14ème législature

Question N° 70216
de M. Alfred Marie-Jeanne (Gauche démocrate et républicaine - Martinique )
Question écrite
Ministère interrogé > Outre-mer
Ministère attributaire > Outre-mer

Rubrique > contributions indirectes

Tête d'analyse > accises

Analyse > alcools. rhums d'outre-mer. soutien. politiques communautaires.

Question publiée au JO le : 02/12/2014 page : 10028
Réponse publiée au JO le : 14/04/2015 page : 2898

Texte de la question

M. Alfred Marie-Jeanne attire l'attention de Mme la ministre des outre-mer sur l'évolution du marché du rhum et, singulièrement, sur celle de l'exportation des rhums des DOM vers Europe. Face à une concurrence acharnée, les données conjoncturelles attestent d'une diminution des exportations de rhum de l'outre-mer vers l'Europe malgré les efforts faits pour conquérir d'autres marchés. Parallèlement, on constate une tendance croissante à l'augmentation des rhums de Porto-Rico et des Iles Vierges. En effet, la volonté de restreindre le soutien aux producteurs de rhum en outre-mer contraste avec la politique américaine consistant à subventionner largement les productions des États précités. Les chiffres parlent d'eux-mêmes. En passant de 4 718 hectolitres d'alcool pur (HAP) exportés en Europe en 2008 à 205 227 HAP en 2013, l'exportation a été multipliée en cinq années par plus de 47. Subséquemment, les exportations des producteurs des pays ACP ont diminué, passant de 438 023 à 244 321 HAP. Les rhums en outre-mer suivent la même tendance, les exportations passant de 197 786 à 190 382. Grâce à des îles situées dans la Caraïbe, deux marques productrices de rhum, Diageo (Îles Vierges américaines) et Baccardi Ora (Porto Rico), permettent aux Américains d'inonder le marché du rhum en Europe. À cet effet, un « système d'aide ultra-premium », baptisé accord « cover over », est en vigueur depuis 2009 pour une durée de 30 ans. Il permet au trésor américain de reverser à ces États 97 % du montant total des droits d'accises. Ces droits sont acquittés par les consommateurs américains de rhum, y compris sur les rhums importés. Puis, les sociétés Diageo et Baccardi Ora ont obtenu de leurs gouvernements la restitution d'une grande partie de cette rétrocession du trésor américain. En l'absence de plafond tant sur la quantité que sur le montant de l'aide, cette double rétrocession fiscale donne à ces producteurs un avantage concurrentiel indéniable. Ils ont ainsi bénéficié de 580 millions US $ de subventions déguisées en 2012. Le comble, c'est qu'il paraîtrait que, dans la même année, les producteurs Diageo aient reçu la livraison gratuite « clé en main » d'une distillerie d'une valeur de 137 millions US $ pour installer une unité de production aux Îles Vierges. Devant une telle distorsion de la concurrence, le maintien d'un différentiel concernant les droits exigés par l'Europe et la possibilité pour la France d'appliquer un taux d'accises réduit sur le rhum « traditionnel » ne suffisent pas. D'abord, à l'examen des nouveaux droits, les taxes à acquitter par Diageo et Baccardi Ora sont déjà largement couvertes par l'accord « Cover over ». Ensuite, l'avantage fiscal pour les producteurs de l'outre-mer est maintenu jusqu'au 31 décembre 2020 alors que l'avantage pour les producteurs de Porto-Rico et des îles Vierges est prévu pour trente ans à partir de 2009. Enfin, une livraison gratuite, « clé en main » s'apparente à une aide supplémentaire. Or, dans la stratégie diplomatique, si les pays ACP ont contesté le système américain de soutien à ces rhums, l'Europe, dans le cadre des négociations avec les États-Unis, préfère exclure les rhums français du débat pour éviter un point de blocage. Il lui demande si le Gouvernement consent à défendre fermement les intérêts des producteurs de rhum en outre-mer, à prendre les mesures adaptées pour compenser le préjudice causé et à saisir les instances de l'Organisation mondiale du commerce sur ce sujet préoccupant.

Texte de la réponse

Dans le cadre de la libéralisation progressive du marché européen, les rhums des DOM devront faire face à une concurrence accrue de la part des produits en provenance des pays tiers dont les coûts de production sont nettement inférieurs. Le Gouvernement français veille à la prise en compte des intérêts des DOM dans le cadre des accords commerciaux négociés par l'Union européenne avec les pays tiers et les pays ACP. Un groupe de travail a d'ailleurs été mis en place en collaboration avec les professionnels afin de suivre l'avancement des négociations des accords commerciaux et d'alerter les institutions européennes en cas de risque pour le secteur. L'interprofession se félicite de ce dispositif qui correspond à ses attentes. Les derniers accords de libéralisation qui affectent le marché du rhum des DOM ont été négociés avec les Pays andins et l'Amérique centrale en 2010 et 2011. Des contingentements des importations à droit nul permettent toutefois de limiter les entrées sur le marché européen. Dans le cadre des négociations avec les Etats-Unis sur le partenariat transatlantique de commerce et d'investissement, le rhum a été classé en produit sensible et fera donc l'objet d'un traitement spécifique en fin de négociation. Plus globalement, le Gouvernement a conduit une démarche officielle auprès de la Commission européenne pour signaler la nécessité, dans le cadre des accords commerciaux et de partenariat, de réserver aux productions en provenance des régions d'outre-mer un traitement spécifique, compatible avec l'appui nécessaire à des filières déjà confrontées à une forte concurrence. Par ailleurs, en terme de fiscalité, les négociations conduites en 2013 et 2014 entre la Commission européenne et les autorités françaises ont permis d'obtenir le maintien et la prolongation du dispositif fiscal dérogatoire bénéficiant aux rhums des DOM commercialisés sur le marché métropolitain : la décision Taxud n° 189/2014/UE du Conseil du 20 février 2014, abrogeant la décision 2007/659/CE, permet à la France de proroger l'application d'un taux réduit avantageux sur le rhum traditionnel des DOM commercialisé sur le marché français dans la limite de 50 % du taux plein, sur un volume annuel de 120 000 hectolitres d'alcool pur pour la période 2014 - 2020. Le 16 septembre 2014, la Commission européenne a approuvé le régime fiscal appliqué par la France au rhum traditionnel, le jugeant compatible avec le marché intérieur. Cette mesure permet ainsi de sauvegarder la production de rhum des DOM et de contribuer, au-delà, au maintien de la filière canne-sucre-rhum. La filière rhum des DOM bénéficie également d'un soutien continu dans le cadre du programme communautaire POSEI, qui permet à la fois de maintenir le revenu des planteurs de canne, ainsi que celui des industriels (aide à la transformation de canne en rhum agricole). Le montant annuel des aides POSEI pour l'ensemble de la filière s'élève à 74,86 millions d'euros, dont 5,7 millions d'euros pour le rhum agricole. Enfin, s'il est vrai que la part de marché des rhums tiers augmente plus rapidement que les rhums des DOM, ces derniers voient quand même leurs ventes augmenter de l'ordre de 3,5 % par an. Ces deux produits ne visent pas le même public, les rhums tiers, moins alcoolisés et souvent plus sucrés, s'adressent à un public peu regardant sur la qualité du produit contrairement aux rhums des DOM qui s'adressent à un public plus connaisseur, à la recherche d'un produit de qualité.