15ème législature

Question N° 16070
de M. Hubert Wulfranc (Gauche démocrate et républicaine - Seine-Maritime )
Question écrite
Ministère interrogé > Intérieur
Ministère attributaire > Intérieur

Rubrique > ordre public

Titre > Sécurité publique - Usage disproportionné de la force dans les manifestations

Question publiée au JO le : 22/01/2019 page : 537
Réponse publiée au JO le : 21/05/2019 page : 4779

Texte de la question

M. Hubert Wulfranc alerte M. le ministre de l'intérieur sur la lutte contre l'usage parfois excessif de la force par la police et la gendarmerie. Depuis le déclenchement de la mobilisation des gilets jaunes le 17 novembre 2018, 81 personnes gravement blessées par les forces de l'ordre ont été recensées parmi les manifestants, 14 d'entre eux ont perdu l'usage d'un œil suite à des tirs de balle de défense de type LBD 40, d'autres ont eu une main arrachée suite à l'explosion de grenades à effet de souffle GLI-F4, enfin, une personne âgée est décédée après avoir été blessée par une grenade alors qu'elle fermait les volets de son appartement situé au quatrième étage d'un immeuble. La ligue des droits de l'Homme dénonce l'usage illégitime et disproportionné des grenades de désencerclement ainsi que des lanceurs de balles de défense LBD 40 par les forces de l'ordre, dans le cadre des manifestations. Concernant les LBD, le Défenseur des droits demande désormais la suspension de leur utilisation. La France est aujourd'hui le seul pays de l'Union européenne à compter ce type d'armes dans son arsenal de maintien de l'ordre. Suite au décès de Rémi Fraisse en octobre 2014, l'emploi des grenades offensives OF-F1 avait été interdit, celles-ci, à l'instar des grenades GLI-F4, contenaient du TNT. Aussi il est incompréhensible de maintenir son usage au sein des forces de l'ordre. Alors que le maintien de l'ordre pratiqué en France était autrefois cité en exemple, la clé étant de montrer sa force pour ne pas avoir à s'en servir, le recours du plus en plus systématisé à la violence physique et l'emploi d'équipements potentiellements mutilants, voire mortels, par les forces de l'ordre est aujourd'hui dénoncé par de nombreuses organisations. Ainsi, le comité de lutte contre la torture des Nations unies indique dans son septième rapport périodique sur la France, publié en 2016, être « préoccupé par les allégations d'usage excessif de la force par les fonctionnaires de police et de gendarmerie ayant, dans certains cas, entraîné des blessures graves ou des décès ». Il est également préoccupé par : les informations faisant état d'obstacles rencontrés par les victimes pour porter plaine ; l'absence de données statistiques sur les plaintes permettant de faire une comparaison par rapport aux enquêtes ouvertes et aux poursuites envisagées ; le manque d'informations détaillées sur les condamnations judiciaires des fonctionnaires de police et de gendarmerie reconnus coupables et les sanctions prononcées à leur égard ; des informations faisant état d'un nombre important de non-lieux et de classements dans suite, de sanctions administratives peu sévères ou non proportionnelles à la gravité des faits et du peu de sanctions judiciaires prononcées contre les fonctionnaires de police ou de gendarmerie. Le 17 décembre 2018, l'ONG Amnesty international déclarait dans un communiqué concernant la situation en France, que la police doit cesser de recourir à une force excessive contre les manifestants, les lycéens notamment suite à l'interpellation de plus de 150 jeunes à Mantes-la-Jolie maintenus plusieurs heures à genoux, mains sur la tête, et regard droit, ainsi que sur les journalistes victimes parfois de tir direct de lanceurs de balles de défense ou de grenade de désencerclement tel Florent Marcie, réalisateur de documentaires, habitué des zones de guerre, blessé pour la première fois de sa carrière le 5 janvier 2019, par un tir de LBD au visage. Bien que l'usage du LBD soit théoriquement limité aux « cas d'absolue nécessité et de manière strictement proportionnée » sans viser le visage, il ressort que le flou légal, le nom et la nature de l'arme poussent aux bavures et à l'impunité. En effet, si un tireur de LBD 40 éborgne un manifestant, l'agent pourra toujours se défausser de sa responsabilité en invoquant l'imprécision de l'arme contrairement à une situation où un manifestant serait par exemple, frappé abusivement avec un tonfa ou avec les poings. Amnesty international dénonce également la confiscation systématique des équipements de protection des manifestants, journalistes et du personnel médical, quand bien même ceux-ci ne présentent aucun caractère de dangerosité telles que des lunettes, des masques ou des casques de protection. Pire encore, la détention de ce type d'équipements de protection a également été utilisé par les forces de l'ordre comme prétexte pour procéder à des gardes à vue pouvant aller jusqu'à 30 heures, sous couvert de « délit de participation à un groupement violent » ouvrant droit à des arrestations préventives telles que dénoncées par l'ONG. Ces gardes à vues, trop souvent arbitraires, n'ont bien souvent, pas donné de suite judiciaire faute de preuves suffisantes pour qualifier les faits reprochés. Au 11 janvier 2018, 78 dossiers liés à des violences jugées abusives commises par des agents des forces de l'ordre sur des manifestants ont été déposés auprès de l'IGPN, parfois avec des preuves vidéos solides. Par ailleurs, 200 signalements ont également été transmis à l'IGPN. Malgré ses signalements et ses recours, aucune suspension d'agent n'avait été prononcée à cette même date. Afin de rétablir le lien de confiance entre la population et les forces de l'ordre il lui demande que les recommandations du Comité contre la torture en direction de la France émise en 2016 soient mises en œuvre. Dans son rapport le comité recommande à l'État français signataire de la « Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants » de renforcer la lutte contre tout usage excessif de la force par la police et la gendarmerie et de veiller à ce que : les mesures nécessaires soient prises pour garantir que, dans la pratique, les victimes de violences policière puissent déposer plainte, que celles-ci soient enregistrées et que, le cas échéant, les plaignants soient protégés contre tout risque de représailles ; dans tous les cas qui lui sont signalés, une enquête prompte, impartiale, indépendante et transparente soit menée dans des délais raisonnables ; des poursuites puissent être engagées et, en cas de condamnation, des sanctions proportionnelles à la gravité des faits soient prononcées ; des données statistiques complètes et ventilées soient établies sur les plaintes déposées et les signalements pour faits de violence et d'usage excessif de la force, et sur les enquêtes administratives ou judiciaires ouvertes concernant tant la police que la gendarmerie, les poursuites engagées, les condamnations et les sanctions prononcées, les décisions de non-lieu et les classements sans suite. Dans un contexte de plus en plus tendu, ces mesures paraissent plus que jamais urgentes et nécessaires. De même, l'emploi des LBD 40 et des grenades de désencerclement doit être proscrit ou à défaut, être davantage encadré. De nombreux pays ont démontré que l'usage des gaz lacrymogènes et des lances-eau, des équipements beaucoup moins invalidants, permettaient de gérer tout aussi efficacement les éventuels débordements violents. Dès lors il souhaite savoir quelles mesures concrètes il entend prendre pour lutter efficacement contre les violences abusives commises par certains représentants des forces de l'ordre pour satisfaire aux recommandations du comité contre la torture de l'ONU, ainsi qu'à celles de l'ensemble des ONG concernées.

