14ème législature

Question N° 72590
de M. Hervé Féron (Socialiste, républicain et citoyen - Meurthe-et-Moselle )
Question écrite
Ministère interrogé > Justice
Ministère attributaire > Justice

Rubrique > défense

Tête d'analyse > armée

Analyse > crimes et délits. poursuites. procureur. monopole.

Question publiée au JO le : 20/01/2015 page : 329
Réponse publiée au JO le : 24/05/2016 page : 4538
Date de changement d'attribution: 28/01/2016
Date de renouvellement: 12/05/2015
Date de renouvellement: 26/04/2016

Texte de la question

M. Hervé Féron attire l'attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice sur l'interdiction qui est faite aux victimes de crimes commis par des militaires français sur un terrain extérieur de se porter parties civiles. Inscrite à l'article 30 de la loi de programmation militaire votée à la fin de l'année 2014, cette disposition se situe dans le prolongement de la loi de programmation de 2010, qui éloignait déjà les victimes en consacrant le monopole du procureur de la République pour les affaires concernant les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité et les génocides commis à l'étranger. En étendant le monopole du parquet, hiérarchiquement lié au pouvoir exécutif, à l'ensemble des plaintes visant les militaires y compris en matière de crimes (et non des seuls délits), cette disposition apparaît en totale contradiction avec certains principes fondamentaux de notre système juridique continental. Il s'agit de l'accès au juge, droit fondamental expressément évoqué dans la Déclaration universelle des droits de l'Homme et la Convention européenne des droits de l'Homme et reconnu par le Conseil constitutionnel en 1996, ainsi que de son corollaire, la possibilité de demander l'ouverture d'une instruction judiciaire (consacré aux articles 85 à 91-1 du code de procédure pénale). L'exécutif français n'ayant aucune légitimité à exercer de contrôle - à travers le parquet - sur les faits commis par ses militaires, il souhaiterait obtenir des éléments d'explication de sa part au sujet de cet article 30, et attire son attention sur la nécessité de revenir sur cette partie de la loi de programmation militaire.

Texte de la réponse

L'article 697-4 du code de procédure pénale dispose que « les juridictions mentionnées à l'article 697 ayant leur siège à Paris sont également compétentes pour connaître des crimes et des délits commis hors du territoire de la République par les membres des forces armées françaises ou à l'encontre de celles-ci dans les cas prévus au chapitre Ier du titre II du livre Ier du code de justice militaire ». L'article L.211-11 du code de justice militaire, dans sa rédaction issue de la loi du 18 décembre 2013, énonce que « les règles relatives à la mise en mouvement de l'action publique et à l'exercice de l'action civile en réparation du dommage causé par l'une des infractions de la compétence des juridictions de Paris spécialisées en matière militaire sont celles prévues par le code de procédure pénale, sous réserve des dispositions des articles 698-1 à 698-9 du même code, de celles de l'article 113-8 du code pénal et de celles de la présente section ». S'agissant de la mise en mouvement de l'action publique pour une infraction commise par un militaire français hors du territoire national, l'article 698-2 al.2, dans sa rédaction issue de la loi du 18 décembre 2013, dispose que « toutefois, l'action publique ne peut être mise en mouvement que par le procureur de la République lorsqu'il s'agit de faits commis dans l'accomplissement de sa mission par un militaire engagé dans le cadre d'une opération mobilisant des capacités militaires, se déroulant à l'extérieur du territoire français ou des eaux territoriales françaises, quels que soient son objet, sa durée ou son ampleur, y compris la libération d'otages, l'évacuation de ressortissants ou la police en haute mer ». Ainsi, dans l'hypothèse d'une infraction commise dans l'exercice de ses fonctions par un militaire hors du territoire national, l'action publique ne peut être mise en mouvement que par le ministère public, à l'exclusion de la possibilité de recourir à la plainte avec constitution de partie civile ou à la citation directe par la partie civile. C'est la raison pour laquelle le nouvel article L.211-11 du code de justice militaire, modifié par la loi du 18 décembre 2013, rappelle expressément l'applicabilité aux affaires militaires de l'article 113-8 du code pénal, qui dispose que l'action publique ne peut être mise en mouvement, concernant les délits commis à l'étranger contre ou par des ressortissants français, qu'à l'initiative du parquet à la suite d'une plainte de la victime ou de ses ayants-droits ou à une dénonciation officielle de l'Etat où les faits se sont produits. En consacrant le principe de l'engagement des poursuites par le seul ministère public, pour les délits commis hors du territoire national, la nouvelle rédaction de l'article L.211-1 du code de justice militaire établit par conséquent une égalité de régime entre les civils (auquel s'appliquait déjà le régime de l'article 113-8 du code pénal) et les militaires (jusqu'alors uniquement soumis aux règles de l'article 698-2 du code de procédure pénale qui, tel qu'interprété par la chambre criminelle de la Cour de cassation dans un arrêt du 10 mai 2012, ne prévoyait aucune restriction au droit pour la partie lésée de mettre en mouvement l'action publique). Le monopole du parquet en la matière s'étend également aux crimes commis par les militaires français dans l'accomplissement de leurs missions. Cette règle de compétence étendue aux crimes a pour principal objectif de prendre en compte les particularités – notamment les règles propres au droit international des conflits armés et le contexte international - de l'activité militaire en opérations extérieures : dans cette perspective, l'intervention de l'autorité judiciaire doit permettre de mesurer la singularité du métier du militaire qui tient à ce qu'il accepte consciemment de servir dans des conditions par définition dangereuses et exceptionnelles, en exposant sa vie si nécessaire, dans le cadre d'une chaîne de commandement très hiérarchisée. Cette singularité justifie en effet des règles procédurales particulières. Il n'est donc pas envisagé de les modifier.