14ème législature

Question N° 72364
de Mme Gilda Hobert (Radical, républicain, démocrate et progressiste - Rhône )
Question écrite
Ministère interrogé > Justice
Ministère attributaire > Justice

Rubrique > donations et successions

Tête d'analyse > réglementation

Analyse > QPC. décision Conseil constitutionnel. réglementation. conséquences.

Question publiée au JO le : 13/01/2015 page : 143
Réponse publiée au JO le : 23/06/2015 page : 4765
Date de signalement: 17/03/2015

Texte de la question

Mme Gilda Hobert attire l'attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice sur le vide juridique laissé par la décision QPC n° 2011­159, en date du 5 août 2011, du Conseil constitutionnel, qui a déclaré inconstitutionnel l'article 2 de la loi du 14 juillet 1819, qui instaurait un droit de prélèvement en faveur des seuls héritiers français en cas de partage d'une même succession entre cohéritiers étrangers et français. En effet, le Conseil constitutionnel a considéré que cette disposition établissait « une différence de traitement entre les héritiers venant également à la succession d'après la loi française et qui ne sont pas privilégiés par la loi étrangère ». Autrement dit, le droit de prélèvement, censé garantir une égalité entre cohéritiers ne profitait qu'à l'héritier français lésé. Le reproche du Conseil tient donc à ce qu'un héritier étranger lésé par une loi étrangère dans une succession ouverte (au moins en partie) en France n'était pas protégé. Il n'en reste pas moins que le droit de prélèvement, ancienne institution de droit positif français qui touchait à l'ordre public commandé par le respect de l'égalité des partages en cas de succession, était toujours analysé par le juge comme une règle matérielle impérative, même lorsqu'il y avait conflit de lois, ce qui est fréquent en la matière. Un règlement (UE) n° 650-2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012, qui entrera en vigueur en 2016, est censé se substituer aux règles de droit international privé actuellement applicables aux successions transfrontalières. Le règlement a notamment pour objet d'éviter, à l'avenir, des conflits qui trouvaient principalement leur source dans l'existence, en droit français, d'une réserve successorale, alors que de nombreux droits étrangers ne connaissent pas d'équivalent. L'application du droit de prélèvement, qui peut permettre à l'héritier, justement, de compenser une absence éventuelle de réserve, ne priverait pas de tout effet utile le règlement de 2002. En outre, l'article 27 de ce règlement a prévu une possibilité de dérogation à la loi communautaire si celle­ci est contraire à l'ordre public du for, ce qui conforte le maintien du droit de prélèvement, à la différence de la réserve successorale qui n'est pas une règle impérative et ne participe pas de l'ordre public. Ceci n'est pas contesté par le Conseil constitutionnel dans ses considérants, qui suggère de rétablir un droit de prélèvement respectant le principe constitutionnel d'égalité, quelle que soit la nationalité de l'héritier lésé par la loi successorale. Aussi elle demande de lui préciser les mesures qu'elle compte mettre en œuvre afin de sauvegarder le principe d'égalité en matière successorale.

Texte de la réponse

Les règles de droit international privé actuellement applicables aux successions transfrontalières ont vocation à disparaître avec l'entrée en application, le 17 août 2015, du règlement n° 650/2012 du Parlement Européen et du Conseil du 4 juillet 2012, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des décisions, et l'acceptation et l'exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d'un certificat successoral européen. En effet, en application de ce règlement, la loi applicable sera, à défaut du choix de la loi de l'Etat dont la personne possède la nationalité, la loi de l'État dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès. Cette loi aura vocation à régir l'ensemble de la succession, en ce compris les biens situés à l'étranger. Si le règlement a prévu de façon expresse un certain nombre de dérogations à la loi normalement applicable, celles-ci doivent être interprétées restrictivement. A titre d'exemple, s'il a été prévu la possibilité à l'article 30 du règlement, d'écarter la loi normalement applicable pour certains biens, le considérant 54 du règlement précise que « cette exception à l'application de la loi applicable à la succession requiert une interprétation stricte afin de rester compatible avec l'objectif général du présent règlement. Dès lors, ne peuvent être considérées comme des dispositions spéciales imposant des restrictions concernant la succession portant sur certains biens ou ayant une incidence sur celle-ci [...] les dispositions prévoyant une réserve héréditaire plus importante que celle prévue par la loi applicable à la succession en vertu du présent règlement. » Réintroduire le mécanisme du droit de prélèvement, dans une rédaction ouverte à tous les héritiers quelle que soit leur nationalité, conduirait ainsi à poser une nouvelle dérogation aux règles de conflit posées par le règlement, en contradiction avec l'esprit de celui-ci. En outre, il est délicat de considérer que la dérogation qui pourrait être ouverte par le droit français par le rétablissement du droit de prélèvement entrerait nécessairement dans le champ de l'exception d'ordre public visé à l'article 35 du règlement qui prévoit qu'une disposition de la loi normalement applicable à la succession peut être écartée « si son application est manifestement incompatible avec l'ordre public du for ». En effet, d'une part, en droit interne, la nature juridique de la réserve héréditaire et son appartenance au socle des règles relevant de l'ordre public international français n'est pas clairement fixée par la jurisprudence de la Cour de cassation. D'autre part, l'objectif du règlement visant à garantir une plus grande visibilité en matière successorale aux personnes résidant habituellement sur le territoire de l'Union européenne, pourrait conduire la Cour de justice de l'Union européenne à considérer qu'un Etat membre ne peut pas permettre l'éviction systématique des lois étrangères ne prévoyant pas de réserve. La réintroduction du droit de prélèvement ferait donc courir un risque sérieux de censure du dispositif par la Cour de justice de l'Union européenne dans le cadre d'un recours en manquement ou par la voie d'une question préjudicielle. Dès lors, il n'est pas envisagé une réintroduction de ce mécanisme en droit interne, la protection de la réserve héréditaire étant par ailleurs assurée par les limites posées par le règlement au choix de la loi applicable, qui n'est possible qu'en faveur de la loi de la nationalité du défunt et par les règles relatives à l'appréciation de la notion de résidence habituelle, un changement de résidence du défunt peu avant son décès ne devant pouvoir être pris en considération.