14ème législature

Question N° 87643
de M. Jean-Louis Gagnaire (Socialiste, républicain et citoyen - Loire )
Question écrite
Ministère interrogé > Culture et communication
Ministère attributaire > Culture et communication

Rubrique > audiovisuel et communication

Tête d'analyse > jeux vidéo

Analyse > revente. réglementation.

Question publiée au JO le : 01/09/2015 page : 6575
Réponse publiée au JO le : 17/01/2017 page : 342
Date de changement d'attribution: 07/12/2016

Texte de la question

M. Jean-Louis Gagnaire attire l'attention de Mme la ministre de la culture et de la communication sur la question de la légalité de l'activité de revente de jeux vidéo physiques et du pluri-téléchargement des jeux en ligne. En effet, dans sa réponse à la question écrite du député Alain Rodet publiée le 11 août 2015 au Journal officiel, la ministre écrit : « Le développement considérable du marché de l'occasion et du téléchargement illégal dans le secteur du jeu vidéo a conduit l'industrie à prendre des mesures garantissant une meilleure protection des droits de propriété intellectuelle. Dans le cadre de la lutte contre le piratage, et considérant que l'activité de revente de jeux physiques et du pluri-téléchargement des jeux en ligne est préjudiciable au développement de l'industrie et contrevient aux droits des éditeurs, les pouvoirs publics soutiennent ces initiatives ». Or un arrêt rendu par la Cour de justice de l'Union européenne en juillet 2012 explique que « le principe d'épuisement du droit de distribution s'applique non seulement lorsque le titulaire du droit d'auteur commercialise les copies de ses logiciels sur un support matériel (CD-ROM ou DVD), mais également lorsqu'il les distribue par téléchargement à partir de son site Internet ». Par conséquent, si les industriels du jeu vidéo verrouillent les licences sur leurs plateformes, ils empêchent purement et simplement leurs clients de faire valoir leurs droits les plus stricts. En outre, il est admis que les coûts de développement des jeux sont normalement amortis en moins de six mois. La pratique de prix élevés pour des jeux « démodés » devient donc rédhibitoire pour les passionnés. Le marché de l'occasion est donc la solution légale pour tous ceux qui ne souhaitent pas ou ne peuvent pas se procurer la dernière version des jeux en vogue. Par ailleurs, une étude menée par la Hadopi en 2013 montre que 53 % des joueurs achètent plus facilement des jeux neufs lorsqu'ils savent qu'ils pourront les revendre d'occasion. La Hadopi va même jusqu'à affirmer que « le marché de l'occasion apparaît comme un frein à l'acquisition illicite, surtout pour les jeunes joueurs au budget restreint ». En conséquence, il lui demande comment le Gouvernement entend clarifier la question de la revente ou du pluri-téléchargement des jeux vidéo.

Texte de la réponse

Il convient de distinguer la vente de jeux vidéo physiques (jeux pour consoles ou PC) et la vente dématérialisée (représentant 30 % du marché des jeux sur consoles et 90 % du marché PC) qui suppose une exploitation de l'œuvre de manière immatérielle. Le cadre juridique actuel permet en effet la revente de jeux vidéo d'occasion dès lors que ceux-ci sont fixés sur un support tangible. Aux termes de la jurisprudence communautaire et de la directive 2001/29, dite « Société de l'Information », le droit de distribution s'épuise après la première mise en vente de l'original ou de copies d'une « œuvre incorporée à un bien matériel ». En conséquence, tout particulier a aujourd'hui le droit de revendre un jeu vidéo fixé sur un support physique, acquis légalement. La question de l'épuisement se pose différemment lorsque l'œuvre est exploitée de manière immatérielle. Selon la jurisprudence européenne, les droits ne s'épuisent pas lorsque l'œuvre est exploitée sous forme de service. L'article 3.3 de la directive 2001/29 prévoie expressément que le droit de communication au public n'est pas épuisé par un acte de communication au public. Ainsi, un particulier ne dispose pas du droit de revendre d'occasion un jeu vidéo acquis de manière dématérialisée. Que cela concerne les jeux vidéo dématérialisés sur consoles (30 % du marché), les jeux vidéo sur PC, dont 90 % sont acquis par voie de téléchargement, ou encore les jeux mobiles destinés aux téléphones et aux tablettes, le jeu acquis ne peut pas faire l'objet d'une revente. Il est alors lié à un compte personnel créé sur une plateforme de distribution de contenus dématérialisés (PlayStation Network, Steam ou encore AppStore et GooglePlay), selon un modèle de gestion des droits numériques proche de la musique, du livre ou du film en distribution dématérialisée. La dématérialisation du jeu PC a permis de baisser les coûts de fabrication, et donc le prix de vente. Ce mode de distribution a non seulement favorisé la baisse de la contrefaçon mais a aussi permis une augmentation significative des ventes. Dans son arrêt « UsedSoft c.Oracle » du 3 juillet 2012, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a considéré, au regard de la directive 2009/24/CE du 23 avril 2009 concernant la protection juridique des programmes d'ordinateur, que le principe d'épuisement du droit de distribution pour de tels programmes s'applique non seulement lorsque le titulaire du droit d'auteur commercialise les copies de ses logiciels sur un support matériel, mais également lorsqu'il les distribue par téléchargement à partir de son site Internet. Cet arrêt de la CJUE soulève toutefois de fortes interrogations quant à sa portée et à son éventuelle extension à d'autres secteurs de la création. Dans son rapport de mai 2015 sur la seconde vie des biens culturels numériques, le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique relève que « si les questions préjudicielles comme les réponses apportées par la Cour l'ont été sur le fondement du droit spécial de la directive Programmes d'Ordinateur, c'est que cette dernière présente des différences substantielles par rapport à la directive Société de l'information, autant de différences qui s'opposent à l'extension de la décision de la SJUE à l'ensemble des œuvres régies par le droit commun et justifient son cantonnement aux seuls logiciels ». La question est de savoir si cette jurisprudence peut s'appliquer aux jeux vidéo. Tel pourrait être le cas si les jeux vidéo étaient qualifiés de logiciels au regard du droit d'auteur. Or l'arrêt Cryo du 25 juin 2009 affirme qu'un jeu vidéo est « une œuvre complexe qui ne saurait être réduite à sa seule dimension logicielle, quelle que soit l'importance de celle-ci, de sorte que chacune de ses composantes est soumise au régime qui lui est applicable en fonction de sa nature ».