14ème législature

Question N° 8419
de Mme Marie-Line Reynaud (Socialiste, républicain et citoyen - Charente )
Question écrite
Ministère interrogé > Défense
Ministère attributaire > Défense

Rubrique > défense

Tête d'analyse > armée

Analyse > militaires et civils. pathologies liées aux essais nucléaires. reconnaissance.

Question publiée au JO le : 30/10/2012 page : 6037
Réponse publiée au JO le : 26/02/2013 page : 2222

Texte de la question

Mme Marie-Line Reynaud attire l'attention de M. le ministre de la défense sur les revendications des victimes des essais nucléaires français. Les premières indemnisations de victimes sont intervenues en juin 2012, suite à la parution du décret d'application n° 2010-653 du 11 juin 2010, relatif à la loi Morin n° 2010-2 du 5 janvier 2010. Toutefois, certaines dispositions de ladite loi ne sont pas encore mises en oeuvre. En effet, la commission consultative de suivi des conséquences des essais nucléaires, organisme extra-parlementaire dont la création est prévue à l'article 7 de la loi et à l'article 12 du décret d'application et chargée de suivre l'application de la loi et de veiller à l'actualisation de la liste des maladies radio-induites, n'a toujours pas été mise en place et, en dehors des parlementaires, aucun membre n'en a été nommé. Les revendications portent également sur le souhait, pour chacun des personnels ayant participé aux essais nucléaires, de pouvoir bénéficier d'un suivi médical individualisé et adapté. Les vétérans des essais nucléaires souhaitent également une réactualisation des maladies reconnues à ce jour internationalement comme étant radio-induites. Par ailleurs, ils estiment qu'il convient d'élargir le périmètre géographique retenu pour définir les zones de retombées contaminantes, à la lumière des crises nucléaires survenues à Tchernobyl et plus récemment au Japon. L'association des vétérans des essais nucléaires est de plus en attente d'informations, et ce dans la plus grande transparence, sur la mise en place de conditions de travail spécifiques liées aux risques en milieu nucléaire pour les travailleurs actuellement chargés de la réhabilitation de l'atoll de Hao et sur les conséquences environnementales de l'affaissement programmé, à plus ou moins brève échéance, de l'atoll de Mururoa. Aussi, il lui demande quelles mesures il compte mettre en oeuvre afin de répondre aux légitimes revendications des victimes des essais nucléaires.

