventions doit être écartée en raison de sa contrariété à l'ordre public international français et, dans l'affirmative, d'autoriser la célébration du mariage en France.