14ème législature

Question N° 62233
de M. Pierre Morel-A-L'Huissier (Union pour un Mouvement Populaire - Lozère )
Question écrite
Ministère interrogé > Justice
Ministère attributaire > Justice

Rubrique > système pénitentiaire

Tête d'analyse > détenus

Analyse > suicides. lutte et prévention.

Question publiée au JO le : 29/07/2014 page : 6379
Réponse publiée au JO le : 09/12/2014 page : 10344
Date de changement d'attribution: 27/08/2014
Date de renouvellement: 11/11/2014

Texte de la question

M. Pierre Morel-A-L'Huissier attire l'attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur les suicides de détenus. Au sein de l'Union européenne, la France est un des pays aux résultats les plus alarmants. La Cour européenne des droits de l'Homme a d'ailleurs condamné la France à maintes reprises à ce sujet. Il souhaiterait connaître ses intentions pour y remédier.

Texte de la réponse

Si une politique volontariste de prévention du suicide des personnes incarcérées a été mise en place dès 1967, elle s'est accentuée dans les années 2000, d' abord avec la circulaire Santé/Justice du 26 avril 2002 relative à la prévention du suicide dans les établissements pénitentiaires et le rapport du Professeur Terra de décembre 2003, puis particulièrement en 2009 avec l'adoption d'un grand plan national d'actions de prévention et de lutte contre le suicide en milieu carcéral, toujours en vigueur. Ce plan d'envergure, issu de la note ministérielle du 15 juin 2009, a repris en les précisant des recommandations figurant dans les précédents rapports et circulaires et a initié de nouvelles mesures dont certaines expérimentales. Les mesures de ce plan d'actions s'articulent autour de trois principaux axes : le renforcement de la formation des personnels pénitentiaires, d'une part, la mobilisation de l'ensemble de la « communauté carcérale » (personnels pénitentiaires, sanitaires, intervenants institutionnels ou associatifs, autorités judiciaires, familles des personnes détenues et codétenus) pour mieux repérer et se coordonner pour protéger les personnes détenues en souffrance, d'autre part. Par ailleurs, des mesures particulières de protection pour les personnes détenues les plus fragilisées ont été mises en oeuvre avec le développement de matériels adaptés (cellules de protection d urgence, dotations de protection d urgence) ou, dans les quartiers sensibles, à l'image du quartier disciplinaire caractérisé par la mise en oeuvre d'une procédure d'accueil, l'accès au téléphone et la mise à disposition de postes radio. Une mission de prévention et de lutte contre le suicide en milieu carcéral a également été créée le 1er janvier 2010 au sein de la direction de l'administration pénitentiaire (DAP), afin de renforcer le caractère prioritaire de l'action ministérielle conduite et de l' inscrire sur le long terme. La mobilisation de l'administration pénitentiaire et de ses partenaires autour de cet objectif de lutte contre le suicide en détention a permis de constater une évolution générale à la baisse de la mortalité par suicide. L'évolution des suicides en données brutes est marquée en 2013 par une baisse significative du nombre de décès par suicide en détention par rapport aux années 2011 et 2012. Il est passé de 116 en 2011 à 106 en 2012, pour aboutir à 97 en 2013. Depuis 2009, le taux de mortalité par suicide (pour 10 000 personnes détenues, calculé en prenant en compte l'ensemble de suicides en détention et hors détention de personnes écrouées par rapport à la moyenne annuelle de la population pénale écrouée hébergée ou non) a été stabilisé et connaît en 2013 une baisse significative, passant de 18,4/10 000 en 2009 à 14,4/10 000 en 2013, soit une baisse de quatre points. En outre, le taux global de mortalité par suicide a connu une baisse linéaire jusqu en 2012, baisse qui s'est accentuée en 2013. Une des mesures de protection mise en oeuvre grâce au plan d'actions est la dotation de protection d'urgence (DPU). Ce matériel adapté, composé de couvertures spécifiques indéchirables et de vêtements déchirables et jetables, équipe depuis la fin du premier trimestre 2010 la totalité des établissements pénitentiaires. Dans le cadre de la recommandation de l'application de mesures matérielles particulières de protection, une nouvelle expérimentation a débuté en avril 2014 au sein de deux établissements pénitentiaires de la direction interrégionale des services pénitentiaires de Rennes : les cutters de sécurité/protection. Dans des moments où il faut agir avec rapidité et efficacité durant lesquels un geste approprié peut sauver une vie, il permet de couper en toute sécurité des liens pouvant aider à une tentative de suicide, la grande majorité des suicides s'effectuant par pendaison. Parmi les mesures expérimentales, certaines ont été d'ores et déjà généralisées. Par exemple, au 1er juin 2014, 90 établissements pénitentiaires sont dotés d'au moins une cellule de protection d'urgence validée par la DAP (128 CProU au total). Une CProU est une cellule « lisse », dans laquelle aucun point d accroche n'existe. Elle est destinée à accueillir les personnes détenues dont l'état apparaît incompatible, en raison d'un risque suicidaire imminent ou lors d'une crise suicidaire aiguë, avec son placement ou son maintien en cellule ordinaire, pour une durée limitée (24 heures), dans l'attente d'une prise en charge sanitaire adaptée. Autre expérimentation, celle des personnes codétenues de soutien, mise en oeuvre depuis 2010, sur six établissements, et qui est actuellement en cours d'extension à au moins un site par direction interrégionale, suite à une évaluation positive menée par une équipe indépendante et pluridisciplinaire de chercheurs universitaires. Des initiatives visent en outre à améliorer encore davantage la détection du risque suicidaire chez les personnes détenues, notamment dans les périodes les plus sensibles, à l'arrivée ou lors d'un placement en cellule disciplinaire. Plusieurs moments sont en effet identifiés comme particulièrement fragilisant et présentant un risque de passage à l'acte suicidaire : l'incarcération, les confrontations, le procès, la mise à exécution des peines, les aménagements de peine, etc. A ce titre, une continuité et une traçabilité dans l'échange d'informations entre les différents services relevant du ministère de la justice sont de nature à améliorer la détection du risque de suicide. Dans ce contexte et conformément à la circulaire DAP/DACG/DPJJ du 2 août 2011, des protocoles locaux entre les chefs de juridictions, la direction de la protection judiciaire de la jeunesse et les chefs d'établissements pénitentiaires ont été signés ayant pour objet la communication de données permettant d'améliorer la détection du risque suicidaire et de prendre en compte plus efficacement l'état réel de la personne détenue à son arrivée en établissement. Un modèle national de protocole local d'échanges d'informations entre les services relevant du ministère de la justice sera bientôt diffusé afin de favoriser la signature des protocoles locaux. Un mémento postvention sera diffusé à l'attention des établissements pénitentiaires et des services pénitentiaires d'insertion et de probation afin d'harmoniser les pratiques professionnelles de postvention, en définir les attentes et le contenu, et pouvoir ainsi aider les chefs d'établissements et les DFSPIP dans leur gestion d'un après-suicide. Enfin, l'étude DAP/Institut de veille sanitaire/CépiDc (Centre d'épidémiologie sur les causes médicales de décès, un laboratoire de l'Inserm) relative aux suicides et autres décès en milieu carcéral entre 2000 et 2010, est en cours. Cette étude épidémiologique sur les facteurs de risques de vulnérabilité face au suicide en milieu carcéral pourra renseigner sur les éventuelles pathologies associées au décès par suicide en détention, l'objectif étant d'aider à mettre en place une prévention ciblée des personnes les plus à risque.