14ème législature

Question N° 46192
de M. Gilbert Collard (Non inscrit - Gard )
Question écrite
Ministère interrogé > Justice
Ministère attributaire > Justice

Rubrique > justice

Tête d'analyse > Cour de cassation

Analyse > pourvoi suspensif. réglementation.

Question publiée au JO le : 17/12/2013 page : 13088
Réponse publiée au JO le : 25/11/2014 page : 9907
Date de changement d'attribution: 27/08/2014
Date de renouvellement: 25/03/2014
Date de renouvellement: 01/07/2014
Date de renouvellement: 04/11/2014

Texte de la question

M. Gilbert Collard attire l'attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur la question du caractère suspensif du pourvoi en cassation en ce qui concerne les sanctions disciplinaires dans le domaine des auxiliaires de justice appartenant à une profession réglementée. Sous réserve absolue de sa constitutionnalité, voire de sa conformité aux textes normatifs de l'Union européenne, le régime français disciplinaire des auxiliaires de justice appartenant à professions réglementées est parfaitement désordonné. La présente question ne traite pas le détail, et s'intéresse seulement au sort des décisions rendues par les juridictions d'appel en pareille matière. La règle est qu'on doit respecter les prérogatives du droit pénal pour la défense des professionnels. Cependant l'autre règle fondamentale est la même : s'agissant des auxiliaires de justice, la matière est civile. Ceci est littéralement rappelé notamment aux articles 38 du décret du 28 décembre 1973 applicable aux notaires, huissiers de justice et commissaires-priseurs, jadis aussi aux avoués, et 277 du décret du 27 novembre 1991 applicable aux avocats. Pour les avocats, les notaires, les huissiers de justice, les commissaires-priseurs, les administrateurs judiciaires et les mandataires judiciaires, les décisions de dernier ressort émanent des cours d'appel judiciaires. Elles peuvent toujours faire l'objet de pourvois devant la Cour de cassation. Or ces pourvois n'ont aucun effet suspensif. On imagine sans difficulté les conséquences dramatiques pour les professionnels concernés, voire pour les autorités de poursuite, éventuellement elles-mêmes poursuives pour dénonciations calomnieuses dans l'hypothèse de cassations. La pratique apprend en effet que, très souvent, la Cour de cassation est amenée à casser les décisions rendues, ne serait-ce que parce que la matière disciplinaire n'est pas du strict droit positif et laisse place à des interprétations d'usages locaux et professionnels, incompatibles avec le strict respect d'une loi claire et précise connue d'avance par tous. Or il n'existe à la Cour de cassation aucun mécanisme connu de sursis à l'exécution. Au contraire, l'exécution de la décision dont pourvoi conduit au traitement effectif de ce dernier. Pour les autres professionnels, l'ensemble de ceux de santé, ainsi que les experts comptables, la juridiction de cassation des décisions d'appel, qui n'est pas la cour d'appel judiciaire, est le Conseil d'État. La règle est également l'absence de principe d'effet suspensif des pourvois. Sauf, et c'est là l'exception absolue, que la formation de jugement du Conseil d'État a la possibilité, à la demande de l'auteur du pourvoi d'ordonner qu'il soit sursis à l'exécution d'une décision rendue en dernier ressort, si celle-ci risque d'entraîner des conséquences difficilement réparables et s'il existe des moyens invoqués paraissant sérieux, de nature à justifier l'annulation de la décision et l'infirmation de la solution retenue par les juges du fond. C'est l'art. R. 821-5-1 du code de justice administrative. La question posée à la garde des sceaux est donc double : y compris en exécution de la « directive services » de l'Union européenne, est-il concevable que la garantie des droits ouverts en cas de pourvoi en cassation devant le Conseil d'État soit plus importante que celle devant la Cour de cassation, suivant les professions réglementées concernées, dans une matière pourtant fondamentalement de même nature celle disciplinaire ; plus généralement, alors qu'il convient de garantir au professionnel poursuivi disciplinairement les droits les plus complets qui soient comme ceux en matière pénale, comment ne pas imposer dans les textes de droit positif le caractère suspensif de tous les pourvois en cassation en matière disciplinaire ? Quel qu'il soit, quoi qu'il ait fait, quoi qu'on lui reproche, le professionnel d'une activité réglementée, poursuivi au disciplinaire, doit avoir au moins les mêmes garanties que la loi accorde légitimement à tout criminel, délinquant, voire auteur d'une banale contravention de police. Il souhaiterait donc connaître la position de la chancellerie face à cette discordance injustifiée.

Texte de la réponse

À titre liminaire, il convient de rappeler que coexistent en France deux ordres de juridiction, l' ordre judiciaire et l'ordre administratif, qui sont soumis à des règles de procédure propres. Cependant, en matière de pourvoi en cassation, le principe est identique devant le juge administratif et devant le juge judiciaire : la procédure n'est en principe pas suspensive. C'est ainsi que l'article L. 4 du code de justice administrative prévoit que sauf dispositions législatives spéciales, les requêtes n'ont pas d'effet suspensif s'il n'en est autrement ordonné par la juridiction. De même, le pourvoi devant la Cour de cassation constitue une voie de recours extraordinaire qui, en application de l'article 579 du code de procédure civile, n'est pas suspensif d'exécution sauf si la loi en dispose autrement. Un tempérament, qui s'applique notamment dans la matière disciplinaire, a néanmoins été apporté à cette règle tant en matière administrative qu'en matière judiciaire. Pour les procédures devant le juge administratif, l'article R. 821-5 du code de justice administrative instaure une procédure de sursis à exécution, au cours de laquelle le Conseil d'Etat, en sa qualité de juge de cassation, est saisi d'une requête annexe au pourvoi, qu'il examine afin de déterminer si elle est sérieuse, si elle a des chance de prospérer et si l'exécution de la décision d'appel entrainerait des conséquences difficilement réparables. Si cette procédure est plus visible, il convient de ne pas méconnaitre, en matière judicaire, la procédure dite de retrait du rôle, prévue à l'article 1009-1 du code de procédure civile. Devant la Cour de cassation, le retrait du rôle est une mesure de suspension de l'instance en cassation prise par le premier président ou le magistrat délégué ; il s'agit notamment de veiller à l'exécution de la décision frappée de pourvoi afin d'assurer la pleine effectivité des prérogatives qui lui ont été reconnues par les juges du fond, conformément aux règles fondamentales de l'organisation judiciaire. Cependant, le texte confère aux magistrats désignés la possibilité de ne pas retirer du rôle le pourvoi aux motifs que l'exécution serait de nature à entraîner des conséquences manifestement excessives. Force est de constater que, par des mécanismes procéduraux différents, les juridictions suprêmes de chaque ordre de juridiction sont susceptibles de tempérer la règle générale d'une absence de sursis à exécution des pourvois en cassation. Dès lors, en l'état du droit, on ne saurait déceler l'existence d'une quelconque discordance entre les ordres de juridiction en termes de garanties offertes dans les procédures de sanctions disciplinaires des professions réglementées.