15ème législature

Question N° 12187
de Mme Marielle de Sarnez (Mouvement Démocrate et apparentés - Paris )
Question écrite
Ministère interrogé > Premier ministre
Ministère attributaire > Premier ministre

Rubrique > illettrisme

Titre > Lutte contre l'illettrisme et « l'illetronisme »

Question publiée au JO le : 18/09/2018 page : 8153
Réponse publiée au JO le : 04/12/2018 page : 10930

Texte de la question

Mme Marielle de Sarnez attire l'attention de M. le Premier ministre sur l'illettrisme. Neuf millions de personnes rencontrent en effet des difficultés de maîtrise de la langue française dont un million cinq cent mille salariés. Cette situation risque de s'aggraver, du fait de la transformation radicale des emplois, liée à la révolution numérique. Dans le même temps, la dématérialisation des démarches et des procédures administratives porte le risque d'une exclusion générationnelle, 58 % des personnes de soixante-dix ans et plus, déclarant éprouver des difficultés dans l'usage et le recours au numérique. Le délégué interministériel à la langue française pour la cohésion sociale estime ainsi que 14 millions de Français seraient fragilisées par « l'analphabétisme du 21ème siècle », accentuant une fracture déjà alarmante. Elle lui demande par conséquent quelles réponses le Gouvernement entend mettre en œuvre afin de lutter efficacement tout à la fois contre l'illettrisme et « l'illetronisme ».

