14ème législature

Question N° 52083
de M. Joël Giraud (Radical, républicain, démocrate et progressiste - Hautes-Alpes )
Question écrite
Ministère interrogé > Écologie, développement durable et énergie
Ministère attributaire > Écologie, développement durable et énergie

Rubrique > eau

Tête d'analyse > politique de l'eau

Analyse > irrigation. monde agricole. concertation.

Question publiée au JO le : 18/03/2014 page : 2517
Réponse publiée au JO le : 06/10/2015 page : 7607
Date de changement d'attribution: 27/08/2014
Date de signalement: 15/07/2014

Texte de la question

M. Joël Giraud attire l'attention de M. le ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie sur le relèvement des débits réservés sur les cours d'eau afin de préserver la continuité des milieux aquatiques. La loi sur l'eau de 2006 avait prévu le relèvement des débits réservés sur les cours d'eau afin de préserver la continuité des milieux aquatiques dès 2014. L'irrigation est bien entendu un sujet très sensible dans de nombreux départements notamment les Hautes-Alpes où très nombreux sont les vergers et les cultures qui se trouvent en bordure de la Durance ou du Buëch. Plus en amont les canaux d'irrigation jouent un rôle essentiel contre l'érosion mais aussi pour la qualité des cultures et des prairies de fauche. La redevance qui a été votée en 2006 s'applique à toute forme de prélèvement si bien que les canaux, qui sont des éléments paysagers, patrimoniaux et agricoles forts en montagne, sont aujourd'hui petit à petit abandonnés par les associations qui les géraient jusqu'alors collectivement et bénévolement. Il est important de préciser que les canaux restituent en aval l'eau prélevée en amont. Dans les zones en déficit structurel, les conséquences pourraient être dramatiques pour les agriculteurs. Les possibilités de construction de réserves collinaires et les possibilités de créer des ressources de substitution dans le cadre d'un plan de gestion paraissent bien maigres et aléatoires. Aussi, il lui demande, sur cette question de l'irrigation, qu'elle se fasse de manière gravitaire ou par prélèvement, comment la loi de 2006 pourrait-elle être aménagée afin que le soutien à un modèle agricole diversifié ne soit pas un vain mot, afin que les agriculteurs dans les Hautes-Alpes et ailleurs puissent continuer de nourrir nos concitoyens ?

Texte de la réponse

Les évolutions des besoins en eau des divers usagers, et notamment des activités économiques, conjuguées aux incertitudes liées au changement climatique, qui risquent de conduire à une diminution croissante de la ressource disponible, surtout l'été, imposent des actions favorisant une gestion équilibrée de la ressource en eau. Le caractère incitatif de la redevance pour prélèvements sur la ressource en eau vise à répondre à cet objectif et, en application du principe constitutionnel d'égalité devant l'impôt, il n'apparaît pas possible d'exonérer de cette redevance les canaux traditionnels d'irrigation en montagne alors que ceux de plaine y seraient soumis. Par ailleurs, le législateur, conscient de la fragilité du modèle économique de certaines structures agricoles, a d'ores et déjà réduit fortement la charge fiscale de l'irrigation gravitaire qui bénéficie, depuis la loi sur l'eau et les milieux aquatiques, d'une assiette de redevance forfaitaire nettement inférieure aux volumes réellement prélevés. Cette assiette forfaitaire, couplée à des taux faibles, inférieurs à ceux des autres usages de l'eau, conduit à des sommes dues très raisonnables. L'évolution des besoins spécifiques à l'agriculture de montagne ne peut pour autant être omise. À ce titre, les actions menées par les agences de l'eau et les services de l'État locaux permettent, via l'appui aux économies d'eau et à la mise en place de démarches de gestion collective des prélèvements, d'inscrire les besoins en eau de l'agriculture de montagne dans une stratégie de gestion équilibrée de la ressource en eau, respectueuse tant de la qualité et de la diversité des milieux aquatiques que de l'économie de ces territoires. À titre d'exemple, la mise en place de nouvelles pratiques culturales ou techniques d'irrigation, l'implantation de cultures plus économes en eau ou la réalisation de travaux de modernisation des canaux pour réduire les pertes en eau sont susceptibles de générer un volume important d'économies d'eau, de répondre à l'objectif de réduction des prélèvements d'eau de 20 % d'ici 2020 prévu par le plan national d'adaptation au changement climatique présenté le 20 juillet 2011, et de conduire ainsi à une diminution de l'assiette de la redevance. Ces actions sont fortement encouragées par les agences de l'eau, lesquelles apportent un concours financier important aux agriculteurs irrigants de montagne dans l'amélioration de leurs pratiques et des rendements de leurs réseaux d'irrigation. Les études ou travaux nécessaires sont ainsi par exemple éligibles aux aides de l'agence de l'eau Rhône Méditerranée Corse avec des taux de subvention pouvant atteindre 50 % en territoire déficitaire ou vulnérable au changement climatique. Les moyens de l'agence de l'eau Rhône-Méditerranée et Corse dédiés à la gestion quantitative de l'eau ont été multipliés par 2,5 pour son programme sur les 6 années de 2013 à 2018, ouvrant de grandes possibilités, et assurant un retour financier à l'agriculture très important, permis par l'acquittement d'une redevance. Ces économies d'eau profitent tant aux milieux aquatiques qu'à l'agriculture elle-même. Moins consommatrice, elle est plus sécurisée face aux éventuelles situations de sécheresse sévère. Il serait donc dommageable pour les irrigants de montagne de ne pas contribuer à la solidarité entre les différents usagers de l'eau. Ceci reviendrait en effet à se priver de possibilités de subvention par les agences de l'eau, alors même qu'en zone montagneuse, il est à craindre que les conséquences du changement climatique n'accentuent les problèmes de sécheresse. En ce qui concerne l'application du relèvement des débits réservés, la législation prévoit que, depuis le 1er janvier 2014, dans le but de garantir en permanence la vie, la circulation et la reproduction des espèces, les débits minimaux laissés à l'aval des ouvrages barrant un cours d'eau doivent être conformes aux dispositions de l'article L. 214-18 du code de l'environnement, à savoir être égaux ou supérieurs au dixième du débit interannuel moyen appelé module. Ce débit minimal ne peut être abaissé au vingtième du module que pour les cours d'eau dont le module est supérieur à 80 mètres cubes par seconde et pour certains ouvrages de production hydroélectrique de pointe limitativement listés par décret. La Durance peut bénéficier de ce régime particulier en raison de son module suffisamment élevé et, en outre, l'essentiel des ouvrages hydroélectriques qui y sont installés sont listés dans le décret des ouvrages importants pour la production électrique de pointe. Le Buëch n'est pas dans cette situation. Son débit moyen n'est pas supérieur à 80 mètres cubes par seconde et les ouvrages hydroélectriques qui y sont construits ne sont pas listés comme ouvrages majeurs pour la production de pointe. Toutefois, la législation permet de faire varier le débit minimal au cours de l'année, dès lors qu'il reste en moyenne au moins égal au dixième du module, et que sa valeur minimale mensuelle ne descende jamais en-dessous du vingtième du module. Cette piste est actuellement explorée entre EDF concessionnaire et les services de l'État, pour permettre au barrage hydroélectrique de Saint-Sauveur, de satisfaire en période d'étiage, aux besoins en eau de l'irrigation. En outre, il est prévu que l'usage de l'eau dérivée pendant les mois de juillet à septembre demeure exclusivement réservé à l'irrigation. Cette piste peut permettre très largement à satisfaire les besoins agricoles. En complément, un système de pompage existant permet de remonter de l'eau du système Durance vers les retenues d'irrigation alimentées par le barrage de Saint-Sauveur sur le Buëch. Il pourrait être utilisé comme moyen de sécurisation, voire être amélioré. En tout état de cause, la situation de déséquilibre quantitatif du bassin du Buëch demeure. Une étude d'évaluation des volumes prélevables a ainsi été réalisée sur l'ensemble de son bassin versant, sous maîtrise d'ouvrage partagée de l'agence de l'eau et du syndicat mixte de gestion inter-communautaire du Buëch et de ses affluents (SMIGIBA), qui confirme ce diagnostic. Cette étude montre l'importance des efforts à engager, avec des économies à faire qui devront être localement supérieures à 30 %. Ces économies semblent tout à fait atteignables par la mise en place, notamment à l'amont du Buëch, d'un système d'irrigation par aspersion. Une réflexion collective est attendue des acteurs locaux dans ce but, pour qu'un plan de gestion de la ressource en eau soit élaboré. Ce plan permettra le partage de la ressource disponible et la définition des actions nécessaires à la résorption du déséquilibre, ainsi que la sécurisation de l'ensemble des usages, agricoles et non agricoles. La désignation de la chambre d'agriculture des Hautes-Alpes en qualité d'organisme unique pour la gestion collective (OUGC) des prélèvements agricoles en fait un acteur privilégié, aux côtés des services de l'État et l'agence de l'eau, qui accompagneront la démarche sur les plans techniques et financiers. Il n'apparaît donc pas opportun, tant que toutes les mesures d'économie n'ont pas été mises en oeuvre, de toucher à l'équilibre que la législation, issue des riches débats de la loi sur l'eau et les milieux aquatiques de 2006, a instauré entre la nécessaire amélioration de la préservation des milieux aquatiques et la nécessaire adaptation des usages pour garantir leur durabilité. Les pouvoirs publics sont attachés à la gestion durable et équilibrée des ressources en eau dans les territoires de montagne, au regard de la vulnérabilité du patrimoine naturel de ces massifs, et dans la mesure où tous les grands fleuves européens y trouvent leur source. Ils sont également attachés au maintien d'une agriculture de montagne performante du triple point de vue économique, environnemental et social. Les interrogations sont cependant encore nombreuses concernant ces dispositions relatives aux débits minimums à laisser dans les cours d'eau. La discussion a d'ailleurs été portée sur leur éventuelle adaptation au profit des cours d'eau méditerranéens et de montagne, lors de l'examen du projet de loi biodiversité par la commission développement durable de l'Assemblée nationale. Afin de mieux cerner l'ensemble des enjeux liés à cette question, une mission a été confiée à l'honorable parlementaire pour établir les conditions de la préservation des ressources en eau et un maintien d'une agriculture montagnarde. Cette mission avait pour objectif d'analyser comment la fragilité du modèle économique de certaines structures agricoles de montagne est prise en compte dans la mise en oeuvre des dispositions de la loi sur l'eau et de formuler des propositions pour mieux concilier le maintien d'une agriculture montagnarde et la préservation des ressources en eau et des milieux aquatiques particulièrement sensibles en zone méditerranéenne dans un contexte de changement climatique. Les recommandations formulées dans le rapport de mission seront examinées avec beaucoup d'attention.