14ème législature

Question N° 66354
de Mme Valérie Lacroute (Union pour un Mouvement Populaire - Seine-et-Marne )
Question écrite
Ministère interrogé > Justice
Ministère attributaire > Justice

Rubrique > justice

Tête d'analyse > réforme

Analyse > droit des contrats. ordonnance.

Question publiée au JO le : 14/10/2014 page : 8569
Réponse publiée au JO le : 18/08/2015 page : 6401

Texte de la question

Mme Valérie Lacroute attire l'attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur le projet de loi relatif à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures qui prévoit à l'article 3, d'habiliter le Gouvernement à réformer le droit des contrats par ordonnance. Les débats parlementaires qui auraient dû avoir lieu sur une modification aussi importante de ce que l'on a appelé la « Constitution civile de la France » n'ont donc pas pu préalablement se tenir. Ces travaux préparatoires sont pourtant nécessaires pour éclairer les praticiens et ont pour intérêt de mettre en lumière les éventuelles défectuosités ou les lacunes du projet et évidemment d'y remédier. Or, de l'opinion de spécialistes reconnus du droit privé, le texte envisagé par le Gouvernement présente des choix contestables sur le fond. Certaines jurisprudences sont ainsi révoquées ou confirmées sans réelle motivation. Des opinions doctrinales minoritaires sont consacrées sans justification sérieuse. Des positions juridiques erronées ou incomplètes sont adoptées. L'article 104 du projet consacre « in fine » la théorie de l'imprévision en donnant au juge le pouvoir de mettre fin au contrat. Le Gouvernement a-t-il mesuré l'impact dangereux de cette disposition sur les contrats à exécution successive de longue durée tel le contrat de travail, les contrats de distribution ou les baux commerciaux ? Elle lui demande des éclaircissements sur ce sujet.

Texte de la réponse

L'article 3 de la loi relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures vise à habiliter le gouvernement à procéder, par ordonnance, à une réforme des dispositions du code civil relatives au droit des contrats, au régime et à la preuve des obligations. Exclure par principe le recours à l'ordonnance risquerait de compromettre l'aboutissement d'une réforme sur le principe même de laquelle un large consensus s'est dégagé. Une habilitation à procéder par voie d'ordonnance n'aurait au demeurant pas pour effet d'écarter les parlementaires de ce chantier ambitieux. Tout d'abord, le gouvernement s'est engagé à déposer un projet de loi de ratification spécifique et à l'inscrire à l'ordre du jour. Le Parlement pourra ainsi exercer son droit de regard dans l'examen de ce projet de loi et apporter les modifications qu'il jugera nécessaires. Ensuite, des parlementaires désignés par chaque assemblée pourront travailler avec la Chancellerie sur l'avant-projet d'ordonnance afin de proposer les améliorations qu'ils estimeront utiles. Il doit à cet égard être rappelé que l'avant-projet élaboré par la direction des affaires civiles et du sceau est l'aboutissement d'un processus de réflexion long et particulièrement mûri. Ainsi, les travaux de la Chancellerie s'appuient notamment sur deux rapports rédigés, l'un à l'initiative du professeur Catala en 2005 et l'autre à celle du professeur Terré entre 2008 et 2013, et sur de multiples travaux associant professionnels du droit et acteurs du monde économique, lesquels pourront de nouveau faire part de leurs analyses à l'occasion de la consultation que le ministère de la justice ne manquera pas de lancer si l'habilitation est votée. Sur le fond, il convient de rappeler que si cette réforme d'ampleur propose de moderniser le droit des obligations en introduisant de nouvelles dispositions, une grande partie du projet vise à consolider les acquis en consacrant à droit constant les solutions dégagées par la jurisprudence, et qui sont ainsi connues des praticiens. S'agissant plus particulièrement de la théorie de l'imprévision, il est vrai que le code civil ne contient aucune règle générale permettant au juge de tenir compte des changements de circonstances rendant excessivement onéreuse, pour l'une des parties, l'exécution du contrat et que la Cour de cassation s'est de longue date refusée à consacrer l'imprévision. Celle-ci n'est pas pourtant totalement méconnue du droit français. En effet, la théorie de l'imprévision est admise depuis 1916 par la jurisprudence administrative et dans certains textes spéciaux, comme en matière de marchés publics. En droit privé également, certains textes s'en inspirent. Ainsi, l'article 125 de la loi n° 2014-344, du 17 mars 2014, relative à la consommation, a notamment introduit dans le code de commerce un article L. 441-8 rendant obligatoire l'insertion d'une clause de renégociation dans certains types de contrats qui subissent des variations des prix des matières premières agricoles et alimentaires, sous peine d'amende administrative. Le code civil lui-même admet la révision sous certaines conditions de la soulte due par un copartageant (article 828 du code civil), ou encore la révision des conditions et charges des libéralités (article 900-2 du code civil). Pour autant, il ne contient aucune règle générale. Or, l'absence dans le droit français d'un tel dispositif légal, connu dans la plupart des pays européens, et notamment en Allemagne, et largement repris dans divers projets européens d'harmonisation du droit des contrats, apparaît peu compatible avec la volonté de rendre notre droit mieux adapté aux enjeux économiques actuels. La consécration de l'imprévision, loin de constituer un facteur d'instabilité juridique, répondrait aux attentes de nombreux praticiens, dont la parole a été relayée par plusieurs parlementaires, toutes tendances politiques confondues, comme en attestent de nombreuses questions écrites sur ce sujet. Pragmatique, en ce qu'elle ne privilégie pas une vision jusqu'au-boutiste des relations contractuelles, cette mesure permettrait notamment de venir en aide aux contractants les plus faibles qui ne peuvent bénéficier des services de conseils juridiques avisés pour faire insérer dans leurs contrats des clauses de révision, ou qui n'auront pu l'imposer en raison de leur faible poids économique. L'avant projet de réforme s'inspire sur ce point, à des degrés divers, des solutions proposées par les projets soumis à la Chancellerie à l'initiative des professeurs Terré et Catala, largement commentés. En toute hypothèse, le gouvernement entend soumettre cette proposition, comme l'ensemble du projet, à une large consultation qui permettra d'examiner les objections faites afin, le cas échéant, d'y apporter des réponses concrètes dans l'élaboration du texte.