Accueil des femmes victimes de violences sexuelles dans les commissariats
Question de :
M. Luc Carvounas
Val-de-Marne (9e circonscription) - Nouvelle Gauche
M. Luc Carvounas attire l'attention de M. le ministre d'État, ministre de l'intérieur, sur la situation actuelle de l'accueil des femmes victimes de violences sexuelles dans les commissariats. Selon l'enquête VIRAGE de l'INED datant de 2016, les violences toucheraient en France environ 600 000 femmes par an. Cela va sans dire que ces chiffres sont très largement en dessous de la réalité, dans la mesure où beaucoup de personnes n'osent pas parler de ce qui leur est arrivé ou n'en ont pas les moyens, voire même n'ont pas nécessairement conscience du caractère illégal et répréhensible de ces faits. En outre, cette enquête a été menée sur un panel de femmes âgées de 20 à 69 ans, alors même qu'une grande majorité des faits de violences sexuelles sont perpétrés à l'encontre de mineurs. En outre, elle ne prend pas en compte les faits de harcèlement sexuel. Face à l'ampleur du phénomène de violences sexuelles, les moyens de recours des victimes sont réellement insatisfaisants. Une enquête menée par le « Groupe F » et « Paye Ta Police » a révélé la mauvaise prise en charge des victimes dans la majorité des commissariats et gendarmeries de France. Dans plus de 60 % des cas, les femmes témoignent de refus de prendre la plainte, dans 53 % des cas de découragement, de minimisation de la violence subie, de banalisation des faits, dans 42 % des cas, de culpabilisation de la victime ainsi que de moqueries et de propos sexistes. Il est absolument intolérable que les femmes victimes de violences sexuelles aient à essuyer un refus de prendre leur plainte, d'autant plus qu'une circulaire datant de 2001 prévoit que dès lors qu'une victime fait connaître sa volonté de déposer plainte, les officiers ou agents de police judiciaire doivent enregistrer sa plainte par procès verbal. Quand ces femmes parviennent, tant bien que mal, à déposer plainte, elles doivent trop souvent accepter une déqualification des faits : un viol se transforme en agression sexuelle, une agression sexuelle en harcèlement sexuel. Cela est d'autant plus prégnant quand il s'agit de violences sexuelles au sein du couple, lieu où se déroule la plus grande majorité de ces violences. Si « l'affaire Weinstein » a indéniablement participé à une forme de libération de la parole à ce sujet, et qu'une hausse des plaintes pour viol et agression sexuelle a été observée pour l'année 2017, il est à présent nécessaire que leur prise en compte, aussi bien par les commissariats et gendarmeries, que par les tribunaux, soit effective. Le ministère de l'intérieur avait annoncé pour le début de l'année la mise en place d'une plate-forme de signalement en ligne pour les victimes de violences, agressions et harcèlement sexuel. Elle est toujours attendue à ce jour. Il lui demande donc quelles mesures seront mises en place de manière concrète dans les commissariats et gendarmeries afin de résoudre cette situation intolérable, sachant que la lutte contre les violences sexistes est une des priorités affichées du Gouvernement.
Réponse publiée le 31 juillet 2018
Le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, attache la plus grande importance à ce que l'accueil, l'information et l'aide aux victimes soient une priorité constante des forces de l'ordre, car apporter des réponses concrètes aux attentes des Français en matière de sécurité, c'est aussi mieux les accueillir et faciliter leurs démarches. Il en va de la qualité du service public de la sécurité. Il en va aussi de la qualité des relations entre la population et les forces de sécurité, dont le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, a fait un axe central de son action. Policiers et gendarmes sont « au service de la population », comme cela est solennellement énoncé dans le code de déontologie de la police nationale et de la gendarmerie nationale figurant dans la partie réglementaire du code de la sécurité intérieure. Il convient également de rappeler que le ministère de l'intérieur s'est doté dès 2005 d'une délégation aux victimes (DAV), structure commune à la police et à la gendarmerie, placée auprès du directeur général de la police nationale (DGPN). Au sein de la direction centrale de la sécurité publique (DCSP), qui constitue la principale direction active de police en volume et par son réseau de commissariats sur le territoire national, l'importance qui s'attache à l'accueil des victimes est régulièrement rappelée à l'ensemble des personnels. A titre d'exemple, une instruction de commandement de la DCSP en date du 25 avril 2016 a appelé l'attention des services sur les dispositions de la loi du 17 août 2015 portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne, visant à une meilleure prise en compte des victimes, ainsi que sur les dispositions spécifiques