14ème législature

Question N° 98666
de M. Patrice Carvalho (Gauche démocrate et républicaine - Oise )
Question écrite
Ministère interrogé > Agriculture, agroalimentaire et forêt
Ministère attributaire > Agriculture, agroalimentaire et forêt

Rubrique > élevage

Tête d'analyse > lait

Analyse > revendications.

Question publiée au JO le : 06/09/2016 page : 7856
Réponse publiée au JO le : 01/11/2016 page : 9096

Texte de la question

M. Patrice Carvalho attire l'attention de M. le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement sur le conflit, qui vient d'opposer les éleveurs et Lactalis, le numéro un mondial de la production de lait et de fromage. Le coût de production, pour un éleveur, de 1 000 litres de lait s'élève à 350 euros. Lactalis proposait de l'acheter au mieux, 269 euros. Au début de l'année 2016, ce prix était même de 266 euros et le seuil de 256,90 euros a été récemment atteint. Les exploitants produisent donc à perte, quand Lactalis, qui pratique les prix d'achat du marché français les plus bas, accroît ses marges et ses profits, sur lesquels il refuse de communiquer. Un accord vient d'intervenir à 290 euros, ce qui est mieux mais ne réglera pas le problème durablement. L'article 33 du traité instituant la Communauté européenne, devenu l'article 39 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, énonce ce principe fondateur : « la politique agricole commune a pour but (...) d'assurer un niveau de vie équitable à la population agricole, notamment par le relèvement du revenu individuel de ceux qui travaillent en agriculture ». Qu'en est-il de ce principe ? Le prix d'achat ne couvre pas les coûts d'exploitation et ne garantit pas, a fortiori, de revenus d'existence aux agriculteurs. En 20 ans, le nombre d'exploitations laitières a diminué de moitié passant de 160 000 en 1995 à 70 568 en 2013. Elles sont de plus en plus nombreuses à engager des dépôts de bilan. Depuis deux ans, le prix du lait a baissé de 25 %. Les quotas laitiers instaurés en 1984 avaient permis de faire coïncider l'offre avec la demande et de maintenir un prix du lait assez correct hormis en 2009 où plusieurs pays européens avaient dépassé leur quotas. Depuis la fin des quotas et la déréglementation du marché, l'Union européenne a augmenté sa production de 5 % en 2015 avec des hausses importantes dans certains pays (20 % en Irlande, 17 % en Belgique, 16 % aux Pays Bas, 7 % au Danemark). Cette surproduction, à laquelle s'ajoute une concurrence internationale, conduit à des baisses de prix insoutenables. La Commission européenne a présenté, le 18 juillet 2016, aux ministres de l'agriculture, un deuxième volet de soutien, qui prévoit une enveloppe de 150 millions d'euros afin d'inciter à une réduction volontaire de la production de lait, ainsi que 350 millions d'euros dont 50 millions d'euros, pour la France, afin de renforcer le dispositif en faveur des éleveurs. Il s'agit donc d'un énième plan de soutien mais qui ne règle pas la question de fond : des prix rémunérateurs aux exploitants. Cette crise met en lumière la catastrophe à laquelle aboutit la dérive libérale, la concurrence sauvage, qui condamnent en particulier les petites et moyennes exploitations. Il est urgent de réinstaurer des mécanismes de régulation sur les volumes de production, de créer des conditions de fixation des prix d'achat, qui ne dépendent pas du seul bon vouloir de l'agro-industrie et de la grande distribution. Il souhaite connaître ses intentions sur ces différents points.