Texte de la réponse

En France, l'illettrisme qualifie la situation de personnes âgées de plus de 16 ans qui, bien qu'ayant été scolarisées en France, n'ont pas acquis une maîtrise suffisante de la lecture, de l'écriture, du calcul et des autres compétences de base pour être autonomes dans les situations simples de la vie courante. L'illettrisme est à distinguer, d'une part, de l'analphabétisme qui désigne la situation de personnes qui, n'ayant jamais été scolarisées, ne maîtrisent pas non plus les compétences de base et, d'autre part, de la problématique dite du « français langue étrangère » (FLE), c'est-à-dire le défaut de maîtrise de la langue française, écrite et orale, par la population des personnes allophones (primo-arrivants et personnes résidant depuis moins de cinq ans en France). En France métropolitaine, l'enquête menée par l'Insee tous les sept ans (2004-2011) estime le nombre de personnes rencontrant des difficultés dans la maîtrise de la langue française à près de 6 millions d'adultes. Parmi ces 6 millions de personnes, 2,5 millions seraient considérées en situation d'illettrisme car ayant des difficultés graves ou fortes à l'écrit. De plus, selon les données disponibles, on peut considérer que près de 500 000 Français d'outre-mer seraient en grave difficulté avec l'écrit. Par ailleurs, les données sur l'illettrisme ne prennent pas en compte environ 1,5 million de personnes en grave difficulté avec l'écrit et les savoirs de base en général mais qui ont été scolarisées à l'étranger. Il s'agit pour l'essentiel de personnes issues de l'immigration dont beaucoup possèdent la nationalité française. Dans ce contexte, il convient d'abord de rappeler que la lutte contre l'illettrisme est une compétence partagée avec de nombreux acteurs. Elle repose aussi sur l'action conjointe de l'État, des collectivités territoriales, notamment des régions, des entreprises et des acteurs de la société civile comme les associations et les fondations. S'agissant de l'action du gouvernement, plusieurs initiatives importantes ont déjà été prises pour lutter contre l'illettrisme à tous les âges de la vie. En matière de prévention, l'Education nationale joue un rôle essentiel pour les enfants et, plus largement, pour les familles, en termes d'apprentissage de la langue, de partage de nos valeurs et de socialisation. Ainsi, le dédoublement des petites classes en réseaux d'éducation prioritaire favorisera les premiers apprentissages. Pour les élèves allophones nouvellement arrivés en France, l'apprentissage de la langue française est soutenu par la mise en place dans les écoles d'unités pédagogiques pour élèves allophones, dans lesquelles l'objectif de maîtrise du français est primordial. Localement, les centres académiques pour la scolarisation des enfants allophones nouvellement arrivés et des enfants issus de familles itinérantes et de voyageurs (Casnav) accompagnent les équipes enseignantes pour scolariser et mettre en œuvre des actions de médiation en direction de ces élèves, en accordant une attention spécifique aux familles particulièrement éloignées de l'école. Outre les enfants, les parents étrangers allophones peuvent suivre des cours de français à l'école. Le dispositif « Ouvrir l'école aux parents » a été créé en 2008 par les ministères de l'Intérieur et de l'Éducation nationale. Ce dispositif a bénéficié à 6 762 parents en 2016 dans 435 ateliers dans 70 départements (soit une moyenne de 16 personnes par atelier), et concerne pour une large part un public féminin (82 % des publics) qui va au-delà des primo-arrivants (les primo-arrivants représentent 48 % des publics). En ce qui concerne les publics adultes, le Gouvernement a lancé, le 25 septembre 2017, un Grand plan d'investissement qui vise l'accélération de la transformation numérique et écologique de la France. Il énonce l'objectif de construire une société des compétences et propose un Plan d'investissement dans les Compétences (PIC), en vue de former et d'accompagner un million de demandeurs d'emploi et un million de jeunes peu qualifiés et éloignés du marché du travail. Il s'agit d'un effort sans précédent dans la formation qui sera déployé sur cinq années. Il permettra de financer des parcours de formation destinés à ces publics peu qualifiés (avec un objectif de meilleure fluidité du parcours et de simplification des procédures) et d'engager une profonde transformation des compétences au service de la compétitivité et de l'emploi, à travers notamment la promotion de l'innovation et de l'intégration des technologies digitales dans l'acquisition de compétences. Ainsi, en vertu des dispositions de l'article 34 de la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, le Plan d'investissement dans les compétences comportera un important volet de lutte contre l'illettrisme. Cet article précise en effet que le déploiement de ce Plan devra s'opérer « en insistant en priorité sur les personnes en situation d'illettrisme avec ou sans activité professionnelle. » Concernant l'illettrisme numérique, environ 13 millions de nos concitoyens demeurent éloignés du numérique : ils n'utilisent pas ou peu internet, et se sentent en difficulté avec les usages des technologies numériques. Le secrétaire d'Etat au numérique, Mounir Mahjoubi,  a présenté le 13 septembre dernier, dans le cadre des Rencontres nationales de la médiation numérique à Nantes, le dispositif opérationnel du plan d'aide aux exclus du numérique. Ce Plan prévoit, d'abord, un ensemble d'actions destinées à faciliter la détection des publics en difficulté, mieux encadrer les aidants qui accompagnent les usagers dans leurs démarches, ou encore renforcer les structures de médiation. Il prévoit également le lancement de l'expérimentation d'un « pass numérique » qui va contribuer à structurer les réseaux de la médiation. Ce pass fonctionnera sur le principe des chèques culture. Remis de manière ciblée aux personnes en difficulté, il donnera accès à des formations et à des ateliers dans des lieux de médiation et d'accompagnement numériques agréés. Le 27 septembre dernier, Mme la députée Béatrice Piron, Présidente du groupe d'études sur l'illettrisme, et M. Thierry LEPAON, Délégué interministériel à la langue française pour la cohésion sociale, ont organisé conjointement à l'Assemblée nationale un colloque portant sur la lutte contre l'illettrisme et l'illectronisme. Ce colloque a réuni des apprenants, des élus, des représentants des services de l'Etat, des collectivités territoriales, des fondations, des réseaux associatifs, des partenaires sociaux ou des acteurs de l'entreprise qui ont prouvé leur engagement à faire vivre ce qui a été reconnu en 2013 comme « grande cause nationale ». Le gouvernement restera attentif à ce que les personnes les plus fragiles retrouvent leur autonomie et leur dignité à travers l'accès aux savoirs de base. La lutte contre l'illettrisme et l'illectronisme est un devoir de justice sociale.