14ème législature

Question N° 87760
de M. Christophe Premat (Socialiste, écologiste et républicain - Français établis hors de France )
Question écrite
Ministère interrogé > Culture et communication
Ministère attributaire > Culture et communication

Rubrique > patrimoine culturel

Tête d'analyse > gestion

Analyse > numérisation. réglementation.

Question publiée au JO le : 01/09/2015 page : 6575
Réponse publiée au JO le : 12/07/2016 page : 6628
Date de changement d'attribution: 12/02/2016
Date de renouvellement: 02/02/2016
Date de renouvellement: 02/02/2016

Texte de la question

M. Christophe Premat attire l'attention de Mme la ministre de la culture et de la communication sur le contrôle de l'argent public dans les opérations de numérisation des œuvres indisponibles. La mise en ligne du registre des œuvres indisponibles en réédition numérique (ReLire) a permis de publier des dizaines de milliers d'ouvrages destinés à être numérisés et à être commercialisés. La liste des œuvres concernées est établie par la Bibliothèque nationale de France (BnF). Le 10 avril 2015, le rapporteur public avait demandé au Conseil d'État à ce que le registre ReLire soit examiné devant la Cour de justice de l'Union européenne. Le rapporteur se référait aux dispositions de l'article 5 de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information. Cette directive prévoit en effet un certain nombre de limitations ou d'exceptions au droit de reproduction que peut avoir un auteur sur son œuvre. Selon cette directive, un État membre n'est pas autorisé à inventer de nouvelles exceptions, la question étant de savoir si l'État peut confier à une société de gestion collective le soin de reproduire des œuvres. Ce problème a été soulevé lors de l'examen du projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans les domaines de la propriété littéraire et artistique et du patrimoine culturel (n° 2319) qui a eu lieu en commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale le 12 novembre 2014. Si l'auteur n'exerce pas activement son droit d'opt-out, l'éditeur peut alors recourir à cette numérisation et commercialiser le livre. Les bibliothèques sont les cibles de ces bouquets numériques et le risque est d'utiliser de l'argent public pour le profit d'une société qui s'est arrogée les droits de numériser la réédition de l'œuvre. Il aimerait avoir son avis sur la nécessité de réviser les conditions de la numérisation des œuvres indisponibles.

Texte de la réponse

La loi du 1er mars 2012 no 2012-287 relative à l'exploitation numérique des livres indisponibles du XXe siècle fait suite, d'une part, à l'accord-cadre entre le ministère de la culture et de la communication, le commissariat général à l'investissement, la Bibliothèque nationale de France (BnF), le Syndicat national de l'édition et la Société des gens de lettres (SGDL), signé le 1er février 2011, et d'autre part, à l'affaire GoogleBooks. Cette loi instaure un régime juridique d'exploitation propre aux livres indisponibles par l'organisation d'un système de gestion collective des droits d'exploitation dans l'environnement numérique. Le régime mis en place est favorable aux programmes de numérisation des livres épuisés et non réédités mais encore protégés par le droit d'auteur, étant précisé que le livre indisponible peut concerner une œuvre orpheline ou non orpheline, c'est-à-dire une œuvre dont les ayants droit sont connus,  mais qui ne fait plus l'objet d'une diffusion. Cette loi crée ainsi un mécanisme propre à favoriser une nouvelle diffusion des œuvres oubliées de manière incitative et permettant à l'éditeur du livre papier, s'il est encore en activité, d'exploiter sous forme numérique les livres indisponibles. Dans ce cadre, le législateur a mis en place un système dans lequel l'auteur et l'éditeur du livre peuvent s'opposer à l'entrée du livre en gestion collective. En outre, lorsque les droits numériques sont exercés par la société de gestion collective, cette dernière doit prioritairement proposer une licence exclusive à cet éditeur. Si celui-ci l'accepte et si l'auteur ne s'y oppose pas, l'éditeur sera tenu d'exploiter le livre concerné sous forme numérique. Ce n'est qu'à défaut de l'exercice par l'éditeur de ce droit que ladite société accordera des licences à des tiers et de façon non exclusive. Ce dispositif de réédition électronique des livres indisponibles du XXe siècle concerne un corpus d'environ 500 000 titres. Sur cet ensemble, c'est environ 200 000 ouvrages, relevant en grande majorité des domaines de la littérature et des sciences humaines et sociales, qui devraient faire l'objet d'une numérisation, sur la base d'un effort partagé entre l'intervention publique, justifiée par le caractère quasi-patrimonial des collections concernées, et l'initiative privée, dans la mesure où ces livres encore sous droits seront diffusés commercialement. La Bibliothèque nationale de France (BnF), chargée de l'établissement du registre publié annuellement, assure la première partie du processus en produisant des fichiers en mode image des ouvrages du corpus, à partir des collections du dépôt légal dont elle a la garde. Les fichiers sont ensuite transmis à la société chargée de la commercialisation de ces titres sous forme numérique, qui assure la seconde partie du processus en finalisant la conversion de ces titres en formats numériques (ePub3 et PDF). En contrepartie de l'effort consenti, la BnF peut proposer la consultation des titres numérisés, soit dans ses salles de lecture en intégralité, soit à distance en feuilletage partiel. À terme, lorsque ces titres entreront dans le domaine public, ils seront librement accessibles au grand public sur Gallica et, partant, Europeana. La commercialisation de ces titres numérisés est un autre pan du projet, dans lequel le ministère de la culture et de la communication n'est pas partie prenante. Les financements intervenant à ce stade du dispositif sont strictement privés. S'agissant plus particulièrement de la procédure qui concerne actuellement les œuvres indisponibles, un recours pour excès de pouvoir contre le décret no 2013-182 du 27 février 2013 pris pour l'application de la loi du 1er mars 2012 a été déposé devant le Conseil d'État le 2 mai 2013 par deux auteurs d'un collectif d'auteurs dénommé « Le Droit du serf » (Madame Sara Doke et Monsieur Marc Soulier), qui invoquent notamment la méconnaissance de dispositions relevant du droit de l'Union européenne. Par ailleurs, dans le cadre de ce contentieux, une question prioritaire de constitutionnalité a précédemment été soulevée à l'encontre de la loi du 1er mars 2012. Par une décision du 28 février 2014, le Conseil constitutionnel a jugé que cette loi, poursuivant un but d'intérêt général, était conforme à la Constitution française et ne violait notamment pas les dispositions relatives au droit de propriété garanties par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Après avoir constaté qu'aucun moyen soulevé par les requérants n'était de nature à justifier l'annulation du décret attaqué, le Conseil d'État a pourtant décidé de surseoir à statuer sur la requête présentée afin de soumettre à la Cour de justice de l'Union européenne une question préjudicielle sur la compatibilité de la réglementation française relative aux livres indisponibles avec les articles 2 et 5 de la directive 2001/29/CE du 22 mai 2001. Cette affaire est actuellement pendante devant la CJUE.