14ème législature

Question N° 72655
de M. Jean-Pierre Blazy (Socialiste, républicain et citoyen - Val-d'Oise )
Question écrite
Ministère interrogé > Finances et comptes publics
Ministère attributaire > Finances et comptes publics

Rubrique > impôts et taxes

Tête d'analyse > politiques communautaires

Analyse > taxe sur les transactions financières. perspectives.

Question publiée au JO le : 20/01/2015 page : 315
Réponse publiée au JO le : 08/03/2016 page : 2026
Date de signalement: 16/06/2015

Texte de la question

M. Jean-Pierre Blazy attire l'attention de M. le ministre des finances et des comptes publics sur les négociations sur la taxe sur les transactions financières (TTF). Soutenue par onze pays en Europe, elle rapporterait au moins 9,6 milliards d'euros par an à la France. En se disant favorable à « l'assiette la plus large possible », le Président semble rompre avec la ligne suivie jusqu'à présent par Paris sur le sujet. Paris avait semblé freiner les négociations européennes sur le sujet en acceptant de taxer l'ensemble des échanges d'actions, mais une partie seulement des produits dérivés. Or le Président a indiqué qu'il valait mieux prendre tous les produits de la finance avec un taux faible pour qu'il n'y ait pas de désorganisation des marchés. Ses déclarations contredisent celles des ministres de l'économie qui arguaient du fait que la taxe incluant les produits dérivés aurait pour effet de fragiliser nos institutions financières et de délocaliser une partie de leur activité. Néanmoins, cette taxe avec une assiette large et un taux assez élevé figurait parmi les engagements de campagne. Il aimerait qu'il lui indique la ligne qui sera finalement suivie.

Texte de la réponse

Il importe tout d'abord de rappeler que la France a toujours cherché à jouer un rôle moteur dans les négociations européennes, avec pour objectif de rendre concret une idée déjà ancienne, puisque Keynes la mentionnait dans les années 30, avant que Tobin en développe le concept, en ce qui concerne les transactions de changes, dans des cours regroupés dans un livre publié en 1974. C'est pourquoi, à la suite des réunions des Conseils ECOFIN des 22 juin et 10 juillet 2012 au cours desquelles ont été constatées des divergences de vues substantielles, ainsi que l'impossibilité d'un accord dans un avenir prévisible entre tous les Etats membres de l'Union européenne, la France a demandé, de manière concertée avec l'Allemagne, à la Commission de relancer le dossier dans le format d'un groupe de onze Etats volontaires. C'est également en suivant ce même objectif que la France a fait une proposition de compromis à ses partenaires, présentée dans une tribune de presse du 3 novembre 2014. Il s'agit alors d'engranger de premiers résultats concrets et rapides, fondés sur une assiette de taxation certes plus réduite que celle proposée par la Commission européenne (les actions et certains produits dérivés), mais présentant l'avantage de pouvoir être mise en œuvre rapidement au niveau technique. Cette proposition de compromis pour une première étape de la TTF européenne n'a néanmoins pas reçu l'assentiment de nos partenaires. Aussi, le Président de la République a relancé le dossier sur la scène européenne dans une allocution radiophonique le 5 janvier 2015. Le ministre des finances et des comptes publics a remobilisé ses partenaires lors d'une réunion le 27 janvier 2015, au cours de laquelle les ministres se sont accordés sur des progrès de méthode et de fond. Sur la méthode, il a été décidé de confier la coordination politique des négociations à H.J. Schelling, le ministre autrichien des finances, ainsi que d'obtenir la collaboration de la Commission européenne aux travaux techniques. En substance, les ministres ont décidé de fonder la future taxe sur le principe d'une assiette large avec des taux faibles, tout en prenant pleinement en compte les impacts sur l'économie réelle et le risque de relocalisation du secteur financier. Ces éléments sont totalement en phase avec les demandes du Président de la République. Il est notable que la France est l'un des pays participants aux négociations qui souhaite le plus vivement avoir un accord rapide sur ce sujet, alors que certains de nos partenaires semblent envisager un report de plusieurs années d'un accord, puis de l'entrée en vigueur du dispositif. C'est pourquoi le ministre des finances et des comptes publics a plaidé auprès de ses homologues pour des réunions régulières sur ce sujet. Le projet de taxe européenne sur les transactions financières fait face à deux risques majeurs, qu'il convient de maîtriser pour faire de cette taxe un succès. Le principal risque est un risque de délocalisation des activités financières et d'attrition de l'assiette importante. En effet, l'activité et les transactions financières sont hautement mobiles et délocalisables en particulier dans un environnement où l'ensemble des infrastructures de marché sont mises en concurrence, au niveau européen et mondial. Ce risque de délocalisation est plus ou moins important en fonction des principes de territorialité appliqués. La France est le seul Etat membre à avoir pratiqué, sur les transactions sur titres, les deux grands principes de territorialité que sont les principes de résidence et d'émission. Le principe de résidence a conduit à un effondrement des recettes avec l'ouverture des marchés financiers et à une perte nette pour les finances publiques (cf. suppression de l'impôt de bourse en 2008, mais aussi expérience de la taxe suédoise de 1984 à 1991 qui a conduit à un effondrement du volume de transactions de 98 % sur certains segments de marché de dérivés). C'est pourquoi le principe d'émission est privilégié dans la taxe actuelle, en ce qui concerne les titres, car il fait porter le désavantage comparatif sur l'émetteur (désavantage par ailleurs de faible ampleur pour un siège social au regard d'autres facteurs) et non sur l'institution financière (désavantage qui serait alors de plus grande ampleur, car impactant directement la marge réalisée pour assurer la transaction). Devant l'attachement de certains de nos partenaires de la coopération renforcée au principe de résidence, un compromis a été mis sur la table, qui devrait pouvoir satisfaire tout le monde : il s'agirait d'appliquer les principes territoriaux tels que proposés par la Commission européenne aux titres émis par des sociétés établies dans la zone TTF. Pour les dérivés, qui sont des contrats et non des titres de propriété, le principe d'émission paraît inadapté. Il est donc privilégié, pour limiter le risque de délocalisation des transactions, d'appliquer, via le calcul de l'assiette et le choix des taux, un niveau acceptable de charge fiscale par rapport au gain économique procuré. Le second risque est un risque pour le financement des Etats. En effet, la Commission européenne inclut dans sa proposition l'ensemble des produits financiers, notamment les obligations souveraines et les dérivés souverains. Dans leur résolution législative du 3 juillet 2014, les parlementaires européens prennent bien en compte ce risque en proposant des dispositions transitoires en ce qui concerne les obligations souveraines. Devant l'insistance de nombre de nos partenaires, et par mesure de compromis, un accord a été trouvé pour ne pas taxer les titres obligataires dans une première étape, ainsi que l'annonce la déclaration commune des 11 ministres du 6 mai 2014. Alors que la France souhaiterait taxer de manière identique l'ensemble des produits dérivés, certains de nos partenaires souhaitent également préserver les segments de marchés dérivés liés, de manière plus ou moins directe, aux titres souverains ou les contrats destinés à la couverture des risques. Des travaux sont en cours, mais il est encore trop tôt pour anticiper leurs résultats. La position de la France est donc pleinement en ligne avec les annonces du Président de la République : assiette la plus large possible, incluant l'ensemble des dérivés, avec des taux faibles. Cette position risque toutefois de devoir évoluer pour permettre la formation d'un compromis européen, notamment sur le champ des dérivés à taxer, comme expliqué précédemment – nos partenaires de la coopération renforcée adoptant une position généralement un peu moins ambitieuse que celle de la France.