Politique spatiale française et européenne
Question de :
M. Pierre Cabaré
Haute-Garonne (1re circonscription) - La République en Marche
M. Pierre Cabaré interroge Mme la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation sur la politique spatiale française et européenne et sur les mesures qu'entend prendre le Gouvernement pour préserver les activités spatiales et conserver le leadership face aux défis du nouvel âge spatial. L'Union européenne œuvre pour une société caractérisée par des valeurs de dignité humaine, de liberté, de démocratie, d'égalité, et d'état de droit. L'Union européenne a également pour objet de défendre la compétitivité et l'indépendance, tant d'un point de vue économique que politique. Ainsi, au-delà de ces valeurs partagées, l'Union européenne permet aussi des avancées concrètes, notamment en matière de politique spatiale. En juillet 2018, Ariane 5 a parfaitement réussi son troisième lancement de l'année depuis le Centre spatial guyanais (CSG), mettant en orbite quatre nouveaux satellites de la constellation Galileo, le programme européen de navigation par satellites. Ce nouveau succès permet désormais à la constellation Galileo d'être pleinement opérationnelle. C'est là un projet d'indépendance stratégique défendu par la France depuis 1993, puis par l'Union européenne depuis 2003. Galileo permet à l'Europe de disposer d'un système de navigation par satellites extrêmement précis, fiable, et sécurisé. Galileo va bien plus loin que le système de géolocalisation américain GPS, puisqu'il promet une précision infime qui servira à une multitude d'applications en matière d'agriculture, de protection civile ou encore de transports. Cet outil est hautement stratégique puisqu'il donne à la France et à l'Union européenne une indépendance, aujourd'hui plus que nécessaire compte tenu de la versatilité américaine et de l'instabilité mondiale. Grâce à cet outil, la France et l'Union européenne ne seront plus à la merci d'un fournisseur, même allié, qui déciderait seul de couper la couverture GPS d'une zone de conflit ou de changer la puissance d'un signal. Mais ce succès remarquable ne suffit pas à masquer les bouleversements majeurs que connaît le secteur spatial et auxquels la France et l'Union européenne doivent s'adapter. Tout d'abord, l'apparition des acteurs privés du « New Space » comme SpaceX, Amazon, Google ou Facebook bouscule les champions industriels, notamment avec des projets innovants comme le lanceur réutilisable et à bas coût. Ensuite, les pays qui ambitionnent d'entrer dans le « club spatial » n'ont jamais été aussi nombreux. En effet, l'espace est à la fois un outil d'affirmation de la souveraineté et un axe majeur de développement économique des nations émergentes comme la Chine, la Corée, l'Inde, Israël ou les Émirats arabes unis. La France et l'Union européenne ont toujours été des leaders mondiaux en matière de lanceurs et de conception de satellites, gage de sécurité et de compétitivité. Ainsi, en tant que co-Président du groupe d'études « Secteur aéronautique et spatial » à l'Assemblée nationale aux côtés de M. Jean-Luc Lagleize, député de la Haute-Garonne, il l'interroge sur la politique spatiale française et européenne et sur les mesures qu'entend prendre le Gouvernement pour préserver les activités spatiales et conserver le leadership français et européen face aux défis du nouvel âge spatial.
Réponse publiée le 18 décembre 2018
Le contexte spatial international est en très forte évolution : l'émergence du numérique et de l'intelligence artificielle, l'arrivée d'entrepreneurs privés souvent issus de ce même domaine, sont en passe de bouleverser les positions établies. Néanmoins, de nombreux exemples, à commencer par la mise en place du système Galileo, démontrent que la France et l'Europe restent aux avant-postes. Les dernières études évaluent le volume de l'économie mondiale du secteur spatial en 2017 à environ 350 Md$ (en secteur aval compris) dont 24 % issus des budgets publics. L'industrie couvre le reste de l'activité avec deux volets d'égale importance : la fourniture de services grâce aux satellites, le développement des systèmes spatiaux. Parmi la cinquantaine d'États présentant un programme spatial dans le monde, seuls quelques-uns disposent d'un budget dépassant 1Md$ : les États-Unis, la Chine, l'Europe, la Russie, l'Inde et le Japon. L'Europe spatiale qui repose sur les trois piliers complémentaires que sont l'Union européenne (UE), l'Agence spatiale européenne (ESA) et les États membres, est le troisième acteur le plus significatif du spatial. La France en est le premier acteur, avec un chiffre d'affaires industriel de 4,6 Md€ pour 16 000 salariés ; l'effort institutionnel français dépasse les 2 Md€ (subventions au CNES, contribution ESA, achats du Ministère des Armées), loin devant les autres États européens. Le premier élément indispensable au maintien de la position française et européenne dans le domaine spatial est le maintien d'une capacité d'accès à l'espace. La transition entre Ariane-5 et Ariane-6, destinée à réduire le coût du kg en orbite de 40-50 %, a été accompagnée d'une responsabilté accrue de l'industrie, dans une approche "New space". La poursuite de la baisse des coûts, rendue nécessaire par la politique commerciale agressive de la concurrence, est une question à la fois technique et d'organisation industrielle, comme nous le montre l'exemple de SpaceX. Les actions engagées par le CNES avec l'industrie visent à préparer les évolutions du lanceur, avec le moteur Prometheus (réutilisable, 10 fois moins cher que le Vulcain, pouvant être produit en grande série…), le véhicule expérimental Callisto (apprentissage de la réutilisation), le projet d'étage et booster à bas coût Thémis. En termes d'organisation, un plateau d'innovation commun avec l'industrie a été décidé, et des réflexions sont en cours avec l'ESA sur l'optimisation de la politique industrielle pour certains programmes futurs. Dans le domaine des satellites de télécommunication, malgré la concurrence accrue de la part des industriels américains et asiatiques, la France et l'Europe ont maintenu un effort soutenu pour maîtriser les technologies clés, renouveler leurs offres de plates-formes, charges utiles et sous-systèmes, et développer une capacité nationale dans le domaine des segments sol de mission. La commande en avril 2018 du satellite Konnect VHTS à Thales par Eutelsat marque l'aboutissement de plusieurs années d'efforts de l'Etat et l'industrie dans le domaine ; le développement par Airbus Defence & Space de la constellation OneWeb est également un témoin du dynamisme de notre industrie. Dans le domaine des satellites d'observation de la Terre, les petites plateformes françaises Myriade puis Myriade Evolution, financées dans le cadre du PIA, ont permis de développer et de qualifier en partenariat (CNES, ADS, TAS) des équipements communs venant compléter les cœurs avioniques des deux maîtres d'œuvre industriels français. Cette capacité s'est ajoutée à la famille Pléiades et ses dérivées ; l'ensemble permet à notre industrie de présenter une offre étendue. Enfin, il convient d'évoquer les nanosatellites, dont les performances ont été multipliées par le progrès des techniques numériques. En France, le CNES a mis en place en 2012 le programme Janus, en partenariat avec les universités françaises et leurs centres spatiaux universitaires, qui a permis le lancement de 4 nano-satellites en 2017 et 2018. Sur un plan opérationnel, la collecte de données Argos (pour la filiale du CNES, CLS), a donné lieu au projet Angels et a permis le développement d'une filière industrielle de nano-satellites française menée par Nexeya avec plusieurs PME françaises. Au-delà de ces acteurs, des initiatives à base de nanosatellites proviennent d'opérateurs nouveaux tels que Earthcube (système d'information géographique à base de données spatiales) ou Unseenlab (détection et suivi de bateaux). Pour conclure, le Gouvernement est conscient de la forte pression concurrentielle sur l'ensemble de la filière spatiale. Les importants efforts budgétaires réalisés pour financer les programmes Ariane 5 et Ariane 6 ne doivent pas se faire au détriment de l'industrie des satellites, elle aussi soumise à une forte concurrence intra et extra européenne. Des concertations auront lieu entre le ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, le CNES, et l'industrie, pour préparer au mieux les décisions structurantes que la France prendra dans le cadre du Conseil ministériel de l'ESA de fin 2019. En parallèle, la France participe activement aux travaux en cours entre instances de l'Union européenne pour définir le futur programme Espace de l'UE et le programme de recherche Horizon Europe, afin qu'ils contribuent à maintenir la compétitivité de nos programmes spatiaux.
Auteur : M. Pierre Cabaré
Type de question : Question écrite
Rubrique : Espace et politique spatiale
Ministère interrogé : Enseignement supérieur, recherche et innovation
Ministère répondant : Enseignement supérieur, recherche et innovation
Dates :
Question publiée le 9 octobre 2018
Réponse publiée le 18 décembre 2018