Texte de la réponse

Le Gouvernement suit avec la plus grande attention le dossier relatif aux conséquences sanitaires des essais nucléaires français et a, notamment, décidé l'indemnisation des personnes atteintes de maladies radio-induites provoquées par les essais nucléaires réalisés par la France, entre 1960 et 1996, au Sahara et en Polynésie française. La loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, et le décret n° 2010-653 du 11 juin 2010 pris pour son application, ont ainsi créé un régime de réparation intégrale des préjudices subis par les victimes des essais nucléaires français, quel que soit leur statut (civils ou militaires, travailleurs sur les sites d'expérimentations et populations civiles, ressortissants français ou étrangers). Ce cadre juridique permet à toute personne atteinte d'une pathologie radio-induite figurant parmi les vingt-et-une maladies listées en annexe du décret du 11 juin 2010, complétées par le décret du 30 avril 2012, de constituer un dossier de demande d'indemnisation. Cette liste des pathologies a été élaborée à l'aide des travaux les plus récents, menés par le Comité scientifique des Nations unies pour l'étude des effets des rayonnements ionisants (UNSCEAR). La demande doit comporter les éléments attestant de la présence du requérant, au cours de périodes déterminées, dans l'une des zones géographiques de retombées de rayonnements ionisants, conformément à l'article 2 de la loi précitée. Les délimitations précises de ces zones sont fixées par l'article 2 du décret du 11 juin 2010 et l'article 1er du décret du 30 avril 2012, sur la base de calculs scientifiques. Les personnes s'estimant victimes des essais nucléaires n'ont pas de limite dans le temps pour déposer leur demande. Cependant, les ayants droit des demandeurs décédés avant la promulgation de la loi précitée, c'est-à-dire avant le 5 janvier 2010, doivent solliciter une indemnisation avant la fin des cinq ans suivant sa promulgation. Cette demande ne peut être déposée qu'au nom du demandeur décédé, pour ses propres préjudices, dont ils sont les héritiers. Ceux-ci ont néanmoins la possibilité de demander la réparation de leur propre préjudice selon les règles de droit commun. Lorsque les pièces justificatives ont été rassemblées par le demandeur ou par le secrétariat du comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN), les dossiers peuvent être considérés complets. Une lettre est alors envoyée au requérant, l'informant que sa demande est enregistrée et que son dossier sera présenté dans les meilleurs délais au CIVEN. Le CIVEN, dont les membres ont été nommés par arrêtés du 3 août 2010 et du 21 mars 2011, est présidé par une présidente de section honoraire du Conseil d'État et composé notamment d'experts médicaux nommés conjointement par les ministres chargés de la défense et de la santé sur proposition du Haut Conseil de la santé publique. Le comité instruit au cas par cas les dossiers de demande d'indemnisation afin d'éviter d'instaurer une automaticité de la réparation, contraire au droit de la responsabilité. Si les conditions de l'indemnisation sont réunies, l'intéressé bénéficie d'une présomption de causalité, à moins qu'au regard de la nature de la maladie et des conditions de son exposition, le risque attribuable aux essais nucléaires puisse être considéré comme négligeable. Pour chacune des demandes individuelles d'indemnisation qui lui sont adressées, le CIVEN présente une recommandation au ministre de la défense, qui décide de la suite réservée à la requête et notifie à l'intéressé une offre d'indemnisation ou le rejet motivé de sa demande. Associée à ce dispositif, la commission consultative de suivi des conséquences des essais nucléaires, prévue par l'article 7 de la loi du 5 janvier 2010, a pour mission d'examiner les mesures tendant à faire évoluer le processus d'indemnisation issu du décret du 11 juin 2010. Cette commission est composée de représentants de chacun des ministres chargés de la défense, de la santé, de l'outre-mer et des affaires étrangères, du président du Gouvernement de la Polynésie française, du président de l'Assemblée de la Polynésie française, deux députés, deux sénateurs, cinq représentants des associations représentatives de victimes des essais nucléaires, ainsi que quatre personnalités scientifiques qualifiées. Depuis sa création, la commission s'est réunie à trois reprises sous la présidence du ministre de la défense. Ses travaux, fondés sur les données scientifiques les plus récentes et la prise en compte des remarques du CIVEN, se sont notamment concrétisés par la parution au Journal officiel du décret n° 2012-604 du 30 avril 2012 qui a permis d'élargir la liste des maladies radio-induites figurant en annexe du décret du 11 juin 2010, et