Texte de la réponse

Les filières agricoles, en particulier d'élevage, traversent une période très difficile principalement due à des prix bas qui ne permettent plus une rémunération suffisante d'une partie des éleveurs et grèvent les trésoreries des exploitations, parfois déjà fragilisées depuis plusieurs années. Cette situation s'explique en partie par des tensions sur les marchés européens et mondiaux, mais elle trouve sa source également dans les difficultés structurelles d'organisation des filières et dans des relations commerciales peu équilibrées au détriment des producteurs. Depuis le début de la crise laitière, le ministre en charge de l'agriculture a mené, avec le soutien du Président de la République et du Premier ministre, une véritable bataille au niveau européen pour obtenir de la Commission européenne qu'elle reconnaisse la gravité de la crise qui touche les agriculteurs européens et qu'elle prenne les mesures de régulation des marchés qui s'imposent. Ces négociations ont tout d'abord débouché sur la mobilisation en septembre 2015 de crédits européens d'urgence à hauteur de 500 millions d'euros, dont 420 millions d'euros répartis entre les États membres. La France était le deuxième pays bénéficiaire de cette enveloppe avec près de 63 millions d'euros. Ces crédits de l'Union européenne ont été renforcés avec des crédits nationaux. Dans ce cadre, les 47 000 éleveurs les plus en difficulté (dont près de 60 % d'éleveurs de bovins laitiers) ont bénéficié de près de 210 millions d'euros d'aides nationales et de l'Union européenne. En plus de ces aides, le plan de soutien à l'élevage comprend également des mesures conjoncturelles d'allègement et de prise en charge de cotisations sociales ainsi que des mesures fiscales, pour un montant global de près de 200 millions d'euros. En complément, la mesure « année blanche bancaire », permettant la restructuration totale ou partielle de la dette des éleveurs et des agriculteurs en difficulté, est prolongée jusqu'au 31 décembre 2016 pour permettre de traiter les dossiers déposés plus tard. Au-delà de ces aides d'urgence, le Gouvernement met en place des allégements de charges durables et d'une ampleur sans précédent pour les agriculteurs (sur le coût du travail et en matière de charges personnelles). Ceux-ci bénéficieront, en 2016, d'un allégement de charges de 2,3 milliards d'euros (contre 1 milliard d'euros en 2012), ce en dehors des mesures d'urgence mises en place en parallèle. L'ensemble du secteur agricole, agroalimentaire et des services agricoles aura bénéficié d'ici 2017 de plus de 3 milliards d'euros d'allègements de charges supplémentaires par rapport à 2012, portant le total à 5,1 milliards d'euros, et ce afin de préserver sa compétitivité et les emplois directement et indirectement liés à l'activité agricole. Malgré ces crédits d'urgence et les mesures de stockage privé obtenues, les marchés restaient dans une situation de tension, en particulier pour le lait et le porc. Le ministre en charge de l'agriculture a donc demandé, au nom des producteurs français, à M. Phil Hogan, commissaire européen à l'agriculture et au développement durable, en lien avec d'autres États membres, d'étudier de nouvelles mesures qui permettent de réguler de manière efficace les marchés et d'apporter ainsi une réponse durable au déséquilibre de l'offre et de la demande. Ces demandes ont débouché sur les mesures qui ont été décidées lors du Conseil des ministres de l'agriculture de l'Union européenne (UE) du 14 mars 2016, permettant notamment aux acteurs de planifier collectivement et de manière temporaire la production de lait par dérogation au droit de la concurrence (activation de l'article 222 du règlement (UE) no 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil), mettant en place des mesures complémentaires d'aide au stockage privé des produits laitiers et doublant les volumes de lait écrémé en poudre et de beurre pouvant être mis à l'intervention publique à prix fixe. La mise en place d'un observatoire européen des marchés des viandes porcine et bovine renforcé a été décidée, à l'instar de l'observatoire du lait. Pour compléter ces mesures, le ministre en charge de l'agriculture a mené une intense négociation au niveau européen pour la mise en place de mesures ayant un effet positif sur le rééquilibrage du marché. Dans ce cadre, le Gouvernement a obtenu, lors du Conseil des ministres de l'agriculture du 18 juillet 2016, la mise en œuvre de mesures d'aide aux producteurs ayant un effet sur l'offre, pour un total de 500 millions d'euros au niveau de l'UE. Ainsi, les producteurs de lait qui réduiront leur production bénéficieront d'une indemnisation à hauteur de 140 euros par tonne. De plus, la France a bénéficié d'une enveloppe de crédits européens de 49,9 millions d'euros, que le Gouvernement a décidé de doubler afin d'apporter un appui aux producteurs dans les filières du lait de vache et de la viande bovine. Grâce à cette enveloppe de 99,8 millions d'euros, le ministre en charge de l'agriculture a déjà décidé d'apporter un soutien supplémentaire de 100 euros par tonne pour l'aide à la réduction de la production, soit au total 240 euros par tonne de lait non produite durant les 3 derniers mois de l'année 2016, dans la limite de 5 % de la production du dernier trimestre 2015. Pour les producteurs s'engageant à une réduction de production en novembre et décembre 2016 et janvier 2017, un dispositif similaire est mis en place et permet à ces derniers d'obtenir un soutien au même niveau que les producteurs qui se sont engagés précédemment, conformément aux annonces du Gouvernement du 4 octobre dernier. Cela vise à rééquilibrer le marché du lait, sans provoquer de diminution brutale du cheptel de vaches laitières qui aurait un impact négatif sur le marché de la viande bovine. En complément, pour aboutir à des relations commerciales plus transparentes avec les producteurs, le Gouvernement a formulé des propositions très concrètes dans le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique. Le texte issu de la nouvelle lecture de l'Assemblée nationale comporte des dispositions permettant des avancées importantes pour les agriculteurs. Elles visent à assurer une meilleure répartition de la valeur ajoutée au sein de la filière alimentaire grâce à des relations commerciales plus transparentes et à une contractualisation rénovée entre, d'une part, les producteurs agricoles et les entreprises agroalimentaires et, d'autre part, les entreprises agroalimentaires et les distributeurs. Enfin, conformément au pacte de consolidation et de refinancement des exploitations agricoles présenté par le Gouvernement le 4 octobre dernier, un dispositif d'appui en trésorerie sera déployé cet automne pour les producteurs de lait de vache ayant subi une perte d'excédent brut d'exploitation (EBE) de plus de 20 % (par rapport à la moyenne olympique) et répondant à certains critères (autonomie fourragère « stabilisation de la production », « petite exploitation », membre d'une organisation de producteurs ou d'une coopérative).