Privatisation de l'ordre public et événements populaires
Question de :
M. Ugo Bernalicis
Nord (2e circonscription) - La France insoumise
M. Ugo Bernalicis interroge M. le ministre d'État, ministre de l'intérieur, sur la privatisation progressive de l'ordre public. Il l'interpelle sur sa circulaire en date du 15 mai 2018 relative à la facturation des services d'ordre aux organisateurs. Cette circulaire fait passer une part importante des frais de maintien de l'ordre public aux organisateurs pendant la tenue d'une manifestation, culturelle ou sportive. Cette circulaire, transmise à tous les préfets a, d'ores et déjà, pu révéler ses effets pervers. Le festival Microclimax dans le Morbihan qui dispose d'un budget total de 16 000 euros ne peut s'acquitter de la facture de sécurité imposée par le préfet, d'un montant de 19 000 euros. Le festival, qui réunit chaque année 450 participants n'aura donc pas lieu. Cette circulaire entraîne en réalité une censure financière de fait que le ministre de l'intérieur demande aux préfets d'appliquer. Les missions dorénavant à la charge des organisateurs, détaillées en annexe de la circulaire, sont particulièrement larges. Ainsi, s'il est concevable que les dépenses de gestion du flux de population soient à la charge des organisateurs car ce sont des dépenses inéluctables et directement liées à la tenue de l'événement, il est par contre inadmissible que soient facturées des missions telles que la surveillance en patrouille motorisée, l'activation d'un poste de police ou encore la mise à disposition de drones de surveillance. Ces missions qui ne sont pas toujours nécessaires, sont à la discrétion du préfet et doivent donc, si l'autorité choisit de les déployer, faire l'objet d'une prise en charge financière publique. La circulaire s'inscrit dans la dynamique de privatisation de l'ordre public entamée par la loi SILT en 2017. Depuis cette loi visant à lutter contre le terrorisme, les préfets ont la possibilité d'associer des sociétés privées à la gestion de l'ordre public sur un « périmètre de protection ». Dans le cadre de manifestations culturelles ou sportives, il reviendra donc à l'organisateur de prendre en charge les frais des entreprises de sécurité privée diligentées éventuellement sur ordre du préfet. Rappelons que la sécurité intérieure est un pouvoir régalien, une compétence que même les libéraux les plus acharnés considèrent comme étant du ressort de l'État. M. Collomb applique donc la fameuse « disruptivité » si chère à M. Macron en allant plus loin encore que le cadre ultra-libéral de référence chez LaREM. Cette nouvelle circulaire rend toujours plus intenable le modèle économique des petites manifestations culturelles déjà fragilisées par la baisse des subventions (11 milliards d'euros sur 3 ans décidée en 2015). Le Gouvernement demande l'impossible aux acteurs de la culture : assumer le coût de l'ordre public en hausse, pour cause de menace terroriste, alors même que les subventions sont réduites à peau de chagrin. Résultats : plus de 180 festivals annulés en 2015 après l'annonce des réductions de subventions et il ne fait pas de doute que la nouvelle circulaire va faire grossir ce chiffre déjà ahurissant. Sacrifier la culture sur l'autel de la sacro-sainte réduction des dépenses publiques et de la privatisation, voilà ce que réserve le Gouvernement. Ceci est inacceptable. Quid de l'alourdissement du budget des collectivités si celles-ci doivent prendre en charge les frais de sécurité de tous les événements qu'elles organisent ? Et si les collectivités ne sont pas concernées par la circulaire, car on ne le sait pas à ce jour, il en résultera une situation d'inégalité entre d'une part des acteurs privés pour qui les coûts de sécurité vont exploser et d'autre part les collectivités qui disposeront des moyens suffisants. La survie des bals populaires, des fest noz et des festivals qui rythment la vie culturelle des français.es sont menacés par le ministre de l'intérieur, un ministre qui a pourtant pour mission de rendre possible la tenue de tels moments en assurant la sécurité publique. La sécurité publique est un enjeu d'intérêt général au même titre que la culture. Il revient donc à l'État d'assurer la plus grande part du financement de la sécurisation des événements culturels et sportifs. Il lui demande donc ce qu'il compte faire pour garantir la sécurité des événements culturels et sportifs sans menacer leur existence alors qu'il leur impose la prise en charge d'une mission d'intérêt général : la sécurité publique.
Réponse publiée le 19 février 2019
Le remboursement des prestations assurées par les forces de sécurité intérieure au bénéfice de tiers est un principe prévu par la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 d'orientation et de programmation relative à la sécurité. Il n'a depuis cessé d'être précisé par divers textes réglementaires, instructions et circulaires, pour rendre son application juste, équitable et raisonnée. L'instruction ministérielle du 15 mai 2018 ne s'écarte pas de ces objectifs et n'introduit aucune pratique nouvelle. Il prévoit tout d'abord que des échanges entre les services de l'Etat et l'organisateur se tiennent très en amont. Ils ont pour objectif de définir ensemble et au plus juste le périmètre des missions qui seront assurées sous convention et d'expliquer à l'organisateur ce qui est facturé et pourquoi. Il stabilise le périmètre des missions facturables, identique à celui défini par la circulaire du 8 novembre 2010, remplacée par la nouvelle instruction de 2018 : gestion des flux de population ou de circulation motorisée, constitution de dispositifs de gestion des flux sur la voie publique, mise en place de missions de sécurisation et de surveillance (patrouilles dynamiques, surveillance des caisses et des tribunes, inspection des tribunes et des parties communes, gardes statiques, etc.), activation du poste de police, mise à disposition de moyens de surveillances aérienne (aéronefs, drones), prestations d'escorte réalisées à la demande des organisateurs, etc. Enfin, il est transparent sur les éléments de tarification. A cet égard, il est aisé de constater que les services d'ordre indemnisés (SOI) ne génèrent aucun « bénéfice » pour l'Etat. Le coût réellement supporté par le contribuable n'est, généralement, que partiellement compensé par la facturation. Le coût horaire facturé dans le cadre d'un SOI est de 20 €/heure (soumis à un coefficient multiplicateur dans certains cas de figure), alors que le coût d'un sous-officier est pour l'Etat de 46 € de l'heure. Ainsi, cette instruction permettra que des situations identiques soient traitées de la même façon. Concernant l'annulation du festival Microclimax, celle-ci a des causes éloignées de celles évoquées dans la question. Elle a été consécutive à l'avis défavorable émis par le maire de Groix, sur la base de l'avis des services de l'État, pour des raisons de sécurité : contexte local défavorable lié notamment à l'insularité et l'absence de structure médicale permanente, à l'organisation concomitante de plusieurs événements d'ampleur sur le même week-end, à l'absence de renforts estivaux, au manque de surveillance et à des lacunes administratives de la part de l'organisateur.
Auteur : M. Ugo Bernalicis
Type de question : Question écrite
Rubrique : Ordre public
Ministère interrogé : Intérieur
Ministère répondant : Intérieur
Dates :
Question publiée le 17 juillet 2018
Réponse publiée le 19 février 2019