15ème législature

Question N° 11715
de M. Stéphane Peu (Gauche démocrate et républicaine - Seine-Saint-Denis )
Question écrite
Ministère interrogé > Économie et finances
Ministère attributaire > Économie et finances

Rubrique > transports aériens

Titre > Concernant le devenir d'Aéroports de Paris

Question publiée au JO le : 07/08/2018 page : 7050
Réponse publiée au JO le : 16/07/2019 page : 6689

Texte de la question

M. Stéphane Peu interpelle M. le ministre de l'économie et des finances sur la cession des parts détenues par l'État dans Aéroports de Paris prévue par le projet de loi PACTE. Cette cession censée rapporter plus de 9 milliards d'euros à l'État ne semble pas, à la lecture des déclarations du Gouvernement et de l'exposé des motifs du projet de loi PACTE, avoir d'autre visée que de servir des intérêts privés. Cela au mépris de l'avenir florissant de cette entreprise, de la sécurité des usagers, de la sûreté du pays et des répercussions inquiétantes sur d'autres fleurons de l'industrie française. En effet, pour justifier cette cession d'actifs, son ministère avance notamment que son « rendement » actuel serait faible. Or l'État a perçu plus d'1,2 milliard d'euros de la part d'Aéroports de Paris depuis 2006, constituant ainsi sa cinquième source de dividendes, avec des perspectives de croissance importantes grâce à l'ouverture prochaine d'un quatrième terminal à Roissy. Au regard de ces données, il souhaite l'interroger sur les véritables motivations d'une telle cession et sur les risques notables qu'elle comporte. Il rappelle que les aéroports ont une mission d'intérêt général en participant aux côtés de l'État aux actions de sécurité, de sûreté, d'environnement et d'aménagement du territoire, et qu'Aéroports de Paris qui compte en son sein trois aéroports parisiens Paris-Charles-de-Gaulle, Paris-Orly et Paris-Le Bourget et dix aérodromes, représente à lui seul près de 77 % du trafic aérien français et 8,3 % de l'emploi salarié de la région Île-de-France. Que si l'État, qui détient 50,6 % des parts de l'entreprise, les cédait au profit d'entreprises privées : premièrement, la mission d'intérêt général qu'elle garantit par sa position majoritaire serait inévitablement et lourdement impactée ; deuxièmement, les conséquences seront lourdes pour l'emploi : troisièmement, le statut, les conditions de travail et le risque d'externalisation d'un certain nombre de secteurs d'activité ; mais également pour l'environnement : remise en cause du couvre-feu entre 23h30 et 6h00, fin de la limitation du nombre des créneaux horaires à 250 000 par an, la baisse de la taxe sur les nuisances sonores aériennes (TNSA) qui sert à financer l'insonorisation des logements et bâtiments publics soumis aux nuisances de l'aéroport d'Orly ; quatrièmement, de même que sur les infrastructures et l'aménagement du territoire : la modernisation et l'agrandissement des aéroports étant actés, il est essentiel de prémunir les compagnies aériennes contre l'acquisition de terrains aujourd'hui propriété de Paris Aéroport par un acteur privé qui pourrait négliger l'essor des aéroports au bénéfice d'autres intérêts plus rémunérateurs ; cinquièmement, l'avenir d'Air France, qui entame actuellement une fragile reprise après 8 années de difficultés, serait troublé. Les relations sont équilibrées entre ADP et Air France, premier client du groupe : sans Air France, la plateforme de Roissy serait en péril, et sans son hub de Roissy la compagnie nationale signerait son arrêt de mort. La compagnie nationale française risque de se voir imposer une hausse des redevances aéroportuaires en raison de la situation monopolistique d'ADP, alors que celles-ci sont déjà parmi les plus élevées d'Europe continentale. Même l'IATA (association organisant le transport aérien mondial) s'est inquiétée dans un communiqué de cette privatisation, rappelant n'avoir « jamais vu de privatisation aéroportuaire qui ait rempli à long terme toutes ses promesses ». In fine, les usagers seront à nouveau ceux qui paieront le prix fort. Enfin, le projet avancé prévoit une concession de 70 ans, du jamais vu dans l'aéroportuaire. Il s'agirait donc en réalité de la mise en place d'une véritable rente quasi-perpétuelle qui ne viserait qu'à satisfaire l'appétit de grands groupes privés, tout en perdant un instrument de la souveraineté nationale. Il lui demande de lui préciser les motivations d'une telle cession et de lui exprimer clairement les conditions envisagées pour cette opération.

