14ème législature

Question N° 68
de M. Jean-Jacques Candelier (Gauche démocrate et républicaine - Nord )
Question écrite
Ministère interrogé > Intérieur
Ministère attributaire > Intérieur

Rubrique > cultes

Tête d'analyse > lieux de culte

Analyse > construction. financement. réglementation.

Question publiée au JO le : 03/07/2012 page : 4264
Réponse publiée au JO le : 28/08/2012 page : 4833

Texte de la question

M. Jean-Jacques Candelier interroge M. le ministre de l'intérieur sur les implications de cinq arrêts du Conseil d'État rendus sur des pourvois enregistrés en contentieux entre 2007 et 2008, qui interprètent la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des églises et de l'État. En premier lieu, le Conseil d'État permet le contournement des interdits de la loi de 1905 sur le financement des cultes sur fonds public en acceptant la confusion entre usage cultuel et usage culturel des lieux de culte. Ainsi une collectivité territoriale peut-elle acquérir un bien « mixte », « utilisé dans le cadre de sa politique culturelle et éducative » (affaire de l'orgue de la commune de Trélazé). Les associations cultuelles ont dorénavant la possibilité de se doter de l'excroissance d'une association culturelle pour obtenir des financements publics. De même, un tel financement peut être affecté à un lieu de culte « pour [...] le développement touristique et économique de son territoire » (affaire de la construction d'un ascenseur d'accès à la nef et à la crypte de la basilique de Fourvière, à Lyon). Le deuxième contournement est celui des « intérêts publics locaux ». Les collectivités territoriales pourront prendre des décisions ou financer des projets portant sur des édifices ou des pratiques cultuelles, en déclarant simplement qu'il y va de « l'intérêt public local » : comme pour l'organisation de cours ou de concerts de musique dans un lieu de culte (affaire Trélazé) ; ou pour le « rayonnement culturel » de la basilique de Fourvière. Il suffirait alors à n'importe quel lieu de culte d'être ouvert quelques heures à des visites touristiques pour bénéficier de financements publics. Le troisième contournement est celui de la légitimation officielle des « dérogations » apportant des « tempéraments » à la loi de 1905. Il en est ainsi du bail de longue durée pour une somme symbolique (emphytéotique administratif) fréquemment conclu jusque-là dans l'illégalité par une collectivité territoriale en vue de la construction d'un édifice destiné à un culte qui est définitivement permis. Cette formule ne pourra plus, à l'avenir, faire l'objet de contestation, en l'absence de changement de la loi. Autre « dérogation », celle de l'aménagement sur fonds public d'un abattoir rituel (affaire du Mans). Plutôt que d'exiger des entrepreneurs privés, par ailleurs rétribués par une taxe religieuse à l'abattage à la charge des consommateurs, qu'ils se conforment « aux impératifs de l'ordre public, en particulier de la salubrité et de la santé publiques », le Conseil d'État inverse la responsabilité en acceptant que la collectivité finance un abattage rituel. Enfin, le Conseil d'État reconnaît et accepte la pratique de la mise à disposition d'un local communal pour l'exercice d'un culte (affaire de Montpellier). Toute municipalité pourrait donc créer et mettre à disposition d'un culte une « salle polyvalente à caractère associatif », euphémisme pour offrir un lieu de culte. Cette nouvelle jurisprudence pose problème car elle ouvre des brèches dans la laïcité, en autorisant les collectivités territoriales à financer les cultes. Il lui demande donc quelles nouvelles normes il entend proposer pour refuser toute entorse à la loi du 9 décembre 1905 ou tout accommodement avec son esprit.

