15ème législature

Question N° 10803
de Mme Emmanuelle Ménard (Non inscrit - Hérault )
Question écrite
Ministère interrogé > Justice
Ministère attributaire > Justice

Rubrique > lieux de privation de liberté

Titre > Sortie de prison de détenus radicalisés

Question publiée au JO le : 17/07/2018 page : 6291
Réponse publiée au JO le : 02/04/2019 page : 3059
Date de renouvellement: 18/12/2018

Texte de la question

Mme Emmanuelle Ménard attire l'attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur la sortie de prison d'ici 2019 de 450 détenus radicalisés, dont une cinquantaine de terroristes islamistes, issus des rangs d'Al-Qaida ou de l'État islamique. Après avoir purgé en moyenne six ans de prison (selon le rapport du Centre d'analyse du terrorisme), ils seront libérés prochainement. Le procureur de la République, François Molins, évoque un « risque majeur » : la prison est un « incubateur très préoccupant pour la menace terroriste » dont les personnes « risquent de sortir encore plus endurcies ». Actuellement, en France, 512 personnes purgent une peine de prison prononcée dans le cadre d'une procédure terroriste. Et 1 200 prisonniers ont été condamnés pour des faits de droits commun et signalés pour leur radicalisation potentielle ou avérée. Ce qui fait dire à la sénatrice Nathalie Goulet, présidente de la commission d'enquête sur l'organisation et les moyens de lutte contre les réseaux djihadistes en France, qu'« on est souvent plus radicalisé à la sortie qu'à l'entrée ». Elle dénonce également le manque de moyens accordés aux prisons qui ne peuvent procéder à un suivi efficace des personnes radicalisées ou en voie de l'être. Pourtant, l'une des missions des quelques 300 agents du Bureau central de renseignement pénitentiaire (BCRP) est bien de prévenir les cas de terrorisme. Malgré cet objectif affiché et de nouveaux pouvoirs accordés par deux décrets du 1er février 2017, il semble que ces moyens ne permettent pas de répondre pleinement aux enjeux de la prévention contre la radicalisation. En effet, si le BCRP prouve depuis sa création son utilité indéniable, il lui manque encore des moyens humains pour mener à bien sa mission. Quant aux programmes de déradicalisation, ils sont quant à eux la plupart du temps décriés pour leur inefficacité à l'instar du programme de « Recherches et d'intervention sur les violences extrémistes » (RIVE) qui a été suivi par seulement 21 personnes. Le rapport sénatorial de 2017 sur le « désendoctrinement, désembrigadement et réinsertion des djihadistes en France » parle même d'un « gouffre à subventions » ou d'un « business de la déradicalisation ». Mme la ministre de la justice affirme quant à elle « anticiper leur sortie et les suivre de manière extrêmement précise ». Elle préconise pour cela la création d'un comité de suivi qui sera hébergé par l'Unité de coordination de la lutte antiterroriste. Face à une menace terroriste qui ne faiblit pas et pour assurer la sécurité des Français, elle lui demande donc si l'ensemble de ces mesures lui semble réellement approprié et s'il ne conviendrait pas de durcir les peines de prison, ainsi que d'adapter les conditions d'incarcération pour lutter contre la radicalisation des prisonniers et de mettre en place un réel suivi des personnes à haut risque et qui sont pourtant libérées.

Texte de la réponse

Le ministère de la justice contribue activement et durablement aux politiques de lutte contre la menace terroriste et la prévention de la radicalisationdans le cadre du plan national de prévention de radicalisation arrêté par le Gouvernement le 23 février 2018. L'organisation d'un maillage territorial d'agents dédiés avec 90 binômes de soutien (composés d'un psychologue et d'un éducateur, conseillers d'insertion et de probation, officiers, etc.), la mise en place d'un plan de formation spécifique par la formation initiale et continue des personnels pénitentiaires sur les thématiques liées à l'islam radical, et de référents sur cette même thématique, permettent de faciliter la détection précoce des processus de radicalisation et de renforcer les capacités pénitentiaires d'évaluation des différents niveaux de radicalité. Les effectifs du bureau central du renseignement pénitentiaire ont quadruplé depuis 2017. Un réseau territorial de renseignement pénitentiaire a été développé dans chaque établissement, chaque direction interrégionale et dans chaque SPIP. Ce service, dont les progrès et la maîtrise sont reconnus des services partenaires avec lesquels ils collaborent étroitement pendant et après le temps d'incarcération, est en voie de devenir un service à compétence nationale. Une démarche d'évaluation pluridisciplinaire renforcée est mise en œuvre au sein des quartiers d'évaluation de la radicalisation (QER), dont l'objectif est de mesurer pendant des sessions de 19 semaines le niveau de radicalité des terroristes islamistes (évaluation systématique) et des détenus radicalisés de droit commun, mais aussi d'apprécier leur dangerosité. 5 QER sont aujourd'hui ouverts en région parisienne (Fresnes, Fleury-Mérogis, Osny) et près de Lille (dont 2 à Vendin-le-Vieil).  A l'issue de leur évaluation, les détenus peuvent être affectés, en fonction de leur imprégnation idéologique et de leur dangerosité, en quartier d'isolement ou en quartier de prise en charge de la radicalisation. Le nombre des détenus radicalisés suit une tendance régulière à la baisse depuis 3 ans : l'administration pénitentiaire a professionnalisé ses capacités de détection, d'évaluation et de renseignement, permettant d'avoir une approche par risque et non plus en recourant simplement à une comptabilisation trop subjective de signes plus ou moins évidents. D'autre part, les dispositifs de désengagement et la politique de dispersion ont été mis en œuvre à grande échelle. Ainsi, alors que le nombre de terroristes islamistes détenus se stabilise (500 à ce jour environ), le nombre de détenus radicalisés de droit commun, tous niveaux de radicalisation confondus, est aujourd'hui inférieur à 1 100. Chaque détenu pour des faits de radicalisation, fait l'objet d'un signalement auprès des services partenaires du BCRP au moment de sa libération. Sa situation est ensuite suivie lors des réunions régulières des groupes d'évaluation départementaux (GED). Enfin, en milieu ouvert, la direction de l'administration pénitentiaire a expérimenté, pendant deux ans à partir du mois d'octobre 2016, un dispositif de prise en charge intensive des radicalisés (RIVE) dans le cadre d'un marché public. L'objectif était de mettre en place, en complément de la prise en charge par un service pénitentiaire d'insertion et de probation qui demeure titulaire du mandat judiciaire, un suivi renforcé et pluridisciplinaire de personnes faisant l'objet d'une procédure ou exécutant une peine en lien avec une infraction terroriste.  L'évaluation de ce dispositif a mis en exergue l'efficacité d'un accompagnement intensif dans le processus de désengagement de l'idéologie violente. Aussi, le plan national de prévention de la radicalisation a-t-il étendu et rénové ce dispositif à Marseille, Lyon et Lille. Le nouveau marché prévoit des prises en charge intensives allant jusqu'à 20 heures par semaine, en fonction du degré d'imprégnation idéologique. Le dispositif a par ailleurs été étendu aux personnes radicalisées, condamnés ou prévenues pour des faits de droit commun. Le centre de Paris a poursuivi son activité en assurant le suivi des personnes précédemment suivies par RIVE. Le centre de Marseille prend quant à lui en charge ses premiers suivis. Les dispositifs de Lille et Lyon ouvriront au cours du premier semestre 2019. Cette collaboration entre partenaires institutionnels, associatifs et cultuels constitue une réponse efficace.