d'étendre le périmètre géographique des zones de l'atoll de Hao et de celles de l'île de Tahiti dans lesquelles le demandeur doit avoir résidé ou séjourné pour pouvoir bénéficier d'une indemnisation. Par ailleurs, ce texte a simplifié les démarches administratives des demandeurs, d'une part, en facilitant le choix de l'expert devant évaluer les préjudices dans l'hypothèse d'une indemnisation, qui n'est désormais plus restreint aux seuls experts près des cours d'appel, d'autre part, en prévoyant que toutes les demandes d'indemnisation, y compris celles qui ont fait l'objet d'un rejet par le ministre, soient réexaminées, sans qu'il soit nécessaire de déposer un nouveau dossier. S'agissant des populations algériennes, le service des anciens combattants d'Alger est à leur disposition pour les aider à constituer les dossiers et, si nécessaire, traduire en français ou faire authentifier les pièces destinées au secrétariat du CIVEN. De même, s'agissant des populations polynésiennes, une aide est apportée par les services du Haut-commissaire de la République en Polynésie française, chef de la subdivision administrative des îles Tuamotu-Gambier, et par un médecin militaire qui veillent à la bonne circulation de l'information relative au dispositif d'indemnisation et à la réception des courriers par la population concernée. Enfin, depuis juillet dernier, les frais de transport engagés par les Polynésiens convoqués pour une expertise médicale sont pris en charge par avance. Lors de sa 3e réunion, le 11 décembre dernier, la commission a en particulier approuvé les modalités générales d'une étude épidémiologique sur la Polynésie, dont la réalisation sera confiée à un organisme spécialisé et indépendant. Le ministre de la défense a en outre demandé qu'un travail d'évaluation sur l'application de la loi soit réalisé par les autorités de contrôle du ministère, avec le concours du ministère de la santé, afin d'analyser les procédures actuelles et les modalités d'application concrètes de la loi. S'agissant du suivi médical individualisé des victimes des essais nucléaires, les ouvriers de l'État et agents contractuels exposés à un agent cancérogène, mutagène ou toxique pour la reproduction, à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions au sein du ministère de la défense, ont droit, depuis 2003, à un suivi médical post-professionnel (1), conformément aux dispositions du code de la sécurité sociale et du code du travail. Ce suivi médical a été étendu, fin 2009, à tous les agents de la fonction publique d'État (2). Un suivi médical post-professionnel devrait, en outre, être prochainement mis en place en faveur des militaires ayant été confrontés, au cours de leur carrière, à l'un ou à plusieurs de ces facteurs à risques. Par ailleurs, dans le cadre d'une convention signée le 30 août 2007 entre l'État et la Polynésie française, un bilan médical initial et un suivi médical annuel sont proposés aux anciens travailleurs polynésiens des sites d'essais nucléaires français. Les consultations sont assurées par un praticien du service de santé des armées au sein d'une structure médicale dédiée, dénommée centre médical de suivi, implantée à Papeete. Enfin, les anciens militaires et personnels civils de la défense ayant travaillé sur les sites ou à proximité des centres d'essais nucléaires français peuvent bénéficier, à leur demande, depuis le 25 janvier 2008, d'une consultation médicale gratuite au sein des centres médicaux des armées (CMA), structures locales de soins du service de santé des armées (SSA). Depuis juillet 2009, cette consultation est également ouverte auprès des services de médecine du personnel des hôpitaux d'instruction des armées (HIA). Concernant les mesures de précaution prises en faveur des travailleurs chargés de la réhabilitation de l'atoll de Hao, de nombreuses campagnes de contrôles radiologiques ont été conduites. Ainsi, en novembre 1999, une mission de cartographie du rayonnement gamma émis du sol a été effectuée sur l'atoll de Hao au moyen d'un détecteur embarqué à bord d'un hélicoptère. Les niveaux de radioactivité détectés à l'époque étaient inférieurs à la limite de détection des appareils de mesures. Aujourd'hui, compte tenu de la décroissance radioactive, les valeurs seraient encore plus faibles pour la plupart des échantillons. Parallèlement, des échantillons de terre, de sable et de béton provenant des dalles des anciennes zones techniques utilisées par le ministère de la défense ont été prélevés et analysés afin d'opérer une évaluation radiologique des sols. Des analyses de même nature, auxquelles s'ajoutent des mesures par compteur Geiger, continuent d'être réalisées pendant l'importante phase de réhabilitation en cours des anciennes emprises du ministère. L'ensemble