Texte de la réponse

Par ses cinq décisions du 19 juillet 2011, le Conseil d'État a apporté d'importantes précisions sur la façon dont il convient d'interpréter la loi du 9 décembre 1905 lorsque des collectivités territoriales souhaitent apporter leurs aides à des opérations d'intérêt public local liée à unculte. Le Conseil d'État a rappelé qu'en vertu des dispositions de la loi du 9 décembre 1905, les collectivités publiques peuvent financer les dépenses d'entretien et de conservation des édifices du culte dont elles sont propriétaires (article 13 de la loi) ou accorder leurs concoursaux associations cultuelles pour des travaux de réparation d'édifices cultuels (article 19 de la loi). En revanche, il leur est interdit d'apporter une aide à une association cultuelle régie par le titre IV de la loi du 9 décembre 1905 compte tenu de son objet exclusivement cultuel ou envue d'une opération qui participe directement à l'exercice d'un culte. Dans l'affaire de l'orgue de la commune de Trélazé, le Conseil d'État a considéré que la loi du 9 décembre 1905 ne fait pas obstacle à ce qu'une collectivité territoriale participe au financement d'un bien destiné à un lieu de culte (par exemple, un orgue dans une église) dès lors qu'existe un intérêt public local (organisation de cours ou de concerts de musique) et qu'un accord, qui peut prendre la forme d'une convention, encadre l'opération et garantisse une utilisation de l'orgue par la commune conforme à ses besoins et une participationfinancière du desservant proportionnelle à l'utilisation qu'il fera de l'orgue afin d'exclure toute libéralité et, par suite, toute aide à un culte. Le Conseil d'Etat a également jugé que l'aide apportée par la ville de Lyon pour la mise en place d'un ascenseur facilitant l'accès des personnes à mobilité réduite à la basilique de Fourvière n'est pas contraire au principe d'interdiction d'aide à un culte posée par la loi de1905, même si cet équipement bénéficie également aux pratiquants du culte en cause. Toutefois, le Conseil d'Etat n'a admis une telle possibilité de financement qu'en raison de l'intérêt public local du projet lié à l'importance de l'édifice pour le rayonnement culturel et ledéveloppement touristique et économique de la ville et qu'à condition qu'il soit garanti, par exemple par voie contractuelle, que cette participation n'est pas versée à une association cultuelle et qu'elle est exclusivement affectée au financement du projet. S'agissant de l'affaire « Commune de Montpellier », le Conseil d'État a rappelé que lesdispositions législatives applicables (art. L. 2144-3 du code général des collectivités territoriales) permettent à une commune d'autoriser, dans le respect du principe de neutralité à l'égard des cultes et du principe d'égalité, l'utilisation d'un local qui lui appartient pourl'exercice d'un culte par une association, dès lors que les conditions financières de cette autorisation excluent toute libéralité et, par suite, toute aide à un culte. Il a également rappelé qu'une commune ne peut rejeter une demande d'utilisation d'un tel local au seul motif quecette demande lui est adressée par une association dans le but d'exercer un culte mais la commune ne peut laisser ce local de façon exclusive et pérenne à la disposition d'une association pour l'exercice d'un culte. En ce qui concerne la conclusion d'un bail emphytéotique administratif entre une collectivité territoriale et une association cultuelle en vue de l'édification d'un édifice du culte, le Conseild'Etat a considéré que le législateur a permis aux collectivités territoriales de conclure un bail emphytéotique administratif en vue de la construction d'un nouvel édifice cultuel (art. L. 1311-2 du code général des collectivités territoriales), avec pour contrepartie le versement, par l'emphytéote, d'une redevance qui ne dépasse pas en principe un montant modique, eu égard à la nature du contrat, au fait que son titulaire n'exerce aucune activité à but lucratif et à l'incorporation de l'édifice construit, à l'expiration du bail, dans le patrimoine des collectivités. Enfin, s'agissant de l'affaire relative à l'aménagement temporaire d'un local permettant l'exercice de l'abattage rituel, le Conseil d'État a jugé que la loi du 9 décembre 1905 ne fait pas obstacle à ce qu'une collectivité territoriale participe à l'aménagement d'un tel local, afin de permettre l'exercice de pratiques à caractère rituel relevant du libre exercice des cultes, àcondition d'une part, qu'il existe un intérêt public local, tenant notamment à la nécessité que les pratiques cultuelles soient exercées dans des conditions conformes aux impératifs de l'ordre public, en particulier de la salubrité et de la santé publiques et d'autre part, que le droit d'utiliser l'équipement soit concédé dans des conditions, notamment tarifaires, qui respectent le principe de neutralité à l'égard des cultes et le principe d'égalité et qui excluent toute libéralité et, par suite, toute aide à un culte. Par ces cinq décisions, le Conseil d'Etat a rappelé le principe d'interdiction de subventionner les cultes posé par la loi du 9 décembre 1905 tout en soulignant que cette loi contient ellemême des dérogations à ce principe et que d'autres législations y apportent des tempéraments. Il ressort de ces décisions que si les collectivités territoriales peuvent prendre des décisions ou financer des projets en rapport avec des édifices ou des pratiques cultuels, elles ne peuvent le faire qu'à la condition que ces décisions répondent à un intérêt public local, qu'elles respectent le principe de neutralité à l'égard des cultes et le principe d'égalité et qu'elles excluent toute libéralité et, par suite, toute aide à un culte. L'état du droit, comme le montrent ces décisions du Conseil d'Etat, semble permettre aux collectivités publiques et à leurs administrés de vivre une laïcité apaisée.