14ème législature

Question N° 69671
de M. Rémi Delatte (Union pour un Mouvement Populaire - Côte-d'Or )
Question écrite
Ministère interrogé > Économie, industrie et numérique
Ministère attributaire > Économie et finances

Rubrique > État

Tête d'analyse > concurrence

Analyse > ingénierie publique. tarifs. encadrement.

Question publiée au JO le : 25/11/2014 page : 9738
Réponse publiée au JO le : 20/09/2016 page : 8447
Date de changement d'attribution: 31/08/2016

Texte de la question

M. Rémi Delatte attire l'attention de M. le ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique sur les conséquences d'une politique low cost menée par certains donneurs d'ordre publics, notamment en matière d'études et d'ingénierie. Dans ce domaine le critère prix est souvent le seul critère prépondérant de choix sans réel regard sur la qualité technique des prestations. Cette politique amène les prestataires à afficher des prix journaliers aberrants avec des coûts horaires d'ingénieurs anormalement bas. Cette politique low cost est à la fois destructrice d'emplois et porteuse d'une ingénierie « bas de gamme » qui peut s'avérer dangereuse techniquement et financièrement pour les maîtres d'ouvrage. Il souhaite connaître les mesures que le Gouvernement entend mettre en œuvre afin de maîtriser cette dérive constatée par les professionnels.

Texte de la réponse

Le pouvoir adjudicateur attribue le marché au candidat qui a présenté l'offre économiquement la plus avantageuse. A cet égard, l'article 53 du code des marchés publics prévoit que le pouvoir adjudicateur se fonde « soit sur une pluralité de critères non discriminatoires et liés à l'objet du marché » dont il énumère une liste non exhaustive, « soit, compte tenu de l'objet du marché, sur un seul critère, qui est celui du prix ». Il est donc possible de ne choisir qu'un seul critère, qui est obligatoirement le prix. Le recours au seul critère du prix demeure néanmoins exceptionnel et ne doit pas aboutir à exclure les autres critères. En effet, l'acheteur ne peut se fonder sur ce seul critère que si l'objet du marché le justifie. Il en est ainsi pour des achats de produits simples et standardisés à propos desquels les offres des soumissionnaires peuvent être appréciées de manière objective sur la seule base du prix proposé. Hormis pour les achats de fournitures ou de services standardisés, l'utilisation de ce seul critère est susceptible d'entraîner l'annulation de la procédure de passation. Le critère unique du prix a, par exemple, pu être jugé illégal pour l'attribution de prestations présentant un certain caractère de complexité ou de technicité (CE, 6 avril 2007, Département de l'Isère, no 298584). Si le choix du « mieux-disant » n'est pas systématisé, il constitue aujourd'hui la règle, le recours au critère unique du prix étant soumis à des conditions strictes dont le respect peut être contrôlé par le juge. Dans le cadre des procédures de passation de marchés publics, certains opérateurs proposent des prix prédateurs, c'est-à-dire des tarifs inférieurs à leurs coûts moyens variables, qui visent à éliminer leurs concurrents ou à les empêcher d'accéder au marché. Le Gouvernement prend toute la mesure des difficultés rencontrées par les sociétés d'études et d'ingénierie et rappelle aux acheteurs publics l'importance de mettre en œuvre le dispositif de détection des offres anormalement basses, prévu à l'article 55 du code des marchés publics et repris à l'identique dans le décret d'application de l'ordonnance no 2005-649 du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics. Ce dispositif est présenté en détail dans le Guide de bonnes pratiques en matière de marchés publics ainsi que dans la fiche spécifique sur l'offre anormalement basse. Ces derniers sont disponibles sur le site Internet des ministères économiques et financiers, et repris dans le Vademecum des marchés publics publié par la Documentation française. Par la diffusion de ces outils, le Gouvernement rappelle aux acheteurs publics qu'ils doivent veiller à la bonne utilisation des deniers publics et être conscients des risques, tant opérationnels (demande de rémunération complémentaire, défaillance du titulaire, prestations de mauvaise qualité, recours au travail dissimulé) que juridiques, auxquels ils s'exposent en retenant une offre anormalement basse. En outre, les autorités françaises ont obtenu que la nouvelle directive relative aux marchés publics rappelle l'obligation de rejeter les offres anormalement basses, notamment lorsque les coûts anormalement bas proposés sont dus à des manquements aux obligations prévues par le droit social et du travail et par le droit de l'environnement (considérants 40 et 103 et article 69 de la directive no 2014/24/UE sur la passation des marchés publics du 26 février 2014). Le dispositif de détection des offres anormalement basses permet de ne pas sanctionner les offres basses, mais les offres anormales qui nuisent à la compétition loyale entre les candidats et qui, si elles étaient retenues, risqueraient de mettre en péril la bonne exécution du marché. L'offre anormalement basse ne fait pas l'objet d'une définition réglementaire. Il appartient aux acheteurs publics d'apprécier la réalité économique des offres reçues, afin de différencier une offre concurrentielle d'une offre anormalement basse. Les acheteurs publics peuvent relever certains indices tels que la sous-évaluation financière des prestations, un écart significatif entre le prix proposé par un candidat et celui de ses concurrents, la prise en compte par le soumissionnaire de ses obligations sociales dans son offre, une différence conséquente entre le prix de l'offre et l'estimation de la personne publique. Tout mécanisme d'exclusion automatique des offres anormalement basses sur la base d'un critère mathématique est en revanche illégal (CJCE, 22 juin 1989, Société Fratelli SPA c. Commune de Milan, aff. C-103/88), mais une formule mathématique peut être utilisée afin de déterminer un seuil d'anomalie. Quelle que soit la procédure de passation mise en œuvre, l'acheteur public qui constate qu'une offre paraît anormalement basse est tenu de solliciter auprès du candidat toute précision de nature à justifier le prix proposé afin d'en vérifier la viabilité économique. Cette procédure contradictoire ne relève pas d'une simple faculté mais constitue une obligation (CJUE, 29 mars 2012, SAG ELV Slovensko, aff. C-599/10 ; CE, 5 mars 1999, Président de l'Assemblée nationale, no 163328) qui peut être sanctionnée par le juge. L'acheteur public n'est toutefois pas tenu de poser des questions spécifiques (CE, 29 octobre 2013, Département du Gard, no 371233). Lorsque les explications du candidat s'avèrent insuffisantes ou révèlent une violation des règles auxquelles le candidat aurait dû se conformer, l'acheteur public est tenu de rejeter l'offre concernée. A titre d'exemple, un candidat ne peut se borner à invoquer sa longue expérience et sa qualité de précédent titulaire du marché pour justifier un prix largement plus faible que l'estimation du pouvoir adjudicateur et la moyenne des offres des autres candidats (CE, 15 octobre 2014, Communauté urbaine de Lille, no 378434). Le juge administratif exerce un contrôle de l'erreur manifeste d'appréciation sur la qualification des offres anormalement basses (CE, 1er mars 2012, Département de la Corse du Sud, no 354159).