14ème législature

Question N° 47960
de M. Patrice Carvalho (Gauche démocrate et républicaine - Oise )
Question écrite
Ministère interrogé > Travail, emploi, formation professionnelle et dialogue social
Ministère attributaire > Travail, emploi et dialogue social

Rubrique > justice

Tête d'analyse > conseils de prud'hommes

Analyse > scrutin. réforme. modalités.

Question publiée au JO le : 21/01/2014 page : 611
Réponse publiée au JO le : 02/09/2014 page : 7464
Date de changement d'attribution: 03/04/2014

Texte de la question

M. Patrice Carvalho attire l'attention de M. le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social sur le projet gouvernemental de supprimer les élections prud'homales. Cette décision, si elle devait aboutir, constituerait un coup porté à notre démocratie sociale et cette spécificité française, qui conduit les salariés et les employeurs à élire, parmi eux, celles et ceux qui auront à trancher les contentieux relatifs au droit du travail. Ainsi, tous les cinq ans, sont élus les 14 500 conseillers prud'homaux, ce qui, en outre, permet de mesurer, au plan national, la représentativité des organisations syndicales. La méthode employée et les arguments avancés pour justifier la suppression de ce scrutin sont choquants et irrecevables. Les élections prud'homales devaient se tenir avant la fin de 2013. Elles ont été repoussées à 2015, ce qui est déjà très contestable sur le plan du respect de la démocratie. À présent, le Gouvernement entend introduire dans le projet de loi sur la formation professionnelle, bientôt examiné en conseil des ministres, un article habilitant le Gouvernement à instaurer, dans un délai de dix-huit mois et par le biais d'une ordonnance, un système de substitution à l'élection prud'homale et de désignation des conseillers prud'homaux en fonction de l'audience des organisations syndicales. Ainsi donc se trouve programmée la suppression d'une élection sans même que le Parlement n'en débatte. Deux arguments sont avancés pour justifier ce choix : la faible participation au scrutin lors du dernier scrutin en 2008 (25 %) et son coût (91 millions en 2008). Sur ce dernier point, il est vrai que la démocratie a un prix. Mais personne n'envisage de supprimer les élections municipales, cantonales, régionales, législatives et européennes sous prétexte qu'elles ont un coût. Quant à la participation, il conviendrait de s'interroger sur les conditions d'accès des salariés au scrutin, notamment en ce qui concerne l'éloignement des bureaux de vote des lieux de travail et les dispositions prises pour permettre aux salariés de se rendre aux urnes. Il serait plus opportun de mettre en place un groupe de réflexion regroupant des représentants des employeurs, des salariés et l'État afin d'arrêter des dispositions visant à faciliter la participation au scrutin. Il n'y a aucune fatalité à cette abstention mais des raisons objectives, si nous considérons que la participation, à l'inverse, est forte lors des élections professionnelles dans les entreprises et que la sollicitation par les salariés des conseils de prud'hommes est croissante. Il souhaite qu'il renonce à son projet et que le groupe de travail suggéré soit rapidement mis en place afin que les dispositions nécessaires soient prises pour le scrutin prévu en 2015.