prévues, en matière de violences sexuelles en particulier, par le décret d'application du 26 février 2016 relatif aux droits des victimes (possibilité d'être entendu par un enquêteur du même sexe, auditions réalisées par des enquêteurs spécialement formés, etc.). Le cadre légal est également détaillé dans la documentation relative à la prise de plainte remise aux policiers élèves et stagiaires dans le cadre de la formation initiale et continue. Cette documentation est également à la disposition des agents sur l'intranet de la police nationale. Si les services de police et de gendarmerie accomplissent déjà, en lien avec les associations spécialisées et les professionnels, un travail important dans la prise en charge des victimes, la qualité de l'accueil du public passe également par sa modernisation et par la simplification des démarches, notamment par le développement du numérique. Des travaux sont ainsi menés par la police nationale pour permettre un dépôt de plainte en ligne pour certaines escroqueries commises sur internet. Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que le ministère de l'intérieur a expérimenté dès 2008 et généralisé en 2013 un téléservice de pré-plainte en ligne limité, pour des raisons d'efficacité et des impératifs d'enquête, aux atteintes aux biens dont la victime ne connaît pas le ou les auteurs (vol, escroquerie, etc.). Son périmètre a été étendu, par décret no 2018-388 du 24 mai 2018, à certaines atteintes aux personnes dont le ou les auteurs sont inconnus (discriminations, ainsi que certaines infractions de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse). Concernant l'accueil des femmes victimes d'infractions à caractère sexuel, il s'agit d'un sujet sur lequel le ministère de l'intérieur est pleinement mobilisé et s'attache à améliorer encore ses pratiques et ses modes d'organisation. Les dispositifs d'accueil des victimes déjà existants au sein de la police nationale concernent en effet principalement les violences intrafamiliales et sexuelles. Ils organisent en particulier la possibilité d'une orientation vers un psychologue, un intervenant social ou une association d'aide aux victimes. Par ailleurs, un protocole-cadre relatif au traitement des mains courantes en matière de violences conjugales a été signé le 8 novembre 2013 entre les ministères de l'intérieur, de la justice et des droits des femmes, et a déjà été complété par une centaine de conventions locales. Le protocole-cadre systématise le dépôt de plainte pour ce type de faits et encadre très strictement les possibilités de ne recourir qu'à une simple main courante, en tout état de cause sur une demande expresse de la victime. Un effort considérable est également consenti en matière de formation des policiers. Parallèlement aux protocoles précités, des outils pédagogiques sur les violences faites aux femmes ont été conçus pour doter les policiers des moyens leur permettant de mieux accueillir et accompagner la victime dans son parcours et ses démarches, et pour faciliter le partenariat des professionnels dans la prise en charge. Divers supports ont également été élaborés, avec l'aide de la mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains. Par exemple, une « fiche réflexe » sur l'audition des victimes de violences au sein du couple permet aux policiers de mieux appréhender les spécificités de ce type d'enquête et le phénomène d'emprise de l'auteur sur la victime. Depuis 2014, plus de 12 000 policiers ont été formés à l'aide de ces outils pédagogiques dans le cadre de la formation initiale ou continue. Par ailleurs, un module spécifique relatif aux violences intrafamiliales, incluant les approches relationnelles avec les femmes victimes de violences intrafamiliales, a été introduit dans la formation initiale des gradés et gardiens. La police nationale conduit également une active politique de professionnalisation de la mission d'accueil du public, avec la désignation de plus de 500 « référents accueil » dans les commissariats et l'organisation d'une formation dédiée pour ces personnels. Une formation de quatre jours est également offerte aux agents occupant des fonctions permanentes ou occasionnelles d'accueil. Dans le cadre de ces deux formations, la prise en charge des femmes victimes de violences est abordée en détail, notamment pour insister sur le rôle des intervenants sociaux et des psychologues en commissariat. Des dispositifs spécifiques existent aussi pour la prise en charge des femmes victimes de violences. Tel est le cas en particulier des brigades de protection de la famille créées en 2009. 