des études menées sur cet atoll fait ressortir un niveau de radioactivité très faible, tant d'origine naturelle qu'artificielle, ne pouvant entraîner d'impact sanitaire significatif. Les travailleurs chargés de la réhabilitation de l'atoll ne sont, en conséquence, exposés à aucun risque à caractère radiologique. Les plans de prévention qui caractérisent ces chantiers de nature industrielle sont conformes aux dispositions des codes du travail polynésien et métropolitain. Enfin, s'agissant de l'atoll de Mururoa, les conséquences des essais nucléaires sur sa structure ont conduit à identifier deux risques : l'effondrement soudain d'un bloc, limité, de falaise corallienne, ainsi que le glissement d'une importante masse de carbonates, événement dont la probabilité, bien que très faible, ne peut être complètement écartée d'un point de vue scientifique. Dans ce contexte, une surveillance géomécanique du site a été mise en place depuis une trentaine d'années par le ministère de la défense, au moyen de capteurs sismiques de surface, de sismomètres placés en profondeur dans les puits de tir et de divers relevés et mesures. Ce suivi attentif, effectué sous le contrôle de l'autorité de sûreté nucléaire de défense (ASND), donne lieu à la rédaction d'un rapport annuel, transmis aux autorités de la Polynésie française et consultable sur le site internet du ministère de la défense. A cet égard, il est précisé qu'un plan de rénovation des capteurs de mesures en profondeur, dont certains montraient des signes manifestes d'obsolescence, a été engagé à la demande de l'ASND. Les observations et les nombreuses études réalisées permettent d'établir que l'effondrement d'un bloc de falaise corallienne à Mururoa générerait localement une vague atteignant un à deux mètres de hauteur. Ce phénomène ne présenterait pas de danger pour les militaires présents sur le site, en raison de l'existence d'un mur protégeant leur zone de vie, d'abris édifiés sur les points élevés de l'atoll, ainsi que d'un dispositif d'alerte connecté en temps réel au système de surveillance. Par ailleurs, depuis la fin des années 1980, il a été constaté une déformation lente de la pente externe de l'atoll, marquée cependant par un ralentissement des mouvements coralliens depuis l'arrêt, en 1996, des essais nucléaires souterrains. Une évaluation des conséquences hydrauliques sur l'atoll de Tureia, seule île habitée située dans la région de Mururoa, d'un éboulement de roches de forte intensité se produisant à Mururoa a donc été effectuée. Cette étude a pris en compte les hypothèses les plus pessimistes afin d'anticiper les mesures de sécurité civile à mettre en oeuvre en cas d'alerte et de définir l'organisation de crise la plus large et la plus efficace possible. Les résultats de ces travaux se révèlent pleinement rassurants pour la population de Tureia. En premier lieu, les systèmes permanents de surveillance géomécanique existants à Mururoa permettraient en effet de déclencher l'alerte plusieurs jours, voire plusieurs semaines à l'avance. En outre, dans les conditions les plus défavorables, le train de houle en provenance de Mururoa se traduirait par la formation d'une vague provoquant une montée des eaux sur la partie sud de l'atoll de Tureia, zone la plus basse, dépourvue d'habitations et d'activités. La principale mesure de précaution à mettre en oeuvre tout au long de la période d'alerte consisterait ainsi à interdire l'accès à la zone sud de l'atoll. Si un tel effondrement se produisait, il ne concernerait que les couches supérieures calcaires de l'atoll. Aussi, les cavités de tir, situées dans les couches volcaniques profondes, ne seraient-elles pas mises directement en contact avec le milieu océanique. La commission de l'agence internationale de l'énergie atomique a néanmoins évalué l'impact d'un scénario mettant une quantité de plutonium équivalente à celle produite par un essai de sécurité et un tir nucléaire en contact avec l'océan. Les résultats obtenus montrent que de très fortes absorptions de produits de la mer exposeraient les consommateurs à des doses de radioactivité ne dépassant pas 7 µsieverts la première année, 3 µsieverts la deuxième année, puis 1,2 µsievert la troisième année, alors que les doses radioactives d'origine naturelle s'élèvent en moyenne à 2 400 µsieverts par an en France. (1) Circulaire n° 300068/DEF/DFP/PER/3 du 14 janvier 2003 fixant les modalités de mise en oeuvre du suivi post-professionnel des ouvriers de l'État et des agents contractuels ayant été exposés à un risque professionnel pendant l'exercice de leurs fonctions. (2) Décret n° 2009-1546 du 11 décembre 2009 relatif au suivi médical post-professionnel des agents de l'État exposés à un agent cancérogène, mutagène ou toxique pour la reproduction.