14ème législature

Question N° 40654
de M. Jean-Jacques Urvoas (Socialiste, républicain et citoyen - Finistère )
Question écrite
Ministère interrogé > Intérieur
Ministère attributaire > Intérieur

Rubrique > ordre public

Tête d'analyse > procédure

Analyse > alcoolémie. perspectives.

Question publiée au JO le : 22/10/2013 page : 10985
Réponse publiée au JO le : 16/09/2014 page : 7814
Date de changement d'attribution: 27/08/2014

Texte de la question

M. Jean-Jacques Urvoas attire l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur la procédure d'ivresse publique et manifeste (IPM), qui consiste à interpeller des personnes en état d'ébriété manifeste sur la voie publique, à les placer en cellule de dégrisement et à leur infliger une amende. Deux circulaires des années 1970 ont en outre prévu qu'un examen médical soit effectué dans les services d'urgences hospitalières, aux fins d'apprécier si l'état de santé des personnes est compatible avec une rétention. En revanche, il n'existe aucune obligation de réaliser un test d'alcoolémie à cette occasion, l'état d'imprégnation alcoolique de la personne interpellée relevant de la libre appréciation des forces de l'ordre. Une telle carence introduit dans cette procédure une part de subjectivité, voire d'arbitraire difficilement compréhensible. Aussi, il l'interroge sur les raisons pour lesquels, afin de sécuriser le dispositif, un dépistage d'alcoolémie n'est pas systématiquement entrepris lors de ces examens médicaux.

Texte de la réponse

L'infraction d'ivresse publique et manifeste est prévue par les articles L. 3341-1 et R. 3353-1 du code de la santé publique et constitue une contravention de la deuxième classe. Dans sa décision n° 2012-253 QPC du 8 juin 2012, le Conseil Constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution les dispositions de l'article L. 3341-1 du code de la santé publique, et a considéré que le placement en chambre de sûreté relevait de la police administrative. Ce cadre juridique respecte également les exigences de l'article 5 (droit à la liberté et à la sûreté) de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 du Conseil de l'Europe. Les éléments constitutifs de l'infraction ont été précisés par la jurisprudence. « L'ivresse manifeste est un fait matériel qui peut être constaté à l'aide du témoignage des sens, sans qu'il soit nécessaire que le rapport qui l'atteste relate à l'appui des signes particuliers » (Cass. crim. , 24 avril 1990). L'ivresse « manifeste » constitue un fait matériel qui s'exprime dans le comportement de la personne, se produit aux yeux de tous et peut être constaté par tous. Si sa constatation ne s'appuie pas sur une mesure de l'alcoolémie, elle est donc appréciée de manière objective par les forces de l'ordre. Policiers et gendarmes fondent leur appréciation sur des critères issus des effets couramment constatés de la prise excessive d'alcool (comportement, regard, élocution, explications, équilibre, etc.) et donc sur des éléments factuels concernant l'état de l'individu. La Cour de cassation juge d'ailleurs que « les procès-verbaux dressés par les officiers ou agent de police judiciaire font foi jusqu'à preuve du contraire des contraventions qu'ils constatent » (Cass. Crim. , 22 mai 2013). Un dépistage d'alcoolémie serait contraire à l'esprit de la mesure. L'article L 3341-1 du code de santé publique ne sanctionne pas le dépassement d'un seuil d'alcoolémie, mais un état comportemental pouvant avoir des conséquences sur l'ordre public et pour la personne concernée. L'ivresse peut d'ailleurs également résulter de la consommation de produits stupéfiants. Il convient en effet de distinguer taux d'alcoolémie et effets de l'alcool. Au-delà des différences physiologiques entre hommes et femmes, la vitesse d'absorption de l'alcool varie également en fonction de nombreux facteurs : nature de la boisson, sujet à jeun ou pas, corpulence, prise de médicaments, fréquence de la consommation d'alcool, etc. Ainsi, deux personnes présentant un taux d'alcoolémie semblable peuvent ne pas réagir de la même manière, et donc ne pas présenter le même risque pour l'ordre public et pour elles-mêmes. Il s'ensuit que l'instauration d'un taux d'alcoolémie empêcherait les forces de l'ordre de préserver utilement l'ordre public, puisqu'un individu présentant un taux d'alcoolémie faible, mais provoquant chez lui agressivité et violence, ne pourrait pas être placé en sécurité le temps de son dégrisement. Par ailleurs, si les buts de la mesure d'ivresse publique et manifeste ne sont pas édictés par l'article L. 3341-1 précité, ils l'ont été par la jurisprudence. L'individu trouvé ivre sur la voie publique est conduit dans un local de police ou de gendarmerie ou dans une chambre de sûreté, pour y être retenu jusqu'à ce qu'il ait recouvré la raison. Cette mesure permet de prévenir les atteintes à l'ordre public (infractions, nuisances...). Elle permet également de protéger la personne dont il s'agit, qui peut, indépendamment du taux d'alcoolémie, représenter un danger pour elle-même. Les forces de l'ordre ont d'ailleurs le devoir de porter assistance à une personne en danger. La mesure est encadrée par deux circulaires du ministère de la santé des 16 juillet 1973 et 9 octobre 1975, qui prévoient un « bilan médical exact » afin d'apprécier si l'état de santé de la personne est compatible avec un placement en chambre de sûreté, et notamment de « déceler éventuellement certaines affections qui se manifestent par des signes analogues à ceux de l'ivresse ». Si la manifestation de l'état d'ivresse n'a pas juridiquement à être vérifiée par dépistage ou taux d'imprégnation, elle est ainsi rigoureusement établie par des observations factuelles et comportementales effectuées avec professionnalisme par les forces de l'ordre, et par un examen clinique effectué par un praticien médical. Il pourrait cependant être envisagé de faire évoluer les modalités de traitement des ivresses publiques et manifestes. L'abus de consommation d'alcool (comme de stupéfiants) est en effet un problème de santé publique bien avant d'être un problème d'ordre public. La prise en charge des personnes trouvées ivres sur la voie publique représente en outre une lourde charge qui obère parfois fortement la capacité opérationnelle des services de police.