14ème législature

Question N° 47380
de M. André Chassaigne (Gauche démocrate et républicaine - Puy-de-Dôme )
Question écrite
Ministère interrogé > Travail, emploi, formation professionnelle et dialogue social
Ministère attributaire > Travail, emploi et dialogue social

Rubrique > justice

Tête d'analyse > conseils de prud'hommes

Analyse > scrutin. réforme. modalités.

Question publiée au JO le : 07/01/2014 page : 27
Réponse publiée au JO le : 02/09/2014 page : 7462
Date de changement d'attribution: 03/04/2014

Texte de la question

M. André Chassaigne interroge M. le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social sur l'hypothétique suppression du scrutin prud'homal. Les salariés et patrons devraient voter en 2015 pour élire leurs conseillers prud'homaux. Cette élection est un grand moment de démocratie sociale. Après avoir subi la perte de plusieurs conseils des prud'hommes, liée à la carte judiciaire mise en place par l'ancienne garde des sceaux, Mme Rachida Dati, le Gouvernement envisagerait de supprimer le scrutin avec comme motif le coût et la forte abstention. La méthode de calcul qui servirait à attribuer le nombre de conseillers par syndicat modifierait de façon non négligeable le rapport de force entre les différents syndicats. En effet, le dernier scrutin prud'homal donnait : 33,56 % des voix pour la CGT, 21,67 % pour la CFDT et 15,68 % pour FO. La nouvelle méthode de désignation, se basant sur le poids de chaque syndicat, donnerait un pourcentage de sièges très différent : 26,77 % pour la CGT, 26 % pour la CFDT et 15,94 % pour FO. Côté patronal, le MEDEF s'oppose au mode de scrutin actuel car l'UPA, forte de son 1,3 million d'entreprises adhérentes, risquerait de devenir la première organisation, devançant la CGPME et le MEDEF. Devant une recrudescence de licenciements, de conflits du travail, il serait plus judicieux de pérenniser une élection démocratique et transparente, et d'encourager les votants à se déplacer aux urnes. En effet, dans les petites entreprises, beaucoup de salariés ne savent pas ou n'osent pas utiliser le droit de s'absenter de leur lieu de travail pour aller voter, sans perte de salaire. Il lui demande de ne pas modifier le scrutin prud'homal mais d'encourager les électeurs à accomplir leur devoir de salarié ou de chef d'entreprise en se rendant aux urnes pour élire leurs conseillers prud'homaux.

Texte de la réponse

La justice prud'homale est un des piliers de l'ordre juridictionnel et une source essentielle de régulation des litiges nés des relations individuelles du travail. Il s'agit d'une construction originale de l'Etat de droit à laquelle le ministre du travail, de l'emploi et du dialogue social est particulièrement attaché. A ce titre, sa spécificité et sa légitimité doivent être préservées. Toutefois, l'élection générale, mode actuel de renouvellement des conseillers prud'hommes, connaît aujourd'hui des limites. En dépit de l'investissement sans cesse croissant des pouvoirs publics et des organisations de salariés et d'employeurs, qui a notamment abouti à la mise en place de l'inscription automatique des salariés et à la diversification des modalités de vote (vote à l'urne, vote par correspondance généralisé en 2008, mise en place du vote électronique sur Paris et de bureaux de vote dans certaines entreprises), le taux de participation ne cesse en effet de décroître, au détriment de la légitimité de l'institution prud'homale, donnant lieu lors de la dernière élection générale de 2008 à un niveau record d'abstention de 75 %. Face à ce constat, des réflexions et des concertations, notamment avec les organisations syndicales et professionnelles, ont été engagées depuis 2009 afin de déterminer le mode de désignation des conseillers prud'hommes qui pourrait renforcer au mieux la légitimité de l'institution. Le projet de loi, présenté par le Gouvernement en conseil des ministres le 22 janvier 2014 et complété par une lettre rectificative présentée en conseil des ministres le 17 juillet dernier, actuellement en cours d'examen au Sénat habilite le Gouvernement à prendre par ordonnances les dispositions pour mettre en place un nouveau mode de désignation des juges prud'homaux à partir de 2017 dans le respect des exigences constitutionnelles en matière d'autorité judiciaire et des spécificités de la juridiction prud'homale. Les modalités proposées sont de procéder désormais à la désignation des juges prud'homaux en s'appuyant sur l'audience des organisations syndicales et professionnelles, rendues possibles par la mise en oeuvre de la loi du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale, désormais complétée pour la représentativité patronale par la loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale. Le choix de fonder ce nouveau mode de désignation sur l'audience syndicale et professionnelle, et non pas sur la représentativité, permet potentiellement à toute organisation syndicale et professionnelle, représentative ou non, de pouvoir, en fonction de son audience et dans le cadre de la carte prud'homale, présenter des candidats à la fonction de conseillers prud'hommes. Le principe électif demeure car le mode de désignation ainsi mis en place repose sur l'audience des organisations syndicales appréciées pour le cycle 2008-2012 par le suffrage de 5,4 millions de salariés, soit davantage de votants que lors de la dernière élection prud'homale. Faire reposer la répartition des sièges entre organisations sur la base des voix de l'ensemble des salariés qui sont amenés à s'exprimer dans le cadre des élections professionnelles dans les entreprises de plus de onze salariés, des élections dans les très petites entreprises et de celles des chambres d'agriculture, pendant quatre ans, renforce donc la légitimité de cette institution et permet de garantir la représentation équilibrée des salariés. Le projet de loi initialement transmis au Parlement le 22 janvier 2014 prévoyait un renouvellement des conseillers prud'hommes en 2015, avec un dispositif transitoire ad hoc pour le collège employeur dans l'attente de la détermination de la mesure de l'audience patronale. Au regard du nouveau cadre législatif posé par la loi n° 2014-288 du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale, qui met en place la représentativité patronale, et après concertations avec les parties prenantes, le Gouvernement a modifié le projet de loi en prorogeant le mandat des conseillers actuels de deux années supplémentaires, soit jusqu'en 2017, année de première mise en oeuvre de la mesure de l'audience patronale. Le projet de loi rectifié porte ainsi une réforme globale et cohérente du mode de désignation des conseillers prud'hommes. Ce dispositif est conforme à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, tant au regard du principe d'égalité (les deux collèges seront traités de la même façon pendant la période transitoire ainsi qu'à partir de 2017) que de la possibilité de désigner des juges. L'habilitation à procéder par voie d'ordonnance pour mettre en place ce nouveau mode de désignation permet la construction du cadre juridique nécessaire à la réforme tout en laissant le temps aux échanges et à la concertation approfondie avec l'ensemble des parties prenantes - en particulier les partenaires sociaux dans le cadre d'un groupe de travail - pour définir les modalités précises de mise en oeuvre du nouveau dispositif. Loin de remettre en cause la juridiction prud'homale, ce nouveau dispositif de désignation confortera sa légitimité, tout en veillant au respect de ses valeurs essentielles : la parité de la juridiction, gage de l'indépendance du jugement, la connaissance des spécificités du monde du travail et la proximité vis-à-vis des justiciables.