Texte de la réponse

La privatisation d'Aéroports de Paris (ADP) autorisée par la loi PACTE s'inscrit dans la nouvelle doctrine de l'État actionnaire, la fonction de ce dernier étant prioritairement de garantir les intérêts stratégiques nationaux qui ne le seraient pas sans détention de tout ou partie du capital. Alors que l'État a accompagné ADP de son passage d'EPIC à celui de société cotée de dimension internationale, le Gouvernement souhaite désormais réallouer vers le financement de l'innovation et le désendettement une partie de ses actifs immobilisés dans des sociétés pour lesquelles la régulation permet de garantir les intérêts du pays. Aujourd'hui, 7,8 Mds€ d'argent public sont immobilisés dans ADP pour seulement 174 M€ de revenus par an sous forme de dividende, soit un des rendements le plus faible de tout le portefeuille de l'État : la cession des parts détenues par l'État permettra de dégager des moyens significatifs pour investir dans l'innovation de demain et réduire la dette de la France. Le produit de cession espéré par l'État est supérieur à la somme des dividendes futurs actualisés reçus de la part d'ADP. Dans le cas contraire, l'État ne vendra pas sa participation. La cession de participations de l'État permettra l'entrée de nouveaux actionnaires qui accompagneront le groupe dans son développement industriel et financier et lui permettront d'atteindre les plus hauts niveaux en termes d'innovation, de qualité de service et de croissance à l'international. La loi autorisant la privatisation d'ADP prévoit les dispositions nécessaires pour renforcer les leviers de régulation et de règlementation pour s'assurer que la principale porte d'entrée du territoire français continue de fournir un service de qualité pour les transporteurs aériens et pour les voyageurs, dans le respect des plus hauts standards de sécurité et de sûreté. Tout d'abord, les fonctions régaliennes de l'État en matière de sécurité (police aux frontières, contrôles douaniers) des personnes et des biens resteront assurées par les services de l'État. Les exigences en termes de sûreté (contrôle des personnes et des biens) sont prévues par une régulation européenne et nationale qui n'est pas négociable par les aéroports qui ne font que la mettre en œuvre. S'agissant de la qualité de service, la privatisation s'accompagne d'un aménagement du cadre régulatoire qui se traduit par l'inscription dans la loi des pouvoirs de contrôle dont dispose aujourd'hui l'État. L'État pourra ainsi s'assurer que les investissements et les travaux nécessaires au bon fonctionnement du service public aéroportuaires sont bien réalisés. Il pourra imposer à l'opérateur de maintenir une qualité de service aux meilleurs standards des aéroports internationaux. En cas de désaccord avec ADP, c'est l'État qui fixera les objectifs de qualité de service à atteindre. En ce qui concerne les tarifs, le système de régulation garantit que des hausses des redevances payées par les compagnies aériennes ne peuvent être liées qu'à des investissements sur les plateformes aéroportuaires et donc à une augmentation de la capacité ou de la qualité de service, ce qui bénéficiera aux compagnies. Par ailleurs, comme aujourd'hui, les compagnies aériennes continueront d'être associées aux discussions pour fixer les redevances dans le cadre du contrat de régulation économique. En cas de désaccord entre l'État et ADP, l'État fixera unilatéralement les tarifs ce qui constitue une garantie de modération tarifaire pour les compagnies. On peut enfin noter que les redevances facturées par ADP sont celles qui ont le moins augmenté depuis 10 ans parmi les 5 premiers hubs en Europe. Pour la durée des droits d'exploitation, il convient de rappeler que cette durée constitue une amélioration majeure par rapport à la situation présente puisqu'actuellement les actifs sont la propriété de l'entreprise seule sans limitation de durée, et non de l'État. Le maintien d'une durée longue d'exploitation est nécessaire pour préserver la stabilité de l'entreprise, son organisation et son modèle économique à court, moyen et long termes. Cette durée tient compte de la nature des investissements à réaliser et des particularités de l'activité d ADP : les investissements sont permanents dans un aéroport contrairement à une autoroute. Ainsi pour ADP, le volume des investissements à réaliser dans les années à venir est très important : de 7 à 9 Mds€ pour le Terminal 4 jusqu'en 2037. En ajoutant un amortissement sur 50 ans pour certains composants, on aboutit à une fin d'amortissement dans 70 ans, cohérente avec la date de retour des actifs d ADP dans le patrimoine de l'État. On retrouve d'ailleurs des durées équivalentes ou supérieures de concession pour des infrastructures comparables : Tunnel du Fréjus (70 ans), Tunnel du Mont Blanc (91 ans), Viaduc de Millau (78 ans) ou pour des infrastructures portuaires ou aéroportuaires à l'étranger. S'agissant des employés d'ADP, la loi adoptée par le Parlement en avril 2019 ne modifie pas les statuts du personnel d'ADP et la modification de ces statuts reste soumise à l'approbation de l'État. Concernant l'environnement, la règlementation restera inchangée et dans les mains de l'État. La protection des communes riveraines contre les nuisances sonores et la qualité de l'air ne sera donc pas altérée par la privatisation. Le rôle de l'autorité indépendante chargée de sanctionner les nuisances sonores et la pollution de l'air générées par le transport aérien (ACNUSA : Autorité de Contrôle des Nuisances Aéroportuaires) est inchangé. Par ailleurs le couvre-feu la nuit et le plafonnement du nombre de mouvements annuels à Paris Orly ont été sanctuarisés dans la loi. Pour ce qui est de la taxe sur les nuisances sonores aériennes, son montant n'est pas diminué, il est au contraire augmenté et passe de 45 à 55 M€. Enfin la loi précise qu'ADP exerce ses missions en tenant compte des effets environnementaux de ses activités. Une procédure de référendum d'initiative partagée a ét engagée en mai dernier. Le gouvernement a annoncé qu'aucune opération de privatisation ne serait lancée pendant cette procédure.