Coulées de boue en Alsace : nécessité d'une transition des techniques agricoles
Question de :
M. Vincent Thiébaut
Bas-Rhin (9e circonscription) - La République en Marche
M. Vincent Thiébaut alerte M. le ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire, sur les coulées d'eau boueuse qui se produisent presque tous les ans en Alsace, dans près de 40 % des communes. Ce phénomène a frappé à nouveau durement le territoire au printemps 2018, à la suite d'orages et de pluies torrentielles. Il est connu et analysé depuis de nombreuses années, mais les actions menées n'ont pour l'instant pas suffi à corriger la trajectoire. Les coulées d'eau boueuse sont un phénomène ancien dans cette région, lié aux caractéristiques de pluviométrie et à la nature des sols. Les sols y sont en effet sensibles à l'érosion, principalement dans les collines limoneuses de grandes cultures et le piémont viticole, et de fortes pluies orageuses y sont fréquentes de mai à juillet. La combinaison de ces facteurs entraîne l'érosion hydrique des sols, à l'origine de la coulée d'eau boueuse. Le sol se ferme, l'eau ruisselle et entraîne des terres en suspension détachées par les pluies et le ruissellement. Cependant ce phénomène s'est fortement amplifié depuis 30 ans, en raison des choix de techniques agricoles et d'aménagement du territoire qui ont été faits au cours des dernières décennies. Les choix de culture se sont davantage portés vers des cultures de printemps avec une faible couverture végétale des sols (maïs, houblon, vigne), qui laissent les terres à nu durant la période de pluies orageuses. Or le couvert végétal est très efficace pour atténuer les coulées de boue, puisque le système racinaire facilite l'infiltration de l'eau des pluies orageuses dans les couches inférieures. Lorsque ce couvert végétal est absent, la terre agricole se comporte comme une surface imperméable ; l'eau n'a plus d'autre exutoire que de ruisseler vers l'aval. Par ailleurs, l'élevage a diminué, entraînant la réduction des surfaces en herbe favorables à l'infiltration de l'eau. L'urbanisation d'une part et l'avènement des grandes zones de monoculture d'autre part ont entraîné la disparition des haies (remembrement), bosquets, prairies, vergers, arbres, zones humides et inondables qui constituaient des zones tampon pour l'absorption des ruissellements. L'urbanisation a également entraîné une imperméabilisation des sols qui elle-même augmente le ruissellement. Enfin, cette urbanisation a souvent été menée sans considération des coulées de boue, créant de nouvelles zones habitées sur le passage de certaines de ces coulées. Les inondations boueuses qui s'ensuivent provoquent des dégâts matériels parfois importants sur les infrastructures et les habitations. Elles engendrent également une dégradation de la qualité des cours d'eau (transport de polluants, envasement, etc.). Mais elles sont aussi la cause d'une dégradation de la qualité des sols, dont le lessivage diminue la fertilité : on constate une décroissance du taux de matière organique des sols agricoles alsaciens. Pour régler ces difficultés à la source, nous savons désormais qu'il est nécessaire de revoir les techniques agricoles. Le développement du non labour, l'augmentation du taux de couverture des sols, la réintégration des haies, bosquets et arbres, mais aussi des prairies et des zones humides dans le paysage, l'intégration de bandes enherbées permettront de renverser la tendance. Pour cela, il est nécessaire que les acteurs de l'agriculture s'impliquent, à l'échelle du bassin versant, pour agir ensemble à la source du problème. L'on sait désormais qu'il faut privilégier la prévention du ruissellement et de l'érosion aux actions « curatives ». Des aides publiques doivent être mobilisées pour remédier aux dégâts passés, mais elles ne doivent pas être organisées en système ; il faut désormais lutter contre les causes. Certains agriculteurs s'y sont déjà engagés ; mais l'approche globale cohérente est encore rare. Des travaux ont été menés par de nombreux acteurs du territoire, notamment les départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, ainsi que par l'agence de l'eau Rhin-Meuse ; mais devant l'ampleur des difficultés, il est nécessaire d'accélérer la transition afin de libérer le territoire de ce fléau en quelques années. Il est désormais nécessaire de créer une cohérence plus grande des démarches en ce sens, de les généraliser et de les rendre durables. L'urbanisation doit aussi être strictement maîtrisée pour ne pas reproduire les erreurs du passé. Pour impliquer les acteurs concernés et en particulier les agriculteurs, les accompagner dans la transition nécessaire pour traiter cette problématique à la source, leur donner toute l'aide et les incitations possibles, l'engagement de l'État sera décisif. Ce dernier doit aider le territoire à changer d'échelle dans la réponse donnée à la problématique des coulées de boue, dans une vision cohérente à moyen terme, pour une transition écologique et solidaire des techniques agricoles et d'aménagement qui permettra de résorber ces difficultés. Il l'interroge sur le plan d'actions qu'il prévoit pour ce faire.