Texte de la réponse

La justice prud'homale est un des piliers de l'ordre juridictionnel et une source essentielle de régulation des litiges nés des relations individuelles du travail. Il s'agit d'une construction originale de l'Etat de droit à laquelle le ministre du travail, de l'emploi et du dialogue social est particulièrement attaché. A ce titre, sa spécificité et sa légitimité doivent être préservées. Toutefois, l'élection générale, mode actuel de renouvellement des conseillers prud'hommes, connaît aujourd'hui des limites. En dépit de l'investissement sans cesse croissant des pouvoirs publics et des organisations de salariés et d'employeurs, qui a notamment abouti à la mise en place de l'inscription automatique des salariés et à la diversification des modalités de vote (vote à l'urne, vote par correspondance généralisé en 2008, mise en place du vote électronique sur Paris et de bureaux de vote dans certaines entreprises), le taux de participation ne cesse en effet de décroître, au détriment de la légitimité de l'institution prud'homale, donnant lieu lors de la dernière élection générale de 2008 à un niveau record d'abstention de 75 %. Face à ce constat, des réflexions et des concertations, notamment avec les organisations syndicales et professionnelles, ont été engagées depuis 2009 afin de déterminer le mode de désignation des conseillers prud'hommes qui pourrait renforcer au mieux la légitimité de l'institution. Le projet de loi, présenté par le Gouvernement en conseil des ministres le 22 janvier 2014 et complété par une lettre rectificative présentée en conseil des ministres le 17 juillet dernier, actuellement en cours d'examen au Sénat habilite le Gouvernement à prendre par ordonnances les dispositions pour mettre en place un nouveau mode de désignation des juges prud'homaux à partir de 2017 dans le respect des exigences constitutionnelles en matière d'autorité judiciaire et des spécificités de la juridiction prud'homale. Les modalités proposées sont de procéder désormais à la désignation des juges prud'homaux en s'appuyant sur l'audience des organisations syndicales et professionnelles, rendues possibles par la mise en oeuvre de la loi du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale, désormais complétée pour la représentativité patronale par la loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale. Le choix de fonder ce nouveau mode de désignation sur l'audience syndicale et professionnelle, et non pas sur la représentativité, permet potentiellement à toute organisation syndicale et professionnelle, représentative ou non, de pouvoir, en fonction de son audience et dans le cadre de la carte prud'homale, présenter des candidats à la fonction de conseillers prud'hommes. Le principe électif demeure car le mode de désignation ainsi mis en place repose sur l'audience des organisations syndicales appréciées pour le cycle 2008-2012 par le suffrage de 5,4 millions de salariés, soit davantage de votants que lors de la dernière élection prud'homale. Faire reposer la répartition des sièges entre organisations sur la base des voix de l'ensemble des salariés qui sont amenés à s'exprimer dans le cadre des élections professionnelles dans les entreprises de plus de onze salariés, des élections dans les très petites entreprises et de celles des chambres d'agriculture, pendant quatre ans, renforce donc la légitimité de cette institution et permet de garantir la représentation équilibrée des salariés. Le projet de loi initialement transmis au Parlement le 22 janvier 2014 prévoyait un renouvellement des conseillers prud'hommes en 2015, avec un dispositif transitoire ad hoc pour le collège employeur dans l'attente de la détermination de la mesure de l'audience patronale. Au regard du nouveau cadre législatif posé par la loi n° 2014-288 du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale, qui met en place la représentativité patronale, et après concertations avec les parties prenantes, le Gouvernement a modifié le projet de loi en prorogeant le mandat des conseillers actuels de deux années supplémentaires, soit jusqu'en 2017, année de première mise en oeuvre de la mesure de l'audience patronale. Le projet de loi rectifié porte ainsi une réforme globale et cohérente du mode de désignation des conseillers prud'hommes. Ce dispositif est conforme à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, tant au regard du principe d'égalité (les deux collèges seront traités de la même façon pendant la période transitoire ainsi qu'à partir de 2017) que de la possibilité de désigner des juges. L'habilitation à procéder par voie d'ordonnance pour mettre en place ce nouveau mode de désignation permet la construction du cadre juridique nécessaire à la réforme tout en laissant le temps aux échanges et à la concertation approfondie avec l'ensemble des parties prenantes - en particulier les partenaires sociaux dans le cadre d'un groupe de travail - pour définir les modalités précises de mise en oeuvre du nouveau dispositif. Loin de remettre en cause la juridiction prud'homale, ce nouveau dispositif de désignation confortera sa légitimité, tout en veillant au respect de ses valeurs essentielles : la parité de la juridiction, gage de l'indépendance du jugement, la connaissance des spécificités du monde du travail et la proximité vis-à-vis des justiciables.