Texte de la réponse

Face à un adversaire violent, animé par une volonté clairement affichée d'atteindre des symboles de la République, d'en découdre avec les forces de l'ordre, voire d'infliger des blessures ou de donner la mort, il importe, tout en garantissant les libertés démocratiques, de pouvoir disposer de moyens permettant la préservation de l'intégrité physique des membres des forces de l'ordre. Les militaires de la gendarmerie mobile et les fonctionnaires de la police nationale, engagés au maintien de l'ordre, demeurent en permanence sous un contrôle hiérarchique strict. En outre, chaque gendarme et chaque policier applique un code de déontologie qui proscrit tout comportement inadapté face à l'adversaire. Enfin, ils adaptent en permanence leur posture à l'attitude ainsi qu'à la pression exercée par l'adversaire et ne sont ainsi jamais à l'origine des poussées de tensions. Ils appliquent également systématiquement le principe de désescalade, revenant à une posture calme lorsque l'adversaire adopte à nouveau un comportement normal. Il convient également de mentionner que chaque unité spécialisée, compagnie républicaine de sécurité et escadron de gendarmerie mobile, entretient régulièrement ces savoir-faire et ces connaissances tactiques, techniques légales et réglementaires, notamment au centre national d'entraînement des forces de gendarmerie. Il est rappelé que l'article R. 211-13 du code de la sécurité intérieure (CSI) dispose que l'emploi de la force par les représentants de la force publique n'est possible que si les circonstances le rendent absolument nécessaire au maintien de l'ordre public dans les conditions définies par l'article L. 211-9 du CSI. La force déployée doit être strictement proportionnée au trouble à faire cesser et son emploi doit prendre fin lorsque celui-ci a cessé. C'est pourquoi le maintien de l'ordre requiert une formation spécifique et constitue la mission première d'unités spécialement formées à cet effet. De surcroît, le commandant de la troupe veille en permanence à adapter sa posture vis à vis de l'adversaire, à la gradation des moyens, à la conformité de leur emploi ainsi qu'au respect du cadre légal, à la discipline de feu et à la bonne application des principes d'éthique et de déontologie des forces de l'ordre. Ainsi, les dispositions légales et réglementaires, la formation continue des militaires et des fonctionnaires, le contrôle hiérarchique et la déontologie des forces constituent un ensemble garantissant le respect des manifestants et un emploi de la force raisonné, proportionné et justifié, conforme aux libertés démocratiques et à la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, dans le cadre de l'équilibre nécessaire entre la liberté de manifester et la soumission à la loi.