Question écrite n° 74957 :
légitime défense

14e Législature
Question signalée le 27 octobre 2015

Question de : M. Hervé Féron
Meurthe-et-Moselle (2e circonscription) - Socialiste, écologiste et républicain

M. Hervé Féron attire l'attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice sur la problématique de la légitime défense dans le cadre des violences conjugales. Cette problématique s'est récemment invitée dans le débat public avec l'acquittement le 23 mars 2012 d'une femme qui encourait la réclusion à perpétuité pour avoir tué d'un coup de couteau son mari, lui-même tentant de l'étrangler. Ayant subi un calvaire pendant plus de dix ans, cette dame avait à plusieurs reprises demandé de l'aide auprès des services de police ou encore auprès d'un foyer de femmes maltraitées. Au cours de son procès, ses deux avocates avaient tenté d'invoquer la légitime défense, en vain. En effet, l'article 122-5 du code pénal qui définit la légitime défense dispose que trois conditions doivent être remplies : il doit y avoir agression, puis un acte de riposte à but défensif de l'agressé ou d'une tierce personne ; enfin, la réponse doit être proportionnelle à l'attaque. Or, dans ce cas, cette dernière condition n'était pas remplie, du fait de son recours à une arme blanche, alors que son mari n'en était pas muni. Considérant les antécédents très lourds de l'accusée, l'ensemble de ses démarches infructueuses pour sortir de son calvaire, ainsi que le coup unique porté à son mari, l'avocat général avait alors appelé les jurés à l'acquitter. Ce cas, qui était une première en France, demeure unique à ce jour. A la fin du mois d'octobre 2014, une autre femme, également victime de violences conjugales, a mis fin aux jours de son mari avec trois coups de fusils dans le dos, ce qui lui a valu une condamnation à dix ans de prison ferme. Dans d'autres pays du monde, et notamment au Canada depuis 1990, une « présomption de légitime défense » existe et vise à caractériser ces situations de riposte non-proportionnelle faisant suite à des actes de violence répétés. La Cour suprême du Canada tient en effet compte de ce que l'on appelle le « syndrome de la personne battue », qui se caractérise par un contexte de violences conjugales répétées dans lequel la victime évolue, avec une emprise exercée son ou sa conjoint(e) sur une longue période. La victime se trouve alors dans un état post-traumatique qui se traduit par la crainte permanente de perdre la vie. Elle réagit alors en se défendant contre son ou sa conjoint(e), de quelque manière que ce soit, avant que celui-ci ou celle-ci ne finisse par la tuer. Selon le raisonnement de la Cour suprême canadienne, la victime est alors placée dans une situation de légitime défense. Eu égard à la très grande spécificité des cas d'homicides survenus à la suite de violences répétées dans le cadre conjugal, il souhaite savoir si une telle « présomption de légitime défense » pourrait être intégrée en droit français.

Réponse publiée le 5 avril 2016

La légitime défense est une cause d'irresponsabilité pénale qui assure l'impunité de celui qui, pour repousser une agression actuelle et injustifiée le menaçant ou menaçant autrui, est amené à commettre une infraction lésant l'auteur du péril. Comme pour toutes les causes d'irresponsabilité pénale, il incombe par principe à la personne poursuivie de démontrer qu'elle a agi en état de légitime défense. Le ministère public qui a pour tâche de démontrer, le cas échéant, l'existence des éléments matériels et intellectuels indispensables à la caractérisation de toute infraction devra, dans pareille hypothèse, répondre à l'argumentation de la défense qui arguerait de la légitime défense pour justifier le comportement poursuivi. Ce n'est que de manière exceptionnelle et pour épouser des situations qui correspondent a priori à des atteintes injustifiées dont il est légitime de se défendre que le législateur a édicté une présomption de légitime défense à l'article 122-6 du code pénal. Ne cédant que face à la preuve contraire, celle-ci vise deux hypothèses spécifiques : pour repousser, de nuit, l'entrée par effraction, violence ou ruse dans un lieu habité et pour se défendre contre les auteurs de vols ou de pillages exécutés avec violence. Cette présomption se justifie aisément par le fait que les circonstances mêmes des faits et notamment le lieu où ils sont commis (domicile de la personne arguant de la légitime défense) sont de nature à limiter grandement toute contestation éventuelle sur la réalité de la légitime défense. Ce raisonnement ne saurait cependant prévaloir pour les autres types d'agressions lesquels demeurent soumis au régime général prévu à l'article 122-5 du code pénal. Cette distinction légalement définie est le fruit de débats doctrinaux et d'une longue évolution jurisprudentielle finalement consacrée lors de la rédaction du code pénal de 1994. Le débat ne semble donc pas devoir porter sur une modification des textes concernant la légitime défense, qui doit rester une cause d'irresponsabilité en réponse à une agression en train de se commettre. En revanche, la question de la prise en compte pénale du syndrôme post-traumatique de la femme battue va être l'objet de débats à venir.

Données clés

Auteur : M. Hervé Féron

Type de question : Question écrite

Rubrique : Droit pénal

Ministère interrogé : Justice

Ministère répondant : Justice

Signalement : Question signalée au Gouvernement le 27 octobre 2015

Dates :
Question publiée le 3 mars 2015
Réponse publiée le 5 avril 2016

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