183 sont aujourd'hui actives au sein de la police nationale, composées de plus de 1 200 policiers dédiés et spécialement formés, et 101 au sein de la gendarmerie nationale. S'y ajoutent les partenaires spécialisés qui interviennent dans les commissariats : 140 intervenants sociaux (dont 43 mutualisés avec la gendarmerie) dans la police nationale et 121 en gendarmerie, et 73 psychologues, auxquels il convient d'ajouter les professionnels des associations d'aide aux victimes intervenant dans 123 permanences au sein des commissariats. Ces acteurs sont assistés par 213 correspondants « aide aux victimes » dans les services, appuyés par 414 correspondants locaux « aide aux victimes ». Le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, a rappelé l'importance de ces enjeux à l'occasion d'un colloque qui s'est tenu le 5 mars 2018 sur « L'action du ministère de l'intérieur dans l'accueil et la prise en charge des femmes victimes de violence ». S'agissant plus précisément de la prise en charge des victimes de violences sexuelles ou sexistes, des mesures sont prévues pour lutter contre la peur de nombreuses femmes de déposer plainte, qui s'explique par différentes raisons (proximité familiale ou sentimentale de l'agresseur, honte, crainte d'être séparée de ses enfants, etc.). Les évaluations réalisées confirment que les femmes victimes de violences sont globalement moins satisfaites de l'accueil dans les commissariats que les autres victimes, notamment s'agissant du temps et de l'écoute, ainsi que des conditions de confidentialité. Or, la qualité de l'accueil est déterminante pour inciter les victimes à déposer plainte. Il convient toutefois de noter qu'en matière de violences sexuelles, et quel que soit le professionnalisme des enquêteurs, les questions nécessairement précises posées aux victimes, ainsi que les confrontations, peuvent leur paraître incompréhensibles ou scandaleuses. Toutefois, il s'agit d'actes indispensables à l'élaboration de procédures rigoureuses sur le plan juridique et à la manifestation de la vérité. Il importe donc de faciliter encore davantage la prise de plainte. Ceci passe d'abord par la multiplication des canaux de prise en compte de la parole des victimes (prise de plainte à l'hôpital par exemple). Le numérique offre naturellement des opportunités. Comme annoncé par le Président de la République dans son discours du 25 novembre 2017 à l'occasion de la Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes, un signalement en ligne pour les victimes de violences sexuelles et sexistes sera prochainement mis à la disposition du public. Cette plate-forme de signalement permettra à une victime d'être orientée et accompagnée de chez elle dans ses démarches. Le dispositif doit permettre une prise en charge spécifique des victimes de violences sexistes et sexuelles 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Il ne s'agira pas d'un portail internet de dépôt de plainte, mais d'un outil de type webchat ou chat, accessible depuis un navigateur internet, permettant aux victimes d'entrer en relation avec des professionnels spécialement formés, pour connaître les démarches à suivre et, le cas échéant, bénéficier d'un rendez-vous dans un commissariat ou une brigade de gendarmerie ou, au minimum, si la victime ne souhaite pas de prise en charge ou n'envisage pas de dépôt de plainte, permettant d'informer le service de police ou de gendarmerie territorialement compétent de la situation. Les personnels qui géreront cette plate-forme bénéficieront d'une formation spécifique, élaborée en lien avec la mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains, des acteurs associatifs, des magistrats, des psychiatres et des psychologues. La prise en charge matérielle des victimes dans les commissariats et brigades de gendarmerie doit aussi pouvoir se faire dans un cadre adapté. Plusieurs pratiques innovantes existent déjà pour permettre un meilleur accueil, avec des horaires dédiés, des lieux dédiés, des personnels spécialement formés, un lien étroit avec les associations d'aide aux victimes. Ces actions seront généralisées. Dans le cadre de la police de sécurité du quotidien (PSQ), l'accent sera mis sur l'importance d'offrir aux femmes victimes de violences physiques ou sexuelles un accueil adapté, « sur-mesure ». Le nombre de psychologues en commissariat sera également augmenté au cours des trois prochaines années et le réseau des intervenants sociaux en commissariat encore renforcé. Enfin, sur le plan de l'arsenal juridique, le projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, en cours d'examen au Parlement, permettra en particulier de réprimer les faits de harcèlement dit « de rue », perpétrés sur la voie publique à l'encontre des femmes. Une infraction d'outrage sexiste sera créée, qui constituera en principe une contravention de la quatrième classe pouvant donner lieu à une amende forfaitaire. Cette procédure simplifiée permettra aux forces de l'ordre de sanctionner rapidement les auteurs.
Auteur : M. Luc Carvounas
Type de question : Question écrite
Rubrique : Femmes
Ministère interrogé : Intérieur
Ministère répondant : Intérieur
Dates :
Question publiée le 3 juillet 2018
Réponse publiée le 31 juillet 2018