Réponse publiée le 29 janvier 2019
La bonne gestion des sols agricoles représente un enjeu important, intégré dans les politiques publiques gérées par le ministère de l'agriculture et de l'alimentation. Les pratiques bénéfiques à la protection des sols de l'érosion, au maintien de leur structure et leur teneur en matières organiques sont soutenues par les dispositifs de la politique agricole commune (PAC) : couverture des sols, maintien des prairies, entretien des haies, rotations culturales, diversité des assolements, agroforesterie… La PAC réformée renforce ces outils, notamment avec le « paiement vert », qui introduit une triple condition de diversification des assolements, de maintien des prairies permanentes et de présence de surfaces d'intérêt écologique sur les terres arables. Parmi les critères conditionnant les aides de la PAC figurent des exigences visant à limiter l'érosion des sols, le maintien des haies, bosquets, mares, la présence de bandes tampons le long des cours d'eau et la couverture minimale des sols, qui contribuent à améliorer l'infiltration des eaux reçues sur la parcelle et à limiter l'arrachement des particules lors d'épisodes de pluies. Le fonds européen agricole pour le développement rural permet quant à lui de soutenir les actions visant à restaurer, préserver et renforcer les écosystèmes, à travers, par exemple, l'acquisition d'équipements performants tels que les matériels d'épandage limitant le tassement des sols, ou l'adoption de pratiques favorables à la couverture permanente des sols dans le cadre de mesures agroenvironnementales et climatiques. Ces politiques publiques sont renforcées et mises en synergie dans le cadre du projet agro-écologique pour la France. En effet, l'agro-écologie, en visant l'optimisation des services rendus par les processus biologiques naturels dans les systèmes de production, replace les sols au cœur d'une approche « système ». Les groupements d'intérêt économique et environnemental créés par la loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt, qui promeuvent les démarches collectives via une attribution préférentielle des aides ou une majoration des aides attribuées, contribuent à la mise en œuvre effective du projet agro-écologique au niveau des entreprises agricoles et des filières, et ainsi à la préservation des sols agricoles. On en dénombre aujourd'hui plus de 500 regroupant environ 9 000 agriculteurs à travers le territoire. Elles ont récemment été confortées au sein du plan biodiversité adopté par le Gouvernement en juillet 2018 qui vise notamment à faire de l'agriculture une alliée de la biodiversité et accélérer la transition agro-écologique et qui comprend des actions visant la conservation physique des sols (lutte contre l'érosion et le tassement), le maintien et la restauration de leur qualité. Ce même plan prévoit également des mesures pour lutter contre l'artificialisation des sols. Enfin, à plus long terme, la France soutient au niveau européen une PAC qui porte une vraie ambition environnementale tout en donnant au secteur agricole les moyens de réaliser sa transition écologique. La préoccupation d'une meilleure préservation des terres agricoles fait partie intégrante de ces travaux, dans l'intérêt d'une meilleure préservation des sols et des services qu'ils rendent, que ce soit pour les agriculteurs eux-mêmes ou pour l'ensemble des bénéficiaires des services rendus par les sols (dont la sécurité alimentaire, la qualité de l'eau, la biodiversité…).
Auteur : M. Vincent Thiébaut
Type de question : Question écrite
Rubrique : Agriculture
Ministère interrogé : Transition écologique et solidaire
Ministère répondant : Agriculture et alimentation
Dates :
Question publiée le 13 novembre 2018
Réponse publiée le 29 janvier 2019