14ème législature

Question N° 58231
de M. Hervé Féron (Socialiste, républicain et citoyen - Meurthe-et-Moselle )
Question écrite
Ministère interrogé > Numérique
Ministère attributaire > Numérique

Rubrique > télécommunications

Tête d'analyse > Internet

Analyse > pratiques anti-concurrentielles. lutte et prévention.

Question publiée au JO le : 24/06/2014 page : 5135
Réponse publiée au JO le : 09/12/2014 page : 10363
Date de changement d'attribution: 27/08/2014
Date de renouvellement: 30/09/2014

Texte de la question

M. Hervé Féron attire l'attention de Mme la secrétaire d'État, auprès du ministre de l'économie, du redressement productif et du numérique, chargée du numérique, sur les pratiques anti-concurrentielles et la domination croissante des géants du net : les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon). Depuis quelques mois, des voix s'élèvent pour dénoncer la coercition douce opérée par ces quatre géants du net, qui assoient peu à peu leur empire et leur emprise sur le numérique français et international. Youtube, auparavant une vitrine pour les artistes et labels indépendants, par sa gratuité et son accessibilité, a décidé de mettre en place un système payant. Pour les labels indépendants (comme Naive ou Ninja Tune en France), cela signifie qu'ils devront dorénavant accepter que le site leur verse une somme pour chaque écoute plutôt que des revenus liés à la publicité dans un modèle gratuit. La rémunération sera inférieure de 10 % de celle que propose Spotify, déjà le plus bas du marché. En cas de refus de la part des labels, ils seront supprimés de la partie gratuite. Aujourd'hui, l'entreprise est quasiment incontournable, laissant les créateurs dans une situation de dépendance, avec peu d'alternative. Concernant Amazon, l'entreprise détient à elle seule 70 % des parts du marché de la vente en ligne de livres, à l'heure où les Français achètent de plus en plus sur Internet. Aujourd'hui, au moins 20 % des livres papiers sont commandés sur le Web. Une grande partie du succès d'Amazon étant dû à ses prix bas, l'entreprise a récemment demandé à l'éditeur Hachette de rogner ses marges, ce que ce dernier a refusé. Amazon a répliqué en supprimant les boutons de pré-commande édités par Hachette, en faisant monter les prix, les délais de livraison, jusqu'à organiser des ruptures de stocks préméditées. La domination d'Amazon pose donc un véritable problème pour le marché du livre, tant pour les maisons d'édition, que pour les auteurs moins rémunérés et les lecteurs qui devrons payer plus cher. C'est la littérature toute entière qui va souffrir, moins accessible et moins rémunératrice pour les créateurs. Enfin, l'Apple Store représente aujourd'hui 20 % du marché des œuvres au format numérique. Récemment, la plateforme a décidé de censurer des œuvres mettant en avant sur la couverture ou dans l'œuvre elle-même la nudité ou la sexualité. Ainsi, dans une bande dessinée adaptant le « Ulysse » de James Joyce, deux planches où l'on voyait une déesse nue ont été pendant un temps ôtées. De son côté, Facebook tolère des groupes ouvertement racistes, tout en censurant toute photo jugée « inappropriée ». Ces restrictions imposées par les entreprises américaines sont disproportionnées dans une Europe beaucoup plus souple sur ces questions de nudité. De plus, cela interroge sur l'avenir car si cette censure touche au nu pour le moment, on peut se demander si elle ne s'exercera pas un jour sur des livres jugés idéologiquement dangereux par ces entreprises, ou contraire à leurs intérêts économiques. Il lui demande donc si elle envisage de mettre en place des mesures visant à faire face à l'influence grandissante de ces entreprises.

Texte de la réponse

Les préoccupations suscitées par certaines pratiques de marchés de grands groupes d'internet d'origine extra-européenne et officiant sur le marché français ont très vite mobilisé le gouvernement. Le constat est en effet aujourd'hui que ces grandes plateformes numériques, fortement présentes sur les usages grand public (musique, vidéos, réseaux sociaux, librairie...) exploitent des modèles propriétaires en écosystèmes plus ou moins fermés et verticalement intégrés, et bénéficient d'une position centrale voire dominante sur certains marchés. Certaines de ces plateformes deviennent des intermédiaires incontournables pour la fourniture d'une multitude de services et de contenus numériques. Ce positionnement permet alors à ces acteurs de capter une partie non négligeable de la valeur issue des services et des contenus créés par des tiers, mais aussi d'intervenir sur la visibilité globale des offres de marché. En définissant les conditions d'accès à leurs plateformes, ces nouveaux intermédiaires modélisent en même temps les conditions d'accès aux marchés finaux pour un nombre croissant de filières (édition, musique, presse, tourisme et voyagistes, e-commerce, et bientôt peut-être l'automobile, la domotique, la santé...). Cette situation peut être également préjudiciable aux consommateurs dès lors que les mécanismes de référencement en ligne s'avèrent insuffisamment transparents et tendent à aboutir à une réduction de la qualité et de la diversité du choix global et des conditions d'information de l'usager. Enfin, au-delà des enjeux économiques et industriels, les pouvoirs publics français sont également sensibles aux enjeux de société qui sont en cause et à la défense des valeurs et des représentations légitimes du modèle républicain français. Le gouvernement est très vigilant sur l'ensemble de ces problématiques et a très tôt engagé des actions en vue de faire valoir la nécessité de nouveaux outils d'encadrement face à ces dysfonctionnements. Dès octobre 2013, lors du Conseil européen dédié au numérique, les autorités françaises ont été les premières à mettre à l'ordre du jour la question de la régulation des plateformes numériques. Au cours de l'année 2014, les pouvoirs publics français sont ostensiblement intervenus, en liaison avec leurs homologues allemands, auprès de la Commission européenne afin d'orienter le débat communautaire dans un sens favorable aux intérêts de l'industrie et des services européens. Le Parlement s'est lui-même saisi du sujet en adoptant à l'été 2014 un dispositif d'encadrement des conditions de vente à distance des livres. S'agissant du secteur de la musique en ligne, le rapport d'expertise sollicité par le gouvernement en 2013 et remis par la mission présidée par M. Phéline a fourni des éclairages et des pistes d'actions prometteuses, qui retiennent toute l'attention du gouvernement. Successivement en novembre 2013 et mai 2014, le ministre de l'économie a engagé deux assignations en justice contre deux opérateurs de plateformes spécialisés dans la réservation de séjours hôteliers et dont les pratiques commerciales prêtent à contestation. Enfin, le gouvernement est résolu à porter ce sujet au niveau européen et prépare activement l'agenda de la future Commission européenne qui entrera en fonction dans les prochaines semaines, afin d'engager l'ensemble des Etats européens sur un corpus de règles impératives et proscrire la prolongation de ces dérives. A cet égard, l'étude annuelle du Conseil d'Etat de 2014, qui porte sur « Le numérique et les droits fondamentaux » ouvre la porte à la définition d'un cadre juridique tant pour les plateformes que pour les algorithmes qui sont au coeur de leurs services, autour du principe de « loyauté » afin d'éviter les pratiques déloyales ou pénalisantes pour les utilisateurs comme pour les entreprises. Le gouvernement portera ces propositions dans la concertation sur le numérique lancée en septembre 2014 afin de préparer les textes nationaux et européens pertinents pour introduire de telles notions dans le droit positif.