14ème législature

Question N° 56470
de M. Jacques Bompard (Non inscrit - Vaucluse )
Question écrite
Ministère interrogé > Justice
Ministère attributaire > Justice

Rubrique > droit pénal

Tête d'analyse > peines privatives ou restrictives de droits

Analyse > recours. insuffisance.

Question publiée au JO le : 03/06/2014 page : 4447
Réponse publiée au JO le : 25/11/2014 page : 9926
Date de changement d'attribution: 27/08/2014

Texte de la question

M. Jacques Bompard attire l'attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur les deux études du Conseil de l'Europe relativement aux peines de substitution. Les chiffres de 2011 et 2012 établissent qu'en Europe le taux de détention moyen est de 150 détenus pour 100 000 habitants. La France est très en-dessous de cette moyenne avec 117 détenus pour 100 000 habitants alors que le Royaume-uni et l'Espagne ont un taux de 152,1 et 149,7 pour 100 000. La France est ainsi en 29e position, un des pays d'Europe ayant le moins de détenus. En retranchant à ce chiffre le nombre de bracelets électroniques, la France retombe alors au 33e rang, en bas de l'échelle. En revanche, la surpopulation carcérale est réelle et importante. Ce recours très faible à la prison représente pour la France une lacune de notre politique contre la criminalité. Or c'est la récidive qui crée l'emprisonnement et non l'inverse. Par conséquent, il lui demande comment elle espère faire reculer les actes criminels en diminuant les sanctions.

Texte de la réponse

Il résulte de deux études SPACE I et SPACE II du Conseil de l'Europe, publiées en avril 2014, que la France comptait, au premier octobre 2012, 102 personnes détenues pour 100000 habitants. Si ce taux de détention est effectivement moins important que dans certains pays de l'Union européenne, comme la Lituanie (327 personnes détenues pour 100 000 habitants), la Pologne (218), l'Espagne (142) ou le Royaume-Uni (123), il est toutefois bien plus important que dans des pays proches tels que l'Allemagne (76 pour 100 000 habitants), la Suède (68) ou les Pays-Bas (66). Ces études montrent des différences assez marquées entre l'ensemble de l'Union européenne et la seule « Europe de l'Ouest » (17 pays d'Europe occidentale dont l'Autriche, la Grèce, la Finlande, la Norvège et la Suisse, et à l'exclusion de la Croatie et de la Slovénie). En effet, avec 102 personnes détenues pour 100 000 habitants, la France se situe en dessous de la moyenne des 28 pays de l'Union européenne qui est de 137 personnes détenues pour 100 000 habitants, mais au-dessus de la moyenne des pays de l'Europe de l'Ouest (98). Parallèlement, la France, à l'image de la plupart des pays du Conseil de l'Europe, est affectée par une surpopulation carcérale importante et ancienne, entraînant des conditions de travail difficiles pour les personnels ainsi que des conditions de détention indignes et rendant impossible une vraie prise en charge de chaque personne condamnée. Le nombre de personnes détenues a en effet augmenté de 35 % en dix ans (48 594 au 1er janvier 2002 contre 64 787 au 1er janvier 2012) alors que la population française n'a augmenté que de 7 % durant cette période. De même, la durée moyenne de la partie ferme des peines d'emprisonnement pour les condamnations en état de récidive légale est passée de 8,2 mois à 11 mois entre 2004 et 2010. Il convient dans tous les cas de dépasser une approche purement quantitative des questions relatives à la répression et à la détention, le seul nombre de peines d'emprisonnement prononcées n'étant nullement significatif d'une justice efficace et durable. La garde des sceaux a à cet effet souhaité, sans remettre en cause la légitimité de la peine de prison qui apparait dans certaines circonstances comme la seule réponse adaptée à l'infraction et à la personnalité de son auteur, poser la question du sens et des finalités de la peine afin de garantir efficacement la sécurité de tous : la peine ne sera en effet efficace que si elle allie à la sanction de faits délictueux et à la célérité de son exécution, la garantie de la réinsertion de la personne condamnée. Or, la peine de prison ne prévient pas la récidive. La principale étude réalisée en France en 2011 sur la récidive des personnes condamnées établit que 63 % des personnes sortant de prison sans aménagement de peine font à nouveau l'objet d'une condamnation dans les cinq années qui suivent la libération. Ce taux est de 55 % pour les personnes libérées dans le cadre d'un aménagement de peine sous écrou (placement à l'extérieur, semi-liberté ou surveillance électronique) et de 39 % pour les sortants en libération conditionnelle. Il est de 45 % pour les personnes condamnées à une peine alternative - sursis avec mise à l'épreuve, travail d'intérêt général (source : Annie KENSEY - Qui ne récidive pas ? Ouvrage collectif sous la direction de Marwan MOHAMMED - les sorties de délinquance - La Découverte 2012). Pour autant, le constat est fait d'un recours accru à la peine d'emprisonnement, alors même que le droit de la peine français offre une diversité de réponses pénales adaptées à chaque situation. Entre 2000 et 2011, le nombre de condamnations à une peine privative de liberté est passé de 284 841 à 290 293, sans correspondre à une augmentation corrélative des crimes et délits les plus graves. En 2011, les peines d'emprisonnement étaient ainsi prononcées dans 48 % des condamnations. En excluant les ordonnances pénales (procédure qui ne permet pas le prononcé d'un emprisonnement), les peines d'emprisonnement étaient alors prononcées dans 68 % des condamnations et 28 % des condamnations comportent une peine d'emprisonnement totalement ou partiellement ferme (source : les chiffres clés de la justice 2012 - statistiques du casier judiciaire national). La politique pénale menée entre 2002 et 2012 et privilégiant ce recours à l'incarcération n'a pas permis que la sécurité de nos concitoyens soit fondamentalement mieux assurée. Elle n'a en outre fait qu'accroitre la surpopulation carcérale. Sur la base de ces constats, la garde des sceaux a impulsé une nouvelle politique pénale dont les axes forts ont été définis dès septembre 2012 à travers une circulaire de politique pénale. L'objectif de cette nouvelle politique pénale a été d'opérer un changement au bénéfice de solutions susceptibles de promouvoir la sécurité de tous. L'individualisation de la peine et de son exécution doit être recherchée à tous stades de la procédure. A ce titre, la garde des sceaux a, dès le 19 septembre 2012 à l'occasion de sa circulaire de politique pénale générale, fait du développement des aménagements des peines d'emprisonnement ferme, qui favorisent la réinsertion du condamné et la prévention de la récidive l'une des priorités de son action. Dans un même souci de prévenir la récidive, la loi n° 2014-896 du 15 août 2014 relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales, adoptée dans le prolongement de la conférence de consensus des 13 et 14 février 2013, vient moderniser le droit des peines et améliorer leur efficacité. Pour ce faire, elle favorise le prononcé de peines individualisées, répondant au triple objectif de sanction de l'acte délictueux, de réinsertion de l'auteur de l'infraction et de réparation du